Les droits de l’homme ont stagné en 2008

Écrit par Gary Feuerberg, La Grande Époque
29.01.2009

 

Obama doit faire de leur progression une priorité pour les États-Unis et le monde, estiment Human Rights Watch et Freedom House

WASHINGTON, D.C. – Durant l’année 2008, les défenseurs de la démocratie et des droits de l’homme ont dû faire face à un adversaire sophistiqué et déterminé à saper l’influence des pays libres, selon deux rapports d’ONG publiés tout récemment.

  • Prison de Guantanamo(Pool: BRENNAN LINSLEY / 2009 AFP)

Human Rights Watch (HRW) et Freedom House ont conclu, dans leurs rapports 2009 respectifs, que les régimes autoritaires ont mené une campagne contre les droits de la personne afin d’empêcher les réformes. Les deux organisations s’accordent pour dire que l’administration Obama devra faire des droits de l’homme sa priorité si les États-Unis veulent redevenir un leader mondial dans ce domaine.

«Ces opposants aux droits de la personne défendent le droit des gouvernements à faire ce qu’ils veulent à leur population», a souligné Kenneth Roth, directeur exécutif de HRW, lors d’une conférence de presse le 14 janvier 2009 au National Press Club de Washington. M. Roth se réfère à des pays comme l’Algérie, l’Égypte, le Pakistan, la Chine et la Russie, qui agissent avec un appui tacite de pays «libres» comme l’Afrique du Sud et l’Inde.

De nos jours, aucun pays n’oserait se prononcer ouvertement contre les droits de l’homme, explique M. Roth. Les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptés il y a 60 ans, sont devenus trop entrelacés à la diplomatie internationale pour s’y opposer publiquement.

«Ils se cachent derrière les principes de souveraineté, de non-ingérence et de solidarité [avec les pays] du Sud, mais leur objectif véritable est de museler les critiques concernant leurs propres violations des droits de l’homme ou celles de leurs alliés et amis», a poursuivi Kenneth Roth.

En effet ces États-nations, qualifiés de «gâcheurs» par Roth, ont dominé les discussions intergouvernementales sur les droits de l’homme et ont réussi à empêcher les Nations Unies de prendre des mesures contre la «sévère répression en Ouzbékistan, en Iran... en République démocratique du Congo». Ils ont aussi freiné la mise en place d’accords multilatéraux qui auraient pu améliorer quelque peu les situations en Birmanie, au Darfour, au Sri Lanka et au Zimbabwe.

Arch Puddington, directeur de la recherche chez Freedom House et auteur du rapport de l’organisation, indique que la réaction violente contre la démocratie et les réformes a été déclenchée par les «révolutions colorées» survenues de 2003 à 2005 en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizstan où des sociétés postcommunistes se sont débarrassées des élites autocratiques et corrompues, et ce, de manière généralement non violente.

«De puissants régimes partout dans le monde ont réagi aux révolutions colorées avec des mesures sévères et calculées spécifiquement conçues pour éliminer les réformateurs démocrates, l’aide internationale destinée à ces réformateurs et finalement l’idée même de démocratie», explique Puddington.

Particulièrement après la Révolution orange en Ukraine, «de nombreux gouvernements ont pris des mesures pour réprimer l’opposition domestique, affaiblir les médias indépendants et nuire aux efforts d’aide apportée par des ONG basées aux États-Unis ou ailleurs», écrit Puddington.

Freedom House et Human Rights Watch affirment toutes deux que l’administration Bush a laissé tomber les droits de l’homme, ce qui a permis à des régimes autoritaires de prendre l’initiative dans ce domaine et ainsi causer plus de tort. L’administration Obama devra faire des droits de la personne une priorité en politique étrangère et intérieure afin de reprendre l’initiative, estiment les deux ONG.

HRW soutient que l’administration Bush a cessé de défendre les droits de l’homme lorsqu’elle a décidé de combattre le terrorisme sans avoir d’égard pour un «combattant ennemi» subissant la torture, les disparitions forcées et les détentions indéfinies à Guantanamo sans que des accusations soient portées contre les prisonniers et sans qu’ils subissent des procès.

Points principaux des rapports

Dans l’échelle de liberté établie par Freedom House, la Russie a poursuivi sa chute. L’année dernière, Dmitri Medvedev a remplacé Vladimir Poutine au poste de président dans une «élection dans laquelle les candidats d’opposition étaient marginalisés par des lois et des règlements faisant de la Russie un État de facto à parti unique», écrit Paddington.

Des pratiques de plus en plus répressives au niveau domestique et en Tchétchénie ont incité la Russie à affaiblie les interventions internationales en faveur des droits de l’homme. Moscou a bloqué au Conseil de sécurité de l’ONU des résolutions importantes sur la Birmanie et le Zimbabwe, souligne Roth. Elle intimide également les gouvernements européens pour qu’ils ferment les yeux sur les crimes commis en Tchétchénie.

En matière de droits politiques, la situation dans les États non baltiques de l’ex-URSS s’est détériorée ces dernières années. Ces pays incluent l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, le Kirghizstan et la Moldavie. En Arménie, par exemple, plus de 100 personnes ont été incarcérées après avoir voté lors de l’élection présidentielle, et la force a été utilisée pour briser les manifestations de l’opposition.

D’un point de vue général, les gains démocratiques les plus importants sont survenus en Asie du Sud, estime Freedom House. Le statut du Pakistan est passé de «non libre» à «partiellement libre» lorsque l’ex-général Pervez Musharraf a cédé pour laisser place à des élections. Cette même amélioration est survenue dans deux autres pays asiatiques, le Bhoutan et les Maldives, qui ont tous deux tenu des élections avec succès. Le Bangladesh, le Népal, la Malaisie et la Thaïlande auraient également enregistré de modestes gains.

Les succès de la démocratie en Asie – Taiwan, Corée du Sud, Japon ainsi que l’Inde et l’Indonésie toutes deux diversifiées sur le plan ethnique et religieux – «réfutent la théorie disant que la démocratie n’est pas compatible avec la culture asiatique», malgré que la région abrite encore les régimes les plus brutaux et répressifs de la planète, soit la Chine, la Corée du Nord, la Birmanie, le Vietnam et le Laos.

C’est avec surprise que l’Inde, la plus grande démocratie, semble moins intéressée à promouvoir la démocratie et les droits de l’homme à l'extérieur de ses frontières qu’à l’intérieur, fait remarquer Kenneth Roth. L’Inde a bloqué, s’est abstenue ou a voté contre des résolutions ou des actions concernant les dossiers des droits de la personne du Soudan, de la Corée du Nord, de Cuba et du Bélarus.

{mospagebreak} Selon M. Roth, une des raisons qui explique le manque d’enthousiasme de l’Inde pour les droits de l’homme est cette notion très enracinée que ces droits sont un concept occidental et que leur protection internationale est une prolongation du colonialisme.

L’Irak, même si toujours «non libre», est le seul pays du Moyen-Orient qui montre un progrès en raison de la «réduction de la violence, du terrorisme politique et des milices chiites appuyées par le gouvernement», selon Freedom House. Le niveau de liberté en Afghanistan est passé de «non libre» à «insécurité grandissante», et il y a eu une augmentation de la «corruption et de l’inefficacité des institutions gouvernementales».

La grande déception en 2008 a été la Chine, alors que les dirigeants du Parti communiste n’ont pas tenu leurs promesses de garantir plus d’ouverture et de respect des droits de l’homme en tant que pays hôte des Jeux olympiques. Le régime a réprimé les blogueurs et les journalistes d’Internet, a placé des avocats défenseurs des droits en résidence surveillée, a emprisonné les militants démocrates et a persécuté les manifestants, selon Freedom House. Les chrétiens et les pratiquants de Falun Gong ont également été «victimes de contrôles renforcés», affirme Puddington.

Le système judiciaire chinois a connu des échecs l'année dernière. Le droit des avocats de la défense de rencontrer en détention des criminels suspects ne s'appliquait pas lorsque les cas impliquaient des «secrets d'État», rapporte HRW. Le ministère de la Justice a «menacé de ne pas renouveler le permis de pratique d'une douzaine d'avocats de Pékin qui s'étaient offerts publiquement pour représenter les manifestants tibétains».

Le régime a également interdit aux avocats de représenter les victimes des «écoles mal construites qui se sont effondrées durant le séisme au Sichuan» et celles des «compagnies laitières au lait empoisonné», indique HRW.

Les deux rapports soulignent la persécution, par le régime chinois, des Tibétains et des Ouighours du Xinjiang. De nombreux Tibétains ont été tués par la police durant les manifestations du mois de mars 2008 dans les régions tibétaines, et les autorités ont arrêté – ou imposé une amende – les Tibétains «suspectés de passer de l'information à l'étranger», mentionne le rapport de HRW. Des moines de Lhassa ont fait état à des journalistes étrangers d'une «campagne massive de “rééducation patriotique” lancée par le [régime] dans les monastères et les lieux de culte», rapporte HRW.

Au Xinjiang, les autorités communistes chinoises ont même interdit aux musulmans de jeûner durant le Ramadan. HRW rapporte qu'en février 2008, la Chine a mis en vigueur des règlements qui interdisent 23 types d'activités religieuses «illégales», incluant la prière en public ou durant des mariages.

Deux rapports en un coup d'œil

Le 19e rapport annuel de Human Rights Watch, World Report 2009, est un ouvrage de 564 pages qui révise et résume les pratiques en matière de droits de l'homme dans 90 pays et territoires, de l'Afghanistan au Yémen, avec un chapitre spécial sur les États-Unis.

Celui de Freedom House, Freedom in the World 2009, examine l'état de la liberté dans pratiquement tous les pays du globe : 193 pays et seize territoires. En utilisant une grande variété d'indicateurs, Freedom House classe les pays dans trois grandes catégories : «libre», «partiellement libre» et «non libre». On retrouve respectivement dans ces catégories 46 %, 32 % et 22 % des 193 pays.

Les pires pays dans la catégorie «non libre» sont demeurés les mêmes : Corée du Nord, Turkménistan, Ouzbékistan, Libye, Soudan, Birmanie, Guinée équatoriale et Somalie, en plus de deux territoires : Tibet et Tchétchénie.

Certains autres pays «non libres» ne sont pas beaucoup mieux, comme la Chine, Cuba, l'Érythrée, le Laos, l'Arabie saoudite et le Zimbabwe.

Freedom House se décrit comme «une organisation non gouvernementale indépendante qui appuie l'expansion de la liberté dans le monde. La liberté est possible seulement dans des systèmes politiques démocratiques dans lesquels les gouvernements sont redevables devant leur propre population; où prime l'État de droit; et où sont garanties les libertés d'expression, d'association, de croyance, de même que le respect des droits des minorités et des femmes». Fondée en 1941, Freedom House a la réputation de donner l'heure juste sur le degré de liberté dans un pays.

Human Rights Watch est une ONG indépendante qui, depuis 1978, œuvre à défendre et à protéger les droits de l'homme. En focalisant l'attention internationale là où les droits de la personne sont violés, HRW cherche à exercer une grande pression afin que des mesures soient prises pour mettre fin à ces violations.