Le Canada, supermarché pour espions

Écrit par Olivier Chartrand, La Grande Époque
12.10.2009
  • Fabrice de Pierrebourg(攝影: / 大紀元)

En septembre dernier, l’auteur et journaliste d’enquête, Fabrice de Pierrebourg, ainsi que l’ex-agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS, service secret canadien), Michel Juneau-Katsuya, ont publié un livre intitulé Ces espions venus d’ailleurs. L’ouvrage, dont la lecture est passionnante, révèle des informations surprenantes sur le monde du contre-espionnage canadien et, surtout, sur les activités débridées des services de renseignements étrangers au Canada. Rencontre avec Fabrice de Pierrebourg.

La Grande Époque (LGÉ) : Pourquoi avez-vous écrit un livre sur l’espionnage au Canada?

Fabrice de Pierrebourg (F.d.P.) : Michel [Juneau-Katsuya] et moi avons constaté qu’il n’y a aucun livre sur les activités étrangères d’espionnage en sol canadien, alors que l’on savait très bien que ces activités atteignaient un sommet quasiment inégalé depuis la fin de la guerre froide. Et on trouvait cela étrange que personne n’ait écrit là-dessus.

L’idée, c’était de faire un duo journaliste d’enquête et ex-agent secret pour raconter une belle histoire d’espionnage, de tirer la sonnette d’alarme et d’être constructif en présentant des solutions à mettre en œuvre.

LGÉ : Pourquoi parle-t-on plus ouvertement d’espionnage dans d’autres pays qu’au Canada, comme aux États-Unis ou en France, par exemple?

F.d.P. : Le fait qu’il n’y ait jamais rien eu d’écrit là-dessus [au Canada], c’est peut-être symptomatique du fait qu’on ne prend pas ça au sérieux, ou on ne veut pas le savoir, ou on ne veut pas en parler. On se fait allègrement piller et personne ne veut en parler.

Dans le livre, on cite l’exemple d’un rapport qui avait été fait dans les années 1990, le rapport Sidewinder. Un rapport qui a été jeté à la poubelle parce que l’on considérait que c’était politiquement incorrect. Sidewinder estimait que l’espionnage coûtait à peu près 1 milliard par mois au Canada. Les États-Unis ont fait le même genre d’étude à l’époque, c’était près de 2 milliards de perte par mois dans leur cas.

On cite également Jonathan Evans, le directeur du MI5 [service de renseignements intérieur du Royaume-Uni chargé du contre-espionnage], il donne des noms d’États [agressifs en matière d’espionnage] et déclare qu’au Royaume-Uni, il consacre quasiment plus de moyens au contre-espionnage que pendant la guerre froide.

Or, la plupart des chefs d’entreprises canadiennes ne semblent pas comprendre l’ampleur de la menace. On a plusieurs exemples d’entreprises qui ont été averties qu’il y avait des tentatives de pillage et qui disaient : «Ha! ce sont encore les services secrets qui voient des espions partout!» D’autres pensent probablement : «Si jamais on sait que l’on est victime de vol d’information, il risque d’y avoir une mauvaise réaction du côté de nos actionnaires.»

Par ailleurs, les politiciens, le ministère des Affaires étrangères ne voudront pas que l’on en parle parce que, diraient-ils : «Ça ne nous arrange pas trop que vous parliez d’un réseau de Chinois qui essaient de pénétrer tel système, parce que pendant ce temps-là, on comptait envoyer une délégation économique à Pékin…»

Il y a l’ingérence étrangère et il y a l’ingérence des Affaires étrangères. Les services de renseignement canadiens font sûrement très bien leur travail. Mais s’ils n’ont pas d’outil ou s’ils sentent qu’ils n’ont pas d’appui politique et qu’ils n’ont pas de moyens financiers, leurs efforts vont être réduits à néant.

Il y a un autre problème : non seulement on n’en parle pas, mais si on voulait faire en sorte que les espions soient poursuivis, comme c’est le cas maintenant aux États-Unis, en Angleterre, en France et partout ailleurs, il n’y a même pas d’outil juridique à ce sujet. Vous arrêtez un espion aujourd’hui au Canada et il ne risque pas grand-chose!

LGÉ : Est-ce que vous pouvez nous donner des exemples d’espionnage économique?

F.d.P. : Dans les pays en tête, il y a toujours la Russie qui a rattrapé son retard depuis la chute du mur et l’abolition du KGB. La Russie a mis du temps à se relever, mais les Chinois ont toujours, toujours été agressifs [selon Jim Judd, chef du SCRS, les activités d’espionnage de la Chine au Canada accaparent 50 % des efforts du SCRS]. Pour ces pays qui avaient un retard technologique, voler, ça va plus vite que de travailler et ça coûte moins cher que d’investir en recherche et développement.  

Il y a cet exemple qui fait toujours rire les gens : une délégation chinoise était venue dans une compagnie québécoise qui travaille dans le domaine des hautes technologies. Les gens de la délégation avaient des aimants dans leurs semelles et dans leur cravate pour ramasser des éléments d’un alliage ultra perfectionné afin de le recomposer au retour. Ce que me résumait une source à Paris que je cite dans le livre, c’est que : «Les Chinois [agents] ont un culot monstre!»

LGÉ : L’ultranationalisme des Chinois ne rend-t-il pas le recrutement plus facile?

F.d.P. : La plupart des services secrets occidentaux fonctionnent avec des espions formés. Mais la force des Chinois, c’est le nombre, même dans le domaine de l’espionnage. Ils fonctionnent bien sûr comme tout le monde avec des pseudo-diplomates, délégués commerciaux, journalistes, les couvertures conventionnelles pour des agents traitants. Mais ils savent qu’ils peuvent s’appuyer sur la diaspora chinoise de gré ou de force.

On retrouve cela aussi chez le Mossad [service de renseignements israélien extérieur] qui a très peu d’agents payés dans le monde. Ils s’appuient sur la diaspora juive de chaque grande ville, des gens de la communauté : des sionistes qu’ils appellent les sayanin. Les équipes du Mossad savent qu’ils peuvent les contacter à toute heure, de jour ou de nuit pour leur demander un service et qu’ils seront muets jusqu’à leur mort. Parce que pour ces gens-là, il y a une urgence, une nécessité de défendre le pays.

Pour en revenir à la Chine, il y a d’ailleurs une analogie bien connue dans le milieu [rire] : si le sable d’une plage représente l’information, les Russes vont prendre une pelle sortant d’un sous-marin la nuit pour collecter le sable tandis que les Chinois vont envoyer 1000 baigneurs à la plage en plein jour et vont leur demander de se secouer à leur retour pour ramasser le sable. C’est ce que l’on appelle la collecte de masse. Je trouve que c’est la meilleure image pour résumer la situation!

LGÉ : Quel impact ces activités d’espionnage ont-elles sur la société canadienne?

F.d.P. : À Montréal, dans un rayon de 20 kilomètres, vous avez des entreprises à la fine pointe de la technologie aérospatiale, aéronautique, pharmaceutique, ce sont des entreprises qui consacrent des millions, peut-être même des dizaines de millions à la mise au point des technologies. Dès qu’elles se font piller, ce sont des parts de marché et des emplois que l’on perd.

Mais ce que je trouve préoccupant, si on prend l’exemple de Pékin, mais il y en a d’autres qui font pareil, c’est qu’un service secret étranger intimide des gens au Canada parce que, par exemple, ils sont adeptes du Falun Gong, parce qu’ils sont pour l’indépendance du Tibet ou tout simplement opposants politiques au Parti communiste chinois. Comment le Canada, qui essaie de maintenir et de propager cette idée d’un pays ouvert, multiculturel où il fait bon vivre, est-il incapable de protéger des diasporas qui sont venues ici pour vivre en paix?

Après le massacre de la place Tiananmen, un agent chinois avait été voir un des grands patrons de la DSC en France [agence intérieure de renseignements luttant contre l’espionnage et protégeant la sécurité économique de la France] avec une liste d’étudiants. Il a dit à mon interlocuteur : «Vous savez, ce sont de dangereux criminels!»  Et il insistait tellement que celui-ci a répondu : «Bon, on va s’en occuper». Ils ne s’en sont évidemment jamais occupés. Dans le mode de fonctionnement de Pékin, tous les moyens sont bons.

Les Indiens, c’est similaire, les opposants tunisiens aussi. Les exemples, on peut en citer des tonnes. Les Iraniens pourchassent les Moudjahidines du peuple de façon assez vive. Mais… il ne se passe rien.

Ces espions venus d’ailleurs est disponible en librairie.