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Clinton dégèle, Biden enflamme: où va la politique américaine sur la Russie?

Écrit par Antoine Latour, La Grande Époque
02.11.2009
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  • Le vice-président américain, Joe Biden(Staff: DANIEL MIHAILESCU / 2009 AFP)

La décision du président américain, Barack Obama, d'abandonner dernièrement le bouclier antimissile en Europe a en général été perçue de deux manières bien distinctes. Les amoureux d'Obama y ont vu une détermination de poursuivre dans la voie de la paix et de la détente, de manière à bâtir un climat de bonne entente avec Moscou. Les détracteurs d'Obama y ont vu un acte de faiblesse, de délaissement de fidèles alliés européens et d'un abandon d'une case importante sur l'échiquier mondial.

Alors que plusieurs percevaient un changement majeur dans la stratégie américaine, ayant un impact sur la géopolitique internationale, la Maison-Blanche assurait qu'elle maintenait le cap en ne faisant que modifier la nature du bouclier pour l'adapter à une menace différente.

Le Kremlin s'est donc au début réjoui, puis a réfléchi. À quoi donc joue cette administration américaine? Reconnaît-elle en effet ma sphère d'influence ou essaie-t-elle seulement de m'amadouer avec des apparences de concessions pour que je penche un peu en sa faveur sur l'Iran?

À en croire certains experts, les pirouettes diplomatiques de Washington vis-à-vis Moscou visent, en grande partie, à neutraliser les ambitions nucléaires de Téhéran. Mais les double-jeux fusent de toutes parts. Tandis que la secrétaire d'État, Hillary Clinton, courtise les Russes et leur ministre des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, le vice-président américain, Joe Biden, parcourt l'Europe de l'ancien bloc soviétique à un train d'enfer pour galvaniser les jeunes démocraties face aux tentacules de Moscou.

Le terrain d'opposition entre les deux grands ex-rivaux de la guerre froide ne s'étend peut-être plus à tous les confins du globe, mais si on ne parle pas des tensions autour du Caucase, ce sont les pays Baltes qui attirent l'attention. Si ce n'est pas l'Europe centrale, c'est l'Asie centrale. Puis pourquoi pas les Balkans?

Moscou s'est opposé à l'indépendance du Kosovo et voilà que la Serbie lui envoie un retour d'ascenseur pour ce service politique.

Lors de la visite du président russe, Dmitri Medvedev, à Belgrade le 20 octobre, un accord ayant attiré l'attention jetterait les bases pour une éventuelle présence militaire russe en sol serbe, sous le couvert d'un centre logistique de gestion des crises humanitaires.

Et que restera-t-il d'ici quelque temps des révolutions prooccidentales de Géorgie et d'Ukraine? Les populations sont aux prises avec des dirigeants impopulaires, que ce soit le résultat de promesses non tenues ou d'opérations tous azimuts soutenues par le pouvoir russe.

Qu'est-ce qui définira le Nobel de la Paix 2009 dans ce contexte de compétition encore une fois teinté d'idéologie? La démocratie sous son règne peut-elle reculer au profit de la détente? Peut-il y avoir une paix s'il n'y a plus de droits de l'homme? Pour les opposants à l'influence américaine, le simple recul de cette dernière constitue une avancée dans les affaires internationales. Pour les partisans de la démocratie en Chine ou en Pologne, c'est le contraire.

Quant à la Russie, on peut gager que, pour les nouveaux tsars du Kremlin, la démocratie pèse actuellement plus comme menace existentielle que n'importe quel déploiement militaire, en raison du climat de dissuasion mutuelle qu'imposent les avancées technologiques et l'arme nucléaire.

Voyant que Moscou n'a pas l'intention d'abandonner son joker iranien qui représente, il faut le dire, tout un atout avec son emplacement géographique et sa capacité de frappe non conventionnelle à travers sa Force Qods et le Hezbollah libanais, Washington a peut-être maintenant décidé de reprendre où l'ex-administration avait laissé. Qu'elle soit une question de principe ou une manière d'avancer des intérêts stratégiques, la démocratie est l'arme de choix pour lutter contre la Russie.

Est-ce le chemin que va emprunter l'administration Obama? Le récent discours du vice-président, Joe Biden, en Roumanie semble l'indiquer.

Biden lance un appel

Quelques semaines avant le 20e anniversaire de la chute du régime communiste de Ceausescu, Joe Biden était en Roumanie. S'adressant à des étudiants dans la capitale, Bucarest, ils ne sont probablement pas les seuls à avoir pris des notes. Le Kremlin écoutait attentivement même si son agence de presse officielle, ITAR-TASS, semble n'en avoir rien rapporté.

«Il y a 20 ans, le monde observait avec stupeur et admiration lorsque les hommes et les femmes de cette région ont brisé les chaînes de l'oppression et sont devenus un peuple libre», a déclaré Biden en ouverture.

Il a poursuivi en insistant sur le fait que la Roumanie, maintenant libre et bâtissant sa démocratie, doit non seulement servir d'exemple à d'autres pays des environs, mais doit aussi y soutenir les efforts pour répéter les transformations de 1989.

«Vous pouvez aider à guider la Moldavie, la Géorgie, l'Ukraine sur le chemin de la stabilité et de la prospérité durables. C'est à votre tour de mener. L'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Bélarus peuvent bénéficier de vos expériences personnelles», a affirmé Biden.

Ce dernier a également signalé que les États-Unis «vont travailler avec vous pour réaliser les promesses de 1989».

Joe Biden n'a laissé aucune ambiguïté en déclarant que les promesses de la révolution roumaine se sont réalisées et que maintenant la Roumanie «est en position pour en aider d'autres à faire de même».

Dans le discours, il ne s'agit de rien d'autre qu'un appel à renverser les derniers régimes autoritaires de l'ex-Union soviétique, tout en demandant de soutenir les pays actuellement convoités par Moscou.

Dans les faits, impossible de dire en quoi cela se traduira. L'administration Obama semble vouloir laisser le leadership à l'Europe et apporter l'aide nécessaire en cours de route. Quant à l'étincelle, d'où proviendra-t-elle?

S'agissait-il de simples menaces voilées contre Moscou pour l'avertir que l'administration actuelle a également quelques atouts dans son jeu advenant le refus du Kremlin de coopérer sur l'Iran?

Selon George Friedman, directeur de la firme de renseignement privée Stratfor et auteur du livre The Next 100 Years, le discours n'était pas que des mots en l'air.

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Il écrit : «Il s'agissait d'un discours rédigé prudemment : ce n'était pas un dérapage de Biden, mais bien l'expression d'une politique de l'administration Obama. Et cela s'inspire d'une crainte russe fondamentale, soit que l'Occident va gruger son flanc ouest – et la Russie elle-même – avec des révolutions “colorées” qui ont mené au pouvoir des gouvernements prooccidentaux, comme ce qui est arrivé en Géorgie en 2003 et en Ukraine en 2004-2005. Les États-Unis se sont engagés à faire justement cela et ont demandé au reste de l'Europe centrale de participer à la création et au renforcement de gouvernements prooccidentaux dans l'ex-Union soviétique.»

Friedman et Stratfor, dans leurs analyses, sont loin de constater un dégel des relations américano-russes, contrairement à Jocelyn Coulon, analyste politique publiant fréquemment dans le quotidien La Presse.

Ce dernier écrivait le 25 septembre que «l'équipe Obama avait pris la bonne décision» en abandonnant le projet initial de bouclier antimissile, car «face au nucléaire iranien et nord-coréen, à l’enlisement du processus de paix israélo-palestinien, à la nécessité d’éviter des frictions inutiles au sujet de l’Ukraine et de la Géorgie et aux conséquences de la crise économique, il était préférable d’avoir la Russie à ses côtés».

Cette perspective, faisant fi des intentions russes mais reconnaissant ses intérêts nationaux – au détriment de pays souhaitant sortir de sa sphère d'influence – est chahutée par la visite de Biden en Europe, où il a assuré les alliés américains que le projet de bouclier n'était que transformé et que la Pologne pourrait recevoir la livraison de missiles Patriot, une pièce de matériel militaire bien solide, stratégique et moins abstraite que le bouclier.

Encore une fois, un discours de chantage visant Moscou ou une politique visant Moscou, ça reste à suivre.

Les intérêts américains et russes peuvent difficilement concorder, peu importe les gestes de bonne volonté et les ententes sur de grands enjeux mondiaux.

Si certains, comme Jocelyn Coulon, soulignent «une collaboration exemplaire sur la lutte au terrorisme» entre Moscou et Washington, d'autres pourraient aviser du contraire. Israël accusait la Russie en septembre 2008 de fournir des renseignements sur l'État hébreu à la Syrie, qui se retrouvaient par la suite dans les mains du Hezbollah.

Oksana Antonenko, de l'International Institute for Strategic Studies, écrit pour sa part que le «vrai problème dans les relations américano-russes n'est pas à savoir si les deux pays sont amis ou ennemis, mais réside dans la difficulté qu'ils ont à bâtir ce qu'on pourrait qualifier de relations “normales”. Washington et Moscou ne partagent pas de compréhension claire des intérêts communs importants et n'ont démontré aucune capacité récente à interagir sur des questions de préoccupation commune ou de différend clair dans une manière qui fortifie la confiance. Les relations sont prisonnières d'un manège émotif dans lequel les attentes, les incompréhensions, les mémoires et les insécurités se traduisent dans le langage de la géopolitique, de la suspicion et des menaces».

Voilà une psychologie de l'État qui se détache considérablement des prises de positions analytiques partisanes à quoi nous ont habitué certains experts bien en vue.

Dans la tête du Kremlin

Il y a cette opinion répandue chez les partisans de la détente que la Russie et la Chine sont autant préoccupées que l'Occident par la nucléarisation de l'Iran ou par la présence de l'arme nucléaire en Corée du Nord. Selon cette conception, il faut donc collaborer avec Moscou et Pékin pour marginaliser ou diminuer l'influence de ces États.

C'est, comme indiqué plus haut, faire fi des intentions, des intérêts et de la nature de ces États, qui considèrent ces pays comme des partenaires ou des outils dans l'exécution de leurs stratégies internationales. L'entretien d'une relation tissée serré avec un pays qui menace votre principal compétiteur représente un levier de chantage immense.

Si cette analyse sort de la tête d'un Occidental, que pense par exemple un des plus influents experts en politique international russe, très proche du pouvoir? Ça va comme suit.

«Il y a de ces politiciens et analystes américains [...] qui croient que la perspective d'un Iran nucléaire effraie tellement la Russie qu'elle va se ranger du côté américain tôt ou tard», écrit Andranik Migranyan. «Ceci est absolument à l'opposé de la réalité.»

Selon Migranyan, les États-Unis devraient concéder énormément pour que la Russie abandonne son excellente relation avec l'Iran. Car en ce faisant, «la Russie pourrait se retrouver avec un État hostile [l'Iran] à sa frontière qui possède un potentiel considérable pour déstabiliser les voisins de Moscou, et la Russie elle-même».

«Il est impératif que nos partenaires américains comprennent que maintenir une relation amicale et mutuellement avantageuse avec l'Iran rencontre les intérêts stratégiques de l'État russe. La Russie et l'Iran sont de sérieux partenaires commerciaux et économiques. L'Iran est un marché pour les produits russes de haute technologie. La Russie attache une grande importance à conserver ses experts, sa main-d'œuvre et sa technologie dans le domaine de l'énergie nucléaire. Et l'Iran est un client, étant donné que ses dirigeants veulent continuer la construction de centrale nucléaire. De plus, l'Iran est un marché pour la technologie militaire russe.»

Il poursuit : «Afin que la Russie abandonne tous les aspects ci-haut mentionnés de sa relation avec l'Iran, les États-Unis devront trouver quelque chose qui fait contrepoids à tout ce que l'actuelle relation russo-iranienne peut offrir.»

Migranyan lance aussi l'avertissement qu'advenant une action militaire contre l'Iran par Israël ou les États-Unis, la Russie ressortirait gagnante, profitant de l'augmentation du prix du pétrole causée par l'instabilité et le chaos des attentats ou actes de guerre découlant de la revanche iranienne à l'étranger ou dans le détroit d'Hormuz.

Une manière de rappeler la complexité du système international et la perspective russe de la géopolitique.

Migranyan est actuellement le chef du bureau de New York de l'Institute of Democracy and Cooperation, un groupe de réflexion russe ayant apparemment pour mission de faire avancer le point de vue du Kremlin en Occident et de défier le «monopole de la définition des normes de démocratie et des droits de l'homme».

Considérant les positions russe et américaine, on peut sans aucun doute dire que leurs relations seront définies pour encore un certain temps par l'Iran. Si les États-Unis poussent vraiment pour amener la démocratie encore plus aux portes de la Russie, comme l'a incité Joe Biden, Moscou doit préparer certains coups pour affliger Washington. Et quel est son talon d'Achille actuel, outre l'économie? L'Afghanistan, l'Irak ou la montée globale d'autres foyers de militance islamiste farouchement opposés aux États-Unis? Ces derniers sont devenus tellement occupés avec le terrorisme que tous les autres fronts conventionnels dans le domaine du renseignement sont devenus moins importants, que ce soit celui de la Russie ou de la Chine.

Le renseignement, c'est les yeux sur le terrain et la capacité de lire les intentions de son adversaire. Sans lui, on est condamné à prendre des décisions non éclairées et, tôt ou tard, devoir en payer les frais.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.