Identité nationale: «L’Espagne en débat depuis plus d’un siècle»

Écrit par La Grande Époque
14.11.2009

  • Steven, un immigré du Ghana, travaille dans une serre de productions de fraise à Palos de la Frontera, au Sud de l’Espagne. Steven est arrivé par bateau aux Iles Canaries en 2002.(攝影: / 大紀元)

Faut-il ouvrir en Espagne un débat sur l’identité nationale, comme le fait en France le gouvernement du président Nicolas Sarkozy? «Dire qu’on va l’ouvrir maintenant n’aurait pas de sens, car depuis plus d’un siècle, depuis 1898, l’identité nationale est l’un des grands problèmes espagnols et le débat n’a pas cessé d’être ouvert», répond l’historien et professeur de philosophie Rafael Nuñez Florencio.

 

Il était interrogé le 3 novembre par la Radio nationale espagnole, ce qui démontre l’impact au-delà des Pyrénées de l’actuelle introspection hexagonale.

 

L’année 1898 citée par Rafael Nuñez est celle de l’anéantissement par la flotte des États-Unis de l’escadre de l’amiral Cervera en rade de Santiago de Cuba. L’Empire espagnol subissait ainsi l’estocade. Le «Désastre de 1898», comme on l’appelle depuis, a profondément marqué l’évolution politique, économique et culturelle d’une Espagne se repliant alors sur elle-même.

 

Cela favorisa, à la même époque, le renouveau sous une forme contemporaine des nationalismes basque et catalan, aujourd’hui rescapés endurcis d’une guerre civile et de près de quarante ans de dictature franquiste. L’actuelle parcellisation de l’Espagne en dix-sept régions dites autonomes ne visait, lors de la transition démocratique post-franquiste, qu’à relativiser pour mieux tenter de l’endiguer la spécificité du Pays basque et de la Catalogne.

 

Rafael Nuñez ne retrace pas ce cheminement dans son interview à la radio publique de son pays. En Espagne, c’est supposé connu. Mais c’est à partir de cette réalité qu’il croit inutile de comparer l’Espagne à la France, «car la France n’a pas dix-sept gouvernements autonomes. La France a une tradition jacobine, une tradition centraliste que nous n’avons évidemment pas. Le rôle central de Paris n’est certainement pas assumé ici par Madrid».

 

En France ce sont les défis posés par l’immigration, forte d’environ 13% de la population, qui semblent justifier le «pour vous, qu’est-ce qu’être Français?», posé à tous par le ministre Eric Besson. L’Espagne, avec une proportion d’immigrés presque similaire (12% fin 2008) place ailleurs le débat si l’on en croit Rafael Nuñez.

 

Selon l’historien et professeur, auteur de nombreux livres et analyses politiques et sociologiques, «le problème n’est pas tant que les immigrants fassent partie de ce qui est nôtre, de ce qui est espagnol, car on devrait d’abord définir exactement ce qui est nôtre. Il faut considérer en premier lieu que l’Espagnol ne se reconnaît pas dans des symboles communs. Votre correspondant à Paris [celui de la Radio nationale espagnole, ndlr] parlait par exemple de la langue française. Ici, de nombreux exemples montrent que la langue est davantage un motif de discorde, de séparation, et moins d’union. En Espagne, nous n’avons pas de symboles communs qui nous unissent d’un point de vue politique. Il suffit de penser à la controverse sur l’hymne, le drapeau, la fête nationale. La différence [avec la France] est donc fondamentale, comme entre le jour et la nuit».

 

Le formidable concert de huées et de sifflets qui salua le 13 mai dernier au stade Mestella de Valence tant le roi Juan Carlos et la reine Sofia que l’hymne espagnol ne dément pas l’analyse du professeur Nuñez. Si en France ce sont des immigrés qui sifflent la Marseillaise dans les stades, en Espagne ce sont des Espagnols qui sifflent leurs souverains et la Marche Royale, l’hymne national. Le stade Mestella était en effet empli de Basques et de Catalans, officiellement toujours Espagnols, pour la finale de la Coupe d’Espagne, dite Coupe du Roi, disputée entre l’Athletic de Bilbao et le FC Barcelone.

 

À noter aussi que la Marche Royale n’est qu’une musique sans paroles, aucun projet de texte pour l’hymne national n’ayant fait jusqu’à présent l’unanimité des Espagnols.

 

Gauche espagnole et nationalismes

«Un autre des grands problèmes est que parler aujourd’hui [en Espagne] d’identité nationale, sans autre adjectif, sans plus de nuance, vous identifie à une tendance politique. Actuellement, quiconque parle de revendiquer ce qui est espagnol est associé à la droite en général, à cause peut-être du poids encore grand de la dictature, quoique Franco soit mort en 1975», ajoute Rafael Nuñez Florencio.

 

L’historien et professeur ne sera pas démenti non plus, sur ce point, par le président du gouvernement espagnol, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, pour lequel «le concept de nation est discuté et discutable».

 

Rafael Nuñez note qu’en Espagne «la gauche a fait de la revendication régionaliste ou nationaliste l’un de ses signes d’identité. Aussi avons-nous  le paradoxe de mouvements nationalistes revêtus d’un label de progressisme qui réellement n’est pas fondé et qui n’existe pas ailleurs».

 

«Ces débats [en France sur l’identité nationale] me paraissent opportunistes, liés à l’agenda politique. Si on voulait vraiment les envisager en profondeur, ces débats nécessiteraient un agenda très différent», estime encore Rafael Nuñez avant de revenir sur son leitmotiv: «Comme je le disais au début, en Espagne ce débat est présent depuis plus d’un siècle. Il apparaît et disparaît comme le Guadiana [fleuve du sud ibérique, ndlr] avec plus ou moins de virulence, mais c’est une question que nous-mêmes, comme Espagnols, n’avons pas résolue. Il nous faut donc d’abord savoir ce que nous voulons être ou en quoi nous nous reconnaissons pour ensuite voir jusqu’à quel point nous pouvons demander aux autres qui viennent de l’extérieur de s’identifier à nous».

 

Et quoique la démarche française semble répondre à une préoccupation similaire, la différence demeure dans le fait qu’elle est liée aux problèmes de l’immigration, mais non à des problèmes autochtones comme en Espagne. «J’y vois un problème fondamentalement interne que nous n’avons pas résolu», confirme Rafael Nuñez Florencio.

 

«D’un point de vue politique, parlant des autonomies [régionales], nous savons qu’il y a une tendance centrifuge qu’il faudra, je suppose, stopper à un certain moment. En outre, il y a [en Espagne] un débat idéologique de plus en plus ouvert dans lequel n’existent pas les points communs dont nous avons besoin», conclut l’historien. Le fossé entre la droite et la gauche semble en effet plus profond en Espagne que dans n’importe quel autre pays européen.

 

Des centaines d’internautes espagnols, mêlés d’hispanisants français, réagissaient mardi à l’article sur le débat identitaire français signé par le correspondant.