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Scène politique canadienne: la bataille des idées

Écrit par Matthew Little, La Grande Époque
03.09.2008
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  • Le premier ministre canadien et chef du Parti conservateur, Stephen Harper(Staff: Chris Graythen / 2008 Getty Images)

Avec les rumeurs grandissantes d’élections, les deux chefs peu charismatiques des principales formations promettent une campagne basée sur les idées

TORONTO – Stephen Harper et Stéphane Dion ne sont pas des politiciens typiques. Avant tout, motivés par des idées, aucun d’eux ne possède le charisme que l’on trouve habituellement chez les chefs de parti. C’est bien ce qui pourrait rendre la prochaine élection bien différente de ce à quoi nous avons l’habitude.

On pouvait remarquer l’amour du premier ministre pour les chiffres, durant un discours visant à galvaniser les troupes lors d’un barbecue conservateur à Mississauga le mois dernier. Lors de son allocution démagogique, Harper avait l’air le plus sincère lorsqu’il vantait les succès de son gouvernement en matière de réduction d’impôts et de prospérité économique.

Bien entendu, il n’a pas pu s’empêcher d’envoyer quelques flèches à Dion et son Tournant vert, qualifiant de «shaft» le plan de lutte des libéraux contre la pollution et la pauvreté. Mais ces attaques semblaient presque obligatoires, quelque chose pour la foule, et faisant partie de la bagarre continuelle que son gouvernement minoritaire livre depuis son arrivée au pouvoir.

Harper est un fin stratège, a écrit William Johnson dans son livre prophétique Stephen Harper and the Future of Canada, publié juste avant la victoire des conservateurs aux élections de 2006. Dans sa carrière politique, Johnson indique que Harper a «démontré le sens stratégique d’un maître des échecs qui fait que les circonstances peuvent être tournées à son avantage, cinq ou six coups à l’avance».

Ce succès parle maintenant de lui-même : Harper est à la tête d’un des gouvernements minoritaires ayant survécu le plus longtemps. Même si la date semi-fixée d’élections en octobre 2009 garantit qu’il ne brisera aucun record, il a tout de même dépassé de beaucoup la moyenne des 485 jours.

Même à ce rassemblement des inconditionnels du parti conservateur, on ne pouvait s’empêcher de remarquer le comportement distant de Harper, une sorte d’introversion presque imperceptible qui le recouvrait chaque fois qu’il ne prenait pas le micro. Il s’est fait prendre en photo et a serré une centaine de mains mais, comme beaucoup ont déjà remarqué, Harper n’est pas le genre de politicien extraverti qui embrasse des bébés ou brandit le poing.

Alors qu’un large fossé idéologique sépare Harper de Dion, leurs personnalités similaires les rapprochent un peu plus.

  • Le chef du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion.(Stringer: STRINGER / 2006 AFP)

Stéphane Dion s’est fait chambarder dans les médias pour son manque de charisme, sa frigidité et ses difficultés à parler en anglais.

Lors d’un déjeuner organisé par le Parti libéral au mois d’août à Toronto, Dion s’est adressé à des partisans concernant son Tournant vert. Il était plus à l’aise que d’habitude, peut-être parce qu’il prêchait à sa paroisse sa vision pour transformer l’économie canadienne en quelque chose de plus vert.

Mais, malgré l’accueil chaleureux, Dion n’est jamais devenu plus qu’intéressant. Tout comme Harper, il n’est pas le genre d’orateur qui peut convaincre une foule d’adhérer à sa vision. Au mieux, il est ce professeur amical qui peut vous convaincre du bon sens de ses idées. Peut-être est-il trop habitué à un auditoire captif. Le prétendant au poste de premier ministre n’arrive jamais à faire vraiment plus que communiquer.

Bien que plusieurs analystes politiques considèrent que mener une campagne électorale sur les complexités du Tournant vert est une tâche ardue, Dion se dit prêt au combat. Malgré toute sa gaucherie devant une foule, il n’a pas peur de se battre pour une cause à laquelle il croit.

En tant qu’universitaire introduit en politique par l’ex-premier ministre Jean Chrétien, le succès de Dion semble presque accidentel. Suite au référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec, Dion s’est présenté à une élection partielle qu’il a remportée.

Avant son élection en 1996, Dion était un fédéraliste dévoué et un professeur de l’Université de Montréal, dont beaucoup d’ouvrages ont été publiés. Chrétien l’a nommé ministre des Affaires intergouvernementales, où il s’est battu pour la cause fédéraliste et a engendré le mépris de nombreux Québécois.

Lorsque Paul Martin a, plus tard, nommé Stéphane Dion ministre de l’Environnement, l’ex-professeur a cherché à faire des questions environnementales un aspect fondamental de la stratégie économique du Canada, explique Linda Diebel dans son livre Stéphane Dion : À contre-courant.

«Le mandat de Stéphane Dion comme ministre de l’Environnement a été marqué par la controverse et les critiques», écrit Diebel. Dion a été exclu de sessions économiques stratégiques importantes avec d’autres ministres et était en conflit avec l’industrie automobile. Il a cependant gagné le respect du chef du Parti vert, Mme Elizabeth May.

Stephen Harper a également eu certains problèmes au sein de son parti, n’étant pas d’accord avec son ancien patron et ne partageant pas les vues des membres plus conservateurs du Reform Party.

Dans son livre, William Johnson écrit que lorsque le Reform Party a voté contre la protection des homosexuels sous la Loi canadienne sur les droits de la personne lors de sa convention biannuelle, Harper s’y est opposé publiquement, affirmant que le parti ne devrait pas prendre position sur de telles questions morales.

Lorsque, plus tard, il n’était pas d’accord avec la vision du parti de Preston Manning, Harper a renoncé à son siège de député et est seulement revenu à la politique lorsque l’Alliance Party, ayant succédé au Reform, était sur le point d’éclater.

«Un trait inhabituel chez un politicien est sa conviction que des politiques justes sont plus importantes que les tactiques pour récolter des appuis et prendre le pouvoir», écrit Johnson. Alors que Harper a été critiqué pour être un partisan féroce, on reconnaît souvent qu’il focalise sur les questions qu’il avait mises de l’avant en campagne électorale, ce que plusieurs considèrent comme un signe d’intégrité.

Ni Dion ni Harper ne peuvent affirmer être le chouchou des médias, et la dérision dont ils sont victimes souligne leurs différences. Harper est souvent accusé d’être froid et arrogant, tandis qu’on juge Dion gauche et indécis.

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À un certain degré, la différence entre les deux hommes peut être illustrée par leurs réactions en rapport aux auteurs des deux livres mentionnés précédemment. Dion a ouvert grande sa porte lorsque Diebel écrivait sa biographie, tandis que Harper a refusé d’accorder une entrevue à Johnson. Alors que certains peuvent applaudir l’accessibilité de Dion, dans un monde de communication instantanée où chaque parole peut-être diffusée en quelques instants, cela peut aussi être problématique.

La distance de Harper l’aide peut-être à mieux faire passer son message dans les médias, mais cela lui vaut aussi le dédain des journalistes et fait que les Canadiens ne réussissent pas à s’identifier à lui. D’un autre côté, l’ouverture de Dion le rend parfois plus accessible, mais cela a parfois joué contre lui en le présentant comme un chef manquant de force.

Tandis qu’une élection est de plus en plus probable, les Canadiens peuvent peut-être se réconforter dans le fait qu’aucun des deux leaders est particulièrement charismatique et qu’ils sont tous deux des intellectuels capables et focalisant sur les politiques fructueuses.

Ceci indique que, au lieu d’assister à un concours de personnalité, la prochaine élection sera plus dans le domaine de la lutte des idées. Lorsque la bataille sera bel et bien commencée, les Canadiens devront choisir quelles idées collent mieux au pays et au monde turbulent dans lequel on vit.

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