L’année 2009 et la construction européenne

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
06.01.2009

  • u00ab Non c’est Non » dit la banderole. Sauf si ??(Staff: DOMINIQUE FAGET / 2008 AFP)

Une des principales dates de 2009 pour l’Europe sera sans conteste le nouveau référendum sur le Traité Européen simplifié, prévu en Irlande au mois d’octobre. La ratification de ce traité, dit de Lisbonne, reste une préoccupation majeure dans l’Union et conditionne la poursuite de la construction politique de l’Union Européenne. Les Irlandais, qui ont rejeté en juin 2008 cette version bis d’un premier traité qu’avaient déjà refusé les électeurs français et hollandais, seront donc à nouveau consultés sur la base de garanties nouvelles. L’obtention espérée de leur Oui devrait être l’une des ultimes étapes – avec le vote des Tchèques et la signature des présidents allemand et polonais – dans la construction d’un bloc politique européen.

 

Tout juste après la fin d’une présidence tchèque anticipée comme « eurosceptique », les Irlandais rejoueront donc à quitte ou double l’avenir de la construction européenne. Le «Non» clair donné par les Irlandais lors du premier référendum sur le traité simplifié de Lisbonne le 12 juin 2008 a ébranlé l’ensemble des 26 pays de l’Union, d’autant que la ratification en était quasiment finalisée dans l’essentiel des autres pays. La question que tous se posent aujourd’hui est donc : la donne sera-t-elle différente en 2009 dans un contexte de crise économique mondiale et de présidence démocrate aux États-Unis?

Dans les deux camps ont est au moins d’accord sur le fait que certains éléments ont eu un rôle clé dans le 53 % / 47 % en faveur du Non. Parmi celles-ci et quasiment en première place, l’idée que le Traité aurait pu forcer l’Irlande à accepter la légalisation de l’avortement. Ont suivi la crainte d’une perte de la neutralité militaire irlandaise – associée à la possibilité d’une conscription européenne – et une perte d’autonomie fiscale – traduite par une homogénéisation européenne. Ce point d’indépendance est crucial pour les Irlandais car le bas niveau de taxation donne toute son attractivité au pays pour l’implantation d’entreprises étrangères.

 

Les anti-Traité ont en Irlande compté aussi bien les catholiques traditionnalistes et les conservateurs que l’extrême-gauche et les nationalistes du Sinn Fein, ce qui a permis d’opérer un rassemblement large parmi les votants inquiets.

 

Si le Non Irlandais a semblé inacceptable ailleurs en Europe du fait que l’Irlande a été l’un des premiers bénéficiaires des aides européennes, celui-ci s’est en fait justement expliqué par la crainte que le Traité de Lisbonne éloignerait l’île des réglementations européennes qui ont jusqu’à aujourd’hui défendu l’emploi en Irlande. Ajoutés à tout cela le ferment des déclarations catastrophistes des leaders du camp noniste et la mollesse des répliques du gouvernement du Fianna Fail (parti républicain) et du Premier ministre Brian Cowen, et l’Irlande s’est transformée en l’espace d’une journée électorale en dramatique grain de sable anti-européen.

 

Lorsque la présidence française a remplacé la présidence slovène à la tête de l’Union en juillet, le président Nicolas Sarkozy a immédiatement tenté de concevoir avec Dublin un plan pour sauver le Traité de Lisbonne et préparer un second vote irlandais en 2009. La France, dont le Non référendaire à la première version du Traité en 2004 avait donné un coup d’arrêt à la création d’une Constitution européenne, se sent probablement aujourd’hui responsable d’impulser une reprise du processus. C’est également dans cet esprit qu’elle a provoqué avec l’Allemagne l’accouchement du nouveau traité dit «simplifié» en 2007.

 

Durant l’automne, Brian Cowen a fait le tour des capitales européennes pour obtenir des concessions qui permettraient de resoumettre le traité aux Irlandais avec une bonne chance de succès. Car avec un nouveau Non, l’Irlande s’isolerait et mettrait sévèrement à mal la tentative de l’Union de réformer ses structures décisionnelles.Les défenseurs du Traité avaient en 2008 affirmé pouvoir obtenir des déclarations européennes sur les questions de taxation, défense européenne et éthique nationale, argument que les nonistes avaient désamorcé en exigeant des protocoles formels annexés au Traité – impossibles à obtenir sans des mois de discussions entre partenaires européens.

 

Les chefs d’État de l’Union ont peut- être trouvé une réponse lors de leur sommet à Bruxelles les 11 et 12 décembre 2008: la garantie de l’ajout dans le futur traité, en 2010, de dispositions sur les questions de neutralité militaire et de taxation.

 

Ce nouveau traité, qui sera exigé pour l’adhésion à l’Union de la Croatie, demandera la ratification par tous les États membres et sera donc un engagement ferme de tous les partenaires de l’Union.Les bases sont donc présentes pour un succès. Reste que les partisans du Oui devront en 2009 mener une campagne moins timorée qu’en 2008. Malgré le soutien de tous les grands partis d’opposition, le gouvernement irlandais n’a pas su expliquer le Traité et prouver qu’il n’affecterait ni la neutralité, ni l’indépendance fiscale, ni l’éthique irlandaise. Il n’a pas su non plus convaincre que la charte des droits fondamentaux renforcerait les droits des travailleurs au lieu de les diminuer; ni rétablir le fait que la réduction du nombre de commissaires européens irlandais a été décidée en 2001 lors du Traité de Nice, et n’est pas liée au Traité de Lisbonne.

 

Face à eux, le multimillionnaire Declan Ganley, leader du camp eurosceptique, se prépare au combat et veut transformer son mouvement «Libertas» en parti politique, se liant à l’extrême-droite pour les élections européennes de juin 2009.

 

Les derniers sondages en Irlande balancent du côté du Oui, ce qui ne permet en aucun cas une satisfaction anticipée – à quelques jours du vote en juin 2008, les sondages irlandais annonçaient également une victoire du Oui. Les partisans du Non pensent toujours avoir de quoi moudre leur grain en créant des peurs sur le mystérieux texte et en cultivant la méfiance des électeurs vis-à-vis du monde politique et des «technocrates européens».

 

Cette fois pourtant, les partisans du Oui devraient être plus vigoureux car ils se battront non seulement pour l’Europe, ce qu’ils ont fait mollement en 2008, mais aussi pour leur survie politique. L’ancien commissaire européen Padraig Flynn, cité par The Irish Times, veut croire que tous les efforts seront faits par Brian Cowen pour donner une cohésion au camp du Oui et structurer un message compréhensible: «De nombreuses erreurs ont été faites. Les gens n’ont pas compris. Ils voulaient que les choses soient précisément clarifiées. Il n’y a pas eu la coordination que j’aurais aimé voir dans la promotion du traité de Lisbonne. Mais je pense que cela passera cette fois, si la campagne est organisée différemment et que toutes les clarifications nécessaires et déclarations sont faites pour qu’il y ait une compréhension complète des implications». Un facteur qui pourrait affaiblir le camp du Non est la perspective d’un retour au pouvoir des conservateurs au Royaume-Uni en 2010, rendue palpable par les hauts et bas de popularité du Premier ministre Gordon Brown. Dans une telle situation et en l’absence d’un traité de Lisbonne ratifié d’ici là, l’Irlande eurosceptique se trouverait mécaniquement rapprochée d’un Royaume-Uni en possible renégociation des conditions de son adhésion à l’Union. Ce risque de retour dans le giron britannique serait une victoire au goût étrange pour Sinn Fein et les nationalistes qui forment le cœur de l’opposition au Traité de Lisbonne.

Les bons points marqués par l’Union en 2008

Par ailleurs, l’année 2008 a cependant permis à l’Union de montrer une vraie présence politique et de sortir de son image de pouvoir technocratique. Pendant le premier semestre, la petite Slovénie a, malgré la taille limitée de son équipe diplomatique, su en tant que présidente de l’Union mener avec raison la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, tempérant les dissensions européennes et apaisant la Serbie. Cinq pays européens refusaient de reconnaître l’indépendance du Kosovo par crainte de créer un précédent pour d’autres mouvements séparatistes. De plus, à l’approche d’élections parlementaires serbes en mai 2008, la décision pouvait aussi créer un mouvement anti-européen. Ceci n’a pas eu lieu, probablement du fait de la décision de signer un accord dit de stabilisation et association avec la Serbie. C’est en conséquence une majorité pro-européenne qui a été élue en mai et grâce à laquelle, en quelques semaines, le criminel de guerre Radovan Karadzic a été livré au tribunal pénal international après 12 années de cavale.

 

Les deux événements majeurs du second semestre 2008 – la guerre russo-géorgienne et le crack boursier de l’automne ont fortement augmenté la volonté de cohésion européenne et illustré ses capacités d’action. La mission de Nicolas Sarkozy à Moscou au nom de l’Union et l’obtention d’un cessez-le-feu entre Russie et Géorgie ont illustré l’importance d’avoir une présidence de l’Union forte (ce que prévoit le traité de Lisbonne, qui doit donner au président du Conseil de l’Europe un mandat de deux ans et demi, et ainsi garantir plus de continuité à son action et plus d’autorité européenne dans les affaires étrangères).Une autre démonstration de la valeur d’une Union forte a été montrée avec le plan de sauvetage du système bancaire européen proposé par Nicolas Sarkozy et Gordon Brown. La Banque centrale européenne a également été très présente pour fournir des liquidités au banques en difficultés, y compris en Irlande où l’on a pu mesurer l’impact de ce soutien à l’aune de la situation désastreuse dans laquelle se retrouve aujourd’hui, hors de l’Union, l’Islande. «Avec les suites de la crise économique, les avantages de la Banque centrale européenne et d’autres institutions européennes sont devenus clairs», commente Padraig Flynn.

 

Enfin, et probablement aidée par le vide de la fin du mandat du président américain George W Bush, l’Europe a su négocier un accord sur les changements climatiques et se positionner comme force motrice dans le domaine.

 

Ces résultats honorables suffiront-ils à convaincre les électeurs irlandais en 2009? Dans le cas contraire, la construction politique européenne ne pourrait probablement rester bloquer par le positionnement d’un pays de quatre millions d’habitants. Quelle que soit la solution applicable à ce moment, elle serait désagréable et continentaliserait l’Europe. À Bruxelles comme à Strasbourg, on préfère penser que cela ne peut pas arriver.