Le tournant de l’Afrique du Sud en 2009

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
14.01.2009

 

  • Des partisans de l'ex-ministre sud-africain de la Défense, Mosiuoa Lekota(Stringer: AFP / 2008 AFP)

Après une année 2008 marquée par un remaniement complet de la tête de l’ANC (African National Congress – Congrès national africain), les élections générales prévues en avril devraient voir émerger, pour la première fois depuis quinze ans, une véritable opposition. Le parti de Jacob Zuma l’a bien compris et a lancé avec pugnacité, le 10 janvier, sa campagne électorale. Son adversaire de toujours, l’ancien président Thabo Mbeki − dont l’absence à ce Congrès de l’ANC a été fort remarquée − pourrait trouver dans ces élections l’occasion de renaître de ses cendres. À la mi-décembre, ses proches ont créé un nouveau parti, le COPE (Congrès du Peuple), déjà crédité de 15 % des voix. Les élections du mois d’avril doivent être un tournant pour l’Afrique du Sud, avec des implications à prévoir à l’échelle du continent – et notamment dans la politique vis-à-vis du Zimbabwe voisin.

Annoncé de longue date et appelé des vœux de la plupart des observateurs, l’égrènement de l’ANC a commencé au mois de décembre. Avec la création du COPE dirigé par Mosiuoa Lekota, l’ancien ministre de la Défense sous Mbeki, l’unité artificielle de l’ANC s'est enfin brisée.

Le congrès fondateur du COPE a eu lieu le 16 décembre 2008 à Bloemfontein, ville de naissance de l’ANC en 1912, comme pour symboliser une renaissance de «l’union sacrée» dont la raison d’être a été pendant près d’un siècle la lutte contre l’apartheid. Car depuis son accession au pouvoir en 1994, le parti de Nelson Mandela a peiné à faire face aux défis sociaux du pays, alors que le débat démocratique restait étouffé par l’omniprésence d’un ANC rassemblant de l’extrême-gauche jusqu’aux libéraux et fonctionnant en vase clos.

Il aura fallu la lutte interne entre Thabo Mbeki, président d’Afrique du Sud de 1999 à 2008, et Jacob Zuma, qui l’a remplacé à la tête de l’ANC lors du congrès de Polokwane en décembre 2007, pour accélérer la création d’un réel pluralisme politique en Afrique du Sud.

Le 20 septembre 2008, l’ANC ralliée à Jacob Zuma a publiquement humilié Thabo Mbeki en le forçant à démissionner de la présidence du pays suite aux révélations d’un juge chargé des poursuites pour corruption contre Zuma, sur qui le camp Mbeki aurait exercé des pressions politiques pour arriver à une condamnation de Zuma.

Près d’un tiers du gouvernement a alors suivi Mbeki en démissionnant de même, dont le ministre des Finances, Trevor Manuel – considéré comme le responsable de la croissance économique du pays – ce qui a fait anticiper la partition annoncée de l’ANC.

Virage à gauche de l’ANC, COPE sous couleurs Mbeki

Le COPE dit compter déjà près de 400 000 adhérents. Son programme politique, qui n’a pas encore été dévoilé, mais qu’on anticipe de centre-droit dans la lignée de la présidence Mbeki, s’appuie déjà sur un discours focalisé sur la corruption supposée de Jacob Zuma. Le parti envisagerait d’ailleurs une coalition avec d’autres partis d’opposition, notamment l’Alliance démocratique qui peut récolter environ 10 % des suffrages et qui regroupe les anciens partis progressistes et détient la faveur des électeurs blancs.

Les membres du COPE incluent des déçus de l’ANC et de sa logique de clan : Nomonde Mahajana, une déléguée du Nord-Ouest citée par le Mail & Guardian, explique : «Nous sommes fatigués de l’ANC. Nous voulons du changement et de la protection. L’ANC ne fait qu’accumuler de l’argent sans nous protéger.» Esme Moetsi, une conseillère municipale de Kimberley, indique, elle, au même journal avoir rejoint le COPE parce que «l’ANC travaille pour l’ANC et pas pour les Sud-africains».

 

Le ralliement au nouveau parti d’un des grands icônes de la lutte anti-apartheid, Allan Boesak, a créé une grande émotion au mois de décembre et inquiète les dirigeants de l’ANC. «Nos espoirs n’ont pas reçu de réponse, nos rêves ont été piétinés, notre aspiration à la justice n’a pas été satisfaite. Nous n’avons toujours pas un pays unifié. Nos idéaux ont été remplacés par la désillusion. Le COPE doit être la nouvelle vision pour que l’Afrique du Sud construise une maison pour tous.»

 

Autre icône décédée le 1er janvier, l’ancienne élue progressiste sud-africaine Helen Suzman − qui dénonça pendant des années le régime d’apartheid depuis la Chambre des députés − rejoignait déjà ce constat en 2007 quand elle estimait, dans un entretien avec l’AFP, que «ce qui l’a remplacé [l’apartheid] n’est pas très satisfaisant» : «Les hôpitaux sont une honte [...] le système éducatif est choquant [...] la criminalité trop élevée.» Pour ce qui est du fonctionnement du Parlement, même en plein apartheid, disait-elle alors : «J’ai toujours eu la possibilité d’exprimer mes opinions [...] Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile, le rôle de l’opposition n’est pas reconnu. Les questions restent sans réponse, elles sont déclarées invalides...»

La pression est forte sur le COPE dont les meetings sont systématiquement perturbés par des membres de l’ANC et dont le congrès fondateur a eu lieu en plein dans une manifestation organisée par l’ANC, et à laquelle participait Jacob Zuma lui-même. Celui-ci n’a pas obtenu le positionnement espéré de la part de Nelson Mandela, qui dans sa lettre au congrès de l’ANC indique : «J’ai choisi et ai fait savoir publiquement que je ne m’impliquerai pas dans ces questions politiques. C’est à la nouvelle génération de prendre les rênes et les responsabilités; la nôtre a fait aussi bien qu’elle le pouvait en son temps.»

Zuma a, lors de ce congrès, impulsé un virage politique marqué à l’ANC. L’ANC vire à gauche titrait le Mail & Guardian le 11 janvier 2009. Il satisfait ainsi toute l’aile gauche du parti, en particulier le congrès des syndicats sud-africain et les communistes qui l’ont porté à la tête de l’ANC à la fin de 2007 – mouvement vers une éducation gratuite, lutte contre la corruption, renforcement du rôle de l’État dans l’économie et investissements publics pour aider à la création d’emplois : «La création d’emplois décents sera au centre de toutes nos mesures économiques. Nous mettrons en place un système complet de mesures industrielles sous contrôle de l’État, qui guideront les investissements publics et privés pour soutenir la création d’emplois et une plus grande transformation économique.»

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Les difficultés à venir

L’éclatement annoncé de l’ANC a donc eu lieu et ouvre de nouvelles voies à l’Afrique du Sud. Dans sa lettre au congrès de l’ANC, Nelson Mandela indique : «Les principales difficultés pour notre pays restent la consolidation et l’approfondissement de notre démocratie et l’amélioration fondamentale de la vie de tous les Sud-africains.»

Pour le COPE, tout l’objectif est de réussir à obtenir avec ses alliés une minorité de blocage au Parlement, soit le tiers des sièges, afin que le débat démocratique puisse réellement avoir lieu.

Il est largement supposé qu’en avril le nouveau Parlement élu lors des élections législatives nommera Jacob Zuma président de la république sud-africaine, sauf si l’opposition est devenue assez forte pour s’y opposer, auquel cas un maintien en fonction de Kgalema Motlanthe est envisageable.

Le nouveau gouvernement devra alors trouver les solutions à la situation sociale tendue : L’Afrique du Sud a beau être la première économie du continent africain, le chômage y sévit au point que, au début de 2008, des dizaines d’immigrés zimbabwéens accusés de voler les emplois des Sud-Africains ont été lynchés. La redistribution des terres cultivables détenues par des fermiers blancs prend plus de temps que prévu – elle est censée atteindre 30 % des terres d’ici 2014 – et augmente la tension entre populations blanches et noires.

Enfin, fortement critiquée pour sa politique africaine perçue comme impérialiste et pour son soutien au régime de Robert Mugabe au Zimbabwe, l’Afrique du Sud est attendue sur ses futures positions. Jacob Zuma, dont la fille vient d’épouser un des ténors de l’opposition zimbabwéenne, a déjà donné quelques signes d’un futur changement de ton en s’engageant lors du congrès de l’ANC à «trouver une solution» à la fois pour la crise au Zimbabwe et celles au Soudan et en Somalie. Il devra par contre compter avec ses alliés d’extrême-gauche qui ont, eux, refusé de rencontrer le leader de l’opposition zimbabwéenne, Morgan Tsvangirai, possiblement du fait d’une vieille sympathie envers un Robert Mugabe pourfendeur des États-Unis et allié des communistes durant la Guerre froide.