Au cinéma, la sensualité n’est plus ce qu’elle était...

Écrit par Alain Penso
22.11.2009

  • (攝影: / 大紀元)

La sensualité, l’un des facteurs clés du cinéma, semble avoir disparu. Les films du passé, malgré la censure des années 40, exprimait plus «la rage des corps» face à la froide raison. Autant-Lara n’hésite pas une seconde à tourner Le diable au corps (1947) d’après le roman de Radiguet. Dans Quai des brumes (1938) de Marcel Carné, le désir est amené à un point très fort. Le visage magnifique de Michèle Morgan, le romantisme accompagné d’une nostalgie des temps meilleurs, les éclairages transportent les formes du corps vers une volupté difficile à atteindre par ces temps de guerre qui s’annoncent. La photographie d’Eugène Schüfftan sculpte l’espace et les formes.

 

Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là...

…amenant plus de sens à une image éclairée par une histoire d’amour aux multiples formes. Dans Remorques (1941), Jean Grémillon reprend le couple emblématique d’amoureux parfaits, un homme viril et une femme nantie d’une féminité accompagnée de la lumière du sourire. Ils projettent ensemble leur poésie sur un avenir incertain à cause des événements incontrôlables de l’histoire. Jean Grémillon choisit d’adapter le roman de Roger Vercel avec Jacques Prévert.

 

Les éléments lui parlent. Le rapport de l’eau, des vagues, du temps qui passe et des sentiments qui remplissent les corps envahis par la sécheresse du temps des habitudes. Madeleine Renaud représente la femme en opposition à Michèle Morgan tout en formes, en relief, sur son visage et sur son corps. La tragédie du couple, c’est celle des corps disloqués par la tempête qui ramène l’homme vers l’essentiel, la survivance. Il faut aller loin aujourd’hui pour trouver une sensualité digne de ce nom qui ne prend pas sa source dans l’image d’un corps cru sans histoire, sans réflexion. François Truffaut avait réussi, dès le début de sa carrière, à représenter l’apport des relations amoureuses, avec des intrigues originales.

 

D’un homme à l’autre

Jules et Jim (1962) de François Truffaut est une représentation magnifique de ces sensations, de ces échanges entre l’homme et la femme. Jeanne Moreau a amené énormément dans ce sujet. Dans Viva Maria (1965) de Louis Malle, Brigitte Bardot et Jeanne Moreau, deux jeunes chanteuses d’une troupe de music-hall ambulante s’éprennent du même homme, un révolutionnaire. Il meurt. Ayant pris fait et cause pour lui, elles continuent son œuvre jusqu’au triomphe de la révolution. Et Dieu créa la femme (1956) de Roger Vadim est un film important dans la filmographie sommaire de la sensualité. Brigitte Bardot est une jeune femme qui fait rêver le monde. Elle est une déclinaison un peu lointaine, certes, mais probante de Marilyn Monroe, interprète du film Les hommes préfèrent les blondes (1954) de Howard Hawks ou Sept ans de réflexion (1955) de Billy Wilder.

 

Dans le cinéma français, les actrices sont bien formées professionnellement mais elles n’ont plus cette sensualité qui en faisait les beaux jours. Mademoiselle Chambon (2009) de Stéphane Brizé est un bon film. Nous l’avons écrit. Sandrine Kiberlain n’est certainement pas, du moins esthétiquement, une femme qui appartienne à la classe des femmes à la Brigitte Bardot ou Marilyn Monroe.

 

Michel Mitrani, le metteur en scène des Guichets du Louvre (1974), d’Un Balcon en Forêt (1979), de La Nuit bulgare (1969), expliquait qu’au cinéma, depuis l’après 1968, que les hommes et les femmes s’étaient transformés en êtres similaires, égaux. Ils avaient les mêmes fonctions. Sur le plan professionnel tant mieux, mais sur le plan physique, la femme avait souvent une allure d’homme. S’habiller comme une femme semblait être une contrainte... Le corps semblait suivre l’inspiration nouvelle de la femme.

 

La féminité ne semblait plus coïncider avec l’ouverture, la libération, tel que le prônaient les événements de mai 1968. Il y a certainement des raisons étranges qui font qu’en France, plus qu’en Italie, les femmes se sont peu préoccupées de leur aspect de femme dans le contexte du cinéma. En France, la nouvelle vague a déferlé, réduisant la taille du matériel, permettant ainsi de filmer partout. Jean Seberg dans À bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard est filmée sous toutes les coutures. Anna Karina, dans Pierrot le fou (1965) suscite des mouvements de caméra qui découvrent le relief de ses formes qui troublent Jean-Paul Belmondo. Les actrices italiennes, Sophia Loren en premier avec La Chute de l’empire romain (1963) d’Antony Mann ou Gina Lollobrigida dans Fanfan la Tulipe (1952) de Christian Jacques avec Gérard Philippe ou bien ce film extraordinaire de Guiseppe de Santis qui traite de la lutte des classes, Riz amer (1949) avec Silvana Mangano.

 

Le maître de la sensualité reste Alfred Hitchcock. Dans Les oiseaux (1960) Tipi Hedren se rend chez Rod Taylor. Puis elle traverse un lac pour rentrer chez elle. Elle est habillée d’un manteau de vison, porte un sac à main et est coiffée simplement.  Elle a l’allure d’une jeune femme conquérante. Un oiseau l’attaque. Ses gestes sont simples, sa voix est ensorcelante.

 

Dans Psychose (1960) Janet Leigh est dans une chambre en soutien-gorge. Elle enfile son corsage, prête à retourner à son travail. Son corps est beau comme une sculpture. Dans Pas de printemps pour Marnie (1964), Hitchcock fait atteindre à son interprète Tipi Hedren un niveau de sensualité exceptionnel, parallèle à son état psychanalytique défaillant. Les femmes et les hommes produisent ce désir de vivre qui s’appelle aussi sensualité.

 

Non, il ne s’est rien passé à Hiroshima.....

Alain Resnais est le cinéaste fondateur d’un mouvement cinématographique français de qualité où les recherches formelle et thématique se répondent dans une harmonie. Chacun de ses films est souvent utilisé comme une matrice, un support modifiable autour duquel la forme prendra sa nourriture. Hiroshima mon amour (1959), film écrit par Marguerite Duras, va le propulser dans la cour des réalisateurs estimés pour leur savoir artistique et théorique. Un peu plus tard en 1961, L’Année dernière à Marienbad confirme cette recherche cinématographique que Resnais prend très à cœur et qu’il veut faire avancer naturellement, sans se fixer de plan.

 

Avec Providence, Alain Resnais rend hommage aux romanciers qui se plient aux nécessités de l’autorité littéraire sans lesquelles aucun livre ne pourrait sortir de l’inspiration, cette caverne d’Ali Baba où dorment les mots avant que la phrase magique ne fasse ouvrir la grotte secrète.

 

À 87 ans, Alain Resnais ne veut sans doute pas rater sa sortie. Les Herbes folles (2008) est un sujet adapté d’un beau roman de Christian Gailly. L’Incident (2008) lui permet de trouver la liberté créatrice dont le thème le touche intimement. Il sait que la mort peut le prendre à n’importe quel moment dans une fièvre créatrice.

 

Le cinéaste a trouvé une histoire banale, dans un milieu social aisé, loin des crises qui secouent notre société. Marguerite Muir se fait voler son sac à main à la sortie d’un magasin. Le voleur jette le portefeuille sur une aire de parking. Georges le ramasse et le regrettera. Alain Resnais, de cette intrigue extrêmement banale, va utiliser des ressorts dramatiques pour faire sortir le passé, les désirs, les frustrations enfouies de ses personnages, au détour d’une aventure, après une existence faite de conventions sociales. Resnais suggère: «Dans un film, c’est l’imaginaire qui prime sur la réalité et toute l’infrastructure technique est là pour créer un milieu artificiel d’où devrait ressortir la promesse d’un voyage vers le rêve éveillé, c’est-à-dire l’imaginaire total». Dans Providence Resnais avait sculpté sur la pellicule le thème de la création littéraire et son cheminement dramaturgique. Aujourd’hui, Resnais montre les limites de la création qui peut être oubliée une fois les auteurs disparus. Il entame cette réflexion austère avec son humour qui, de film en film, occupe ses histoires. Pour que ses films fonctionnent comme il le désire, Alain Resnais s’est constitué une famille. Sabine Azéma, évidemment, André Dussolier dont l’humour constitue à lui seul une pièce maîtresse dans l’élaboration du film, Emmanuelle Devos dont les prouesses dans les films de Jacques Audiard rejaillissent. L’actrice Anne Consigny apporte cet érotisme tranquille et l’ambigüité du couple en maintenant un mystère jamais révélé. Enfin Mathieu Almaric, au visage constamment étonné amène cette touche de provocation qui enracine un crime bien improbable. Finalement Resnais semble ne pas vouloir aller au-delà des dialogues pour exprimer l’amour, l’Éros que les mouvements de caméra noient dans un refus de montrer les formes sensuelles de l’amour. Il rend la relation amoureuse littéraire, comme Marguerite Duras, les mots se heurtent à l’inconscient, ce qui promet sans doute pour un prochain film.

 

Concerto pour violon et orchestre de Mozart

Le film de Radu Mihaileanu, Le Concert (2009), est en opposition avec l’œuvre cérébrale et la réserve d’Alain Resnais. Il prend son essor dans le thème de la politique, dans la sensualité des êtres bouillonnant de frustrations et de désir de rattraper le temps perdu. Tous les personnages sont épris de musique. Personne ne retient ses mots, les expressions fusent. C’est un film moins formel que celui de Resnais qui utilise des mouvements de caméra sophistiqués et quelques effets visuels. C’est plus spectaculaire puisqu’il s’agit au final d’un concert donné au Théâtre du Châtelet.

 

Le concerto pour violon de Tchaïkovski exalte la sensibilité des personnages qui tombent dans une émotion grandiose où se mêlent cette revanche positive sur un système politique qui avait écrasé toutes les existences, toutes les promesses d’un peuple livré à un totalitarisme absolu où toutes les ambitions artistiques avaient été broyées par un système qui réfutait l’individualisme positif de l’homme. Le mélodramatique est nécessaire dans ce film, voire utile, pour entrer dans une forme d’art du spectacle promis à une acceptation du public. Cette volupté qu’accompagne le regard de l’actrice, Mélanie Laurent qui interprète le concerto pour violon de Tchaïkovski fonde une sensualité qui provoque les larmes.

 

Le film est aussi politique. À l’ère de Brejnev, pour avoir refusé d’exclure ses musiciens juifs, un chef d’orchestre est rejeté pendant trente ans de tous les orchestres. Il prend sa revanche en se faisant passer pour l’orchestre du Bolchoï. Il recrute toutes sortes de musiciens, tsiganes et amateurs et réussit à constituer un orchestre qui le mènera à Paris.

 

Dans une autre perspective, Jean-Pierre Jeunet préfère empêcher le goût des armes de se développer tout en réconfortant des hommes et des femmes brisés par la vie et les accidents dus aux armes. Micmac à tire-larigot (2009) met en scène des laissés-pour-compte qui, malgré tout, ont plus d’un tour dans leur sac et veulent contribuer à l’amour de l’humanité, défendre la vie contre les trafiquants d’armes qu’ils vont mettre hors d’état de nuire. L’histoire ne peut presque pas se raconter. Il y a de la générosité, de l’amour, bien retenu par les blessures de chacun. La solidarité merveilleuse fait honneur à leur dévouement pour tous les individus rencontrés. L’esthétique de Jean-Pierre Jeunet, à dominante dorée, donne un aperçu du désir profond des êtres: revenir au paradis et vivre mieux.