Le cercle des fées

Écrit par Contes.biz
24.01.2009

 

Un jour, un garçon d'une douzaine d'années avait mené le troupeau de moutons de son père sur les pentes du Petit-Freni, non loin du village de Crymych. Quand il fut arrivé à la pâture, il y avait encore un peu de brouillard autour du sommet de la montagne, et le garçon essayait de voir d'où était venu ce brouillard. Les gens du pays disaient en effet que lorsque le brouillard venait du côté de Pembroke, il ferait beau, mais s'il venait de Cardigan, il ferait mauvais.

Comme il regardait autour de lui ce paysage tranquille et silencieux, la surprise le fit tout à coup sursauter : il apercevait en effet, sur les pentes du Grand-Freni, un groupe de gens qu'il croyait bien être des soldats en train de s'affairer en cercle, comme pour un exercice. Mais le garçon commençait à connaître les habitudes des soldats, et il se dit en lui-même qu'il était trop tôt dans la journée pour que ceux-ci fussent déjà là. Laissant le troupeau pâturer tranquillement sous la garde des chiens, il marcha dans cette direction et, quand il fut plus près, il constata que ce n'était pas des soldats qu'il voyait ainsi, mais des gens appartenant au peuple féerique. Et ils étaient occupés à danser en rond, sans se soucier de ce qui se passait autour d'eux.

Le garçon avait entendu bien des fois les vieux du village parler des fées et, lui-même, avait vu souvent les cercles qu'avaient laissés les «petites gens» sur l'herbe, le matin, après avoir dansé toute la nuit. Mais il n'en avait jamais encore rencontré. Sa première idée fut de retourner en hâte à la maison pour raconter à ses parents ce qu'il avait vu mais il renonça à ce projet, se disant que les fées risquaient de ne plus être là lorsqu'il reviendrait.

Il se décida à approcher prudemment pour mieux les observer. De toute façon, il savait bien que les «petites gens» ne l'attaqueraient pas : tout ce qu'il craignait, c'est qu'elles disparaissent lorsqu'elles se seraient aperçues de la présence d'un être humain. Il s'avança donc le long des haies pour mieux se dissimuler et parvint ainsi sans encombre le plus près possible du cercle. Là, il se tint immobile et ouvrit les yeux tout grands pour ne rien perdre de la scène.

Il put ainsi constater que, parmi eux, il y avait un nombre égal d'hommes et de femmes, mais tous étaient extrêmement élégants et enjoués. Par contre, ils n'étaient pas tous en train de danser, quelques-uns se tenaient tranquillement à proximité immédiate du cercle, attendant d'entrer dans la ronde. Certaines femmes montaient de petits chevaux blancs fringants. Mais ils portaient tous de beaux vêtements de différentes couleurs, et c'est parce que certains d'entre eux avaient des habits rouges que le garçon avait pensé à des soldats.

Il était là, en pleine contemplation de ce spectacle inhabituel, quand les «petites gens» l'aperçurent. Au lieu de paraître hostiles ou de s'enfuir, elles lui firent signe d'entrer dans le cercle et de se joindre à leurs danses. Il n'hésita pas mais, dès qu'il fut entré dans le cercle, il entendit la plus douce et la plus irrésistible musique qu'il connût. Immédiatement, sans comprendre ce qui se passait, il se retrouva au milieu d'une élégante demeure, aux murs recouverts de tapisseries de toutes les couleurs.

Des jeunes filles ravissantes l'accueillirent et le conduisirent dans une grande salle où de la nourriture appétissante était disposée sur une table. Elles l'invitèrent à manger, et le garçon – qui ne connaissait guère que les habituelles pommes de terre au lait de beurre qui constituaient le repas à la ferme – se régala avec des plats d'une exquise finesse, tous à base de poisson. Et on lui donna à boire le meilleur vin qu’il fût dans des coupes d'or serties de pierres précieuses.

Le garçon se croyait au paradis. La musique et le vin l'engourdissaient, et la vue de ces jeunes filles empressées autour de lui le ravissait. L'une d'elles lui dit alors d'un ton aimable :

– Tu peux rester ici autant que tu veux. Tu te réjouiras avec nous jour et nuit et tu auras à manger et à boire autant que tu le désires. Mais il y a une chose que tu ne devras jamais faire : c'est de boire l'eau du puits qui se trouve au milieu du jardin même si tu as très soif, car alors, tu ne pourrais plus demeurer ici.

Le garçon se hâta d'assurer qu'il prendrait grand soin à ne pas enfreindre cette interdiction. Quand il fut bien rassasié, les jeunes filles l'emmenèrent danser. Il ne se sentait pas fatigué le moins du monde, il se sentait capable de s'amuser ainsi durant sa vie entière. Jamais il n'avait été à une telle fête, jamais il n'avait éprouvé une telle joie, un tel bonheur de se trouver au milieu d'un luxe inconnu, avec des gens élégants et distingués qui le traitaient ainsi avec douceur et courtoisie. Il lui arrivait de penser à la ferme, à son troupeau, à ses parents, mais il chassait vite ces images de son esprit pour mieux s'absorber dans la danse et la musique.

Un jour, cependant, comme il prenait l'air dans le jardin au milieu des fleurs les plus belles et les plus parfumées, il s'approcha du puits et se pencha pour voir ce qu'il y avait à l'intérieur : il aperçut une multitude de poissons brillants qui frétillaient et qui renvoyaient vers lui la lumière du soleil. Alors, il ne put résister : il tendit son bras et sa main toucha la surface de l'eau.

Aussitôt, les poissons disparurent et un cri confus se répandit à travers le jardin et la demeure. La terre se mit à trembler brusquement et le garçon se retrouva au milieu de son troupeau, sur la pente du Petit-Freni. Il y avait toujours la brume au sommet de la montagne, mais le garçon eut beau chercher partout, il ne put découvrir aucune trace du cercle, aucune trace du puits ni de la demeure des fées. Il était seul sur la montagne, et ses moutons paissaient paisiblement comme si rien ne s'était passé.