Après les combats en Géorgie, vers un remodelage du Caucase

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
07.09.2008

  • De vieux Géorgiens d’Ossétie du Sud, chassés de leur village (攝影: / 大紀元)

 

Le rétropédalage récent du ministre des Affaires étrangères français, Bernard Kouchner, sur la question de sanctions économiques contre la Russie, est une sorte de scénario miniature de ce que devaient être les suites de la guerre éclair dans le Caucase : l’Europe comme les Etats-Unis ne pourront s’offrir vis-à-vis de Moscou que des prises de position verbales fortes, car malgré l’isolement international de la Russie que même la Chine ne réussit pas à soutenir à pleine voix, Moscou sort grand vainqueur de la crise dans le Caucase.

L’exemple de l’indépendance acceptée du Kosovo il y a à peine six mois ne donne en effet à Bruxelles et Washington que peu de légitimité pour s’opposer à ce que Moscou reconnaisse l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Lesquelles annoncent déjà souhaiter rejoindre prochainement la « grande nation » russe. SUIVANT la recommandation faite lundi 25 août par le Conseil de la Fédération (130 votes pour – 0 contre) puis par la Douma (447 voix pour – 0 contre), le président russe Dmitri Medvedev a donc annoncé le 26 août la reconnaissance offi cielle de l’indépendance de l’Akhazie et de l’Ossétie du Sud.

C’est la conclusion d’une crise qui dure depuis les années 1990 entre Russie et Géorgie. Les deux provinces ne sont plus sous contrôle géorgien depuis le milieu des années 90, et l’Occident déjà empêtré en Irak et en Afghanistan n’a pas les moyens d’ouvrir une troisième zone de confl it. Après de multiples accrochages en juillet et 4 jours après que les Ossètes aient annoncé faire évacuer tous les enfants de la région en prévision d’une attaque – ce que Tbilissi qualifi ait alors de propagande – l’offensive géorgienne a été lancée le 7 août au soir. D’après l’édition du samedi 30 août du journal allemand Der Spiegel , qui a obtenu de rapports d’observateurs militaires de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), cette offensive était une action unilatérale et planifi ée de longue date.

Dès le lendemain, les blindés et les troupes d’élite russes intervenaient et reprenaient le contrôle de Tskhinvali, la capitale ossète. Le président sécessionniste de la province, Edouard Kokoïty, affi rmait alors que plusieurs milliers de civils avaient été tués par les bombardements de l’armée géorgienne – l’association humanitaire Human Rights Watch estimant, elle, qu’ils sont quelques dizaines. Le 10 août, les alentours de la capitale géorgienne Tbilissi étaient bombardés, le 11 les forces russes occupaient la ville de Gori. Leur progression a cessé à partir du cessez-le-feu du 12 août, mais leur retrait de Géorgie n’est devenu effectif qu’aux alentours du 22. Entre temps, les deux parties se sont à loisir mutuellement accusées de génocide et de nettoyage ethnique.

Pour Vladimir Poutine qui s’exprimait vendredi 29 août devant la télévision allemande ARD, l’action géorgienne a été poussée par le Président américain Georges W Bush, et assistée sur place par des stratèges américains: «Nous savons qu’il y a sur place beaucoup de conseillers américains… mais les instructeurs, les enseignants et le personnel pour les armes devraient êtres dans les centres d’enseignement et les terrains d’entraînement – mais où étaient-ils ? Ils étaient dans la zone des opérations militaires. Et cela nous pousse à conclure que les dirigeants américains savaient ce qui se préparait et y ont probablement pris part».

«De façon signifi cative la crise a été provoquée, y compris par nos amis américains dans leur lutte électorale. Les ressources de l’administration ont été détournées de façon déplorable pour offrir l’avantage à l’un des candidats, dans le cas présent celui du parti au pouvoir. » Comprenez : un cadeau pour John Mc Cain, aidé par l’administration Bush qui sait que la réélection du Président en 2004 ne s’est faite qu’en raison des inquiétudes des Américains pour leur sécurité, et que la fermeté républicaine est toujours préférée à la diplomatie démocrate dans les situations internationales tendues.

LA RECOMPOSITION DE L’ÉQUIPE RUSSE

Mais, si tous les journaux européens titrent sur la « solitude » de la Russie face à ses partenaires occidentaux ou au Conseil de Sécurité de l’ONU où elle n’a pas reçu le soutien offi ciel de ses alliés habituels tels que la Chine, le Vietnam ou la Lybie, ils oublient que son action est vue de façon très positive en Asie Centrale, au Moyen-Orient et jusqu’en Chine.

Par exemple, lorsque les dirigeants des pays de la SCO (Organisation de coopération de Shanghai) se sont réunis le 29 août au Tadjikistan, la déclaration commune de la Chine, du Kazakhstan, du Tajikistan et de l’Ouzbekistan a été largement favorable à Moscou, puisqu’en même temps qu’ils appellent les parties à «résoudre les problèmes pacifiquement et par la dialogue», ils expriment «leur soutien pour le rôle positif de la Russie dans la promotion de la paix et de la coopération dans la région.» Les rares pays à ce jour ayant reconnu l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud sont, sans que cela surprenne, ceux qui ont fait du rapprochement avec Moscou un point-clé de leur stratégie internationale.

Après la Biélorussie, c’est le Vénezuela d’Hugo Chavez qui s’est exprimé: «La Russie a reconnu l’indépendance de l’Abkhasie et de l’Ossétie du Sud. Nous soutenons la Russie. La Russie a raison et défend ses intérêts», a indiqué Hugo Chavez le 30 août, cité par l’agence Reuters, depuis un puits de pétrole à Orinico. La Russie annonce par ailleurs qu’une réunion d’anciennes républiques soviétiques aura lieu en septembre pour aborder ce même sujet, et possiblement obtenir de nouveaux soutiens fermes. La semaine dernière déjà, le président russe Dimitri Medvedev et son homologue Tadjik Emomali Rakhmon ont annoncé «vouloir renforcer leur coopération militaire dans le futur pour garantir la sécurité nationale et régionale», indique le quotidien britannique Financial Times.

Premier pas vers le renforcement d’un nouveau bloc pro-russe en Asie Centrale. Moscou pourra probablement compter également, sinon sur un soutien offi - ciel, du moins sur la sympathie de l’Iran. L’agence RIA Novosti cite le président iranien Mahmoud Ahmadinejad en visite au Tadjikistan le 29 août comme disant: «Nous savons que les sionistes se sont immiscés dans les problèmes géorgiens, mais nous espérons que les peuples du Caucase du sud viendront à bout de leurs difficultés et vivront en paix.»

ÉTAPE SUIVANTE: INCORPORATION AU TERRITOIRE RUSSE

Les Ossètes disposent depuis 2001 de passeports russes et les peuples d’Abkhazie comme d’Ossétie du Sud voient majoritairement en la Russie - et ce depuis les premiers confl its avec la Géorgie au début des années 90 - une amie et un allié. Un représentant du Parlement d’Ossétie du Sud, Znaur Gassiyev, cité par le Financial Times, indique que les discussions entre le président russe Dimitri Medved et le président d’Ossétie du Sud Edouard Kokoity, commencée en cette dernière semaine d’août, pourraient conduire à une fusion des deux pays. L’information, ou du moins le souhait, est confi rmé par un autre parlementaire, Tarzan Kokoiti, qui affirme: «Nous vivrons dans un état russe uni.»

Dans le même temps, l’Abkhazie pourrait rejoindre l’union Biélorussie- Russie d’après son ministre des Affaires étrangères, Sergei Shamba. La perte de l’Abkhazie et de l’Osssétie du Sud représente une amputation d’environ 25% du territoire géorgien, même si la population d’Ossétie du Sud ne dépasse pas les 70.000 âmes. Tbilissi a rompu toute relation diplomatique avec Moscou le 29 août. Alexandre Lomaia, secrétaire du conseil de sécurité nationale géorgien, indique que cette décision est «la réponse diplomatique à la nouvelle réalité politique de l’invasion par la Russie du territoire géorgien.» Les déclarations sur une possibilité d’union de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud à la Russie prouvent pour lui simplement « ce qui a toujours été évident pour nous, c’est-à-dire que le conflit n’était pas une quête d’indépendance de ces états, mais une ambition russe d’annexer une partie de la Géorgie.»

D’après Interfax news, un responsable russe indique de plus que Moscou prévoit déjà d’établir deux nouvelles bases militaires en Abkhazie, ce que confi rme indirectement le ministre Sergei Shamba en parlant de la très prochaine signature d’un accord de coopération militaire avec la Russie. Alexander Stubb, ministre des Affaires étrangères fi nlandais et président en exercice de l’OSCE, lui, accuse déjà la Russie de tenter de vider l’Ossétie du Sud de sa population géorgienne, sur la base d’informations fournies par les observateurs militaires de l’OSCE. « Ils essaient clairement de vider l’Ossétie du Sud des Géorgiens, ce qui ne suit il me semble aucun des livres sur les relations internationales », a indiqué le ministre à la BBC.

DES MESSAGES EN FILIGRANE

Tout avance très vite dans le Caucase à l’heure actuelle, heure qui est aux démonstrations de puissance. Des porte-paroles militaires russes ont ainsi annoncé jeudi 28 août avoir testé avec succès un missile intercontinental Topol SS-25. «Le tir avait pour but principal de tester la capacité du missile d’éviter les systèmes de détection au sol» précise le colonel Alexander Vovk. Autrement dit, la capacité de ce missile d’une portée de 10.000 km et pouvant porter une charge nucléaire de 550 kilotonnes, d’échapper au bouclier anti-missiles américain.

À peu près au même moment, Washington et Varsovie signaient l’accord autorisant l’installation d’une partie du dit bouclier anti-missiles sur le territoire polonais. Pour ajouter encore un peu de piment à la situation caucasienne, l’ancien commandant de la Flotte russe de la mer Noire Edouard Baltine, cité par l’agence de presse offi cielle russe RIA Novosti, déclare : « Les navires de l’OTAN déployés en mer Noire ne forment pas un groupe apte au combat malgré leur puissance apparente. Une salve du croiseur lance-missiles Moskva et deux ou trois vedettes lance-missiles de la fl otte russe suffi ront pour les détruire en 20 minutes » - réponse indirecte à l’annonce de l’arrivée prochaine de huit autres navires.

UN CONSEIL DE SÉCURITÉ TÉTRAPLÉGIQUE

Pendant que la situation sur le terrain ancre le succès de la Russie, le Conseil de Sécurité des Nations unies a été incapable en six réunions spéciales de s’accorder sur une simple déclaration, même édulcorée, quant à la situation en Géorgie. Pendant que les diplomates onusiens tentaient de trouver des mots pour véhiculer la notion « d’intégrité territoriale » de la Géorgie, Moscou reconnaissait tranquillement l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud.

Comme trop souvent, c’est le fameux droit de véto des membres permanents du Conseil de Sécurité (États- Unis, Royaume-Uni, France, Chine, Russie) qui rend les Nations unies totalement ineffi caces – car il n’existe quasiment plus de situation internationale aujourd’hui où l’un des membres du Conseil de Sécurité au moins ne soit à la fois juge et partie: en juillet, la Russie et la Chine ont bloqué les sanctions proposées contre le régime zimbabwéen.

La Chine, depuis des années, bloque les résolutions de condamnation du Soudan pour son rôle dans le génocide du Darfour. Les États-Unis utilisent également leur véto pour adoucir les critiques contre Israël. Cette tétraplégie du Conseil de Sécurité ne pourra malheureusement être résolue par l’élargissement prévu du nombre de ses membres permanents, mais probablement par une suppression du droit de véto.

Ce vers quoi les diplomates hésitent à s’aventurer de peur de faire revivre le fonctionnement de la Société des Nations dont l’efficacité n’était pas plus grande. Le moyen de pression le plus efficace pourrait venir d’ailleurs : la Russie vient de perdre pour les investisseurs son image de stabilité.

Les menaces de sanctions économiques et de restriction de visa, pour hypothétiques qu’elles soient, ont fait plonger la bourse russe qui a perdu 4 milliards d’euros en deux jours, concède le ministre russe des fi nances, Alexei Koudrin. D’après la banque d’investissement française BNP Paribas contactée par l’Associated Press, ce sont près de 17 milliards d’euros de capitaux qui ont fui la Russie depuis le début du confl it géorgien. Si des concessions sont à attendre de Moscou, c’est donc probablement la boule de cristal des cours boursiers qui les annonceront.