La guerre des oliviers

Écrit par Valerian Matazaud, Collaboration spéciale
03.11.2009
  • La récolte des olives près du village de Yanoun, en Cisjordanie(攝影: / Val

Le rameau de la paix toujours brisé en Cisjordanie

NAPLOUSE, Cisjordanie – Branches et troncs coupés, arbres brûlés, olives volées, affrontements entre colons, fermiers palestiniens et armée israélienne, jet de pierres ou de roquettes artisanales... La période de la récolte des olives, autrefois festive, est devenue, depuis plusieurs années, synonyme de violence à travers la Cisjordanie.

«Presse, presse, presse, tous les jours la presse», se lamente Abed Al-Muhainin, un fermier du village de Burin, en Cisjordanie. Depuis le 28 septembre dernier, c'est bien malgré lui qu'il est devenu une attraction locale. «La nuit du Yom Kipour, raconte-t-il, 25 colons sont descendus du village de Yitzhar sur la colline voisine et ont coupé les branches de 97 oliviers. Ils avaient d'abord essayé de les brûler mais, là, ils sont revenus avec des scies.» « Dans le champ voisin, ajoute Bilal Eel – un ami de la famille – ils ont récolté les olives de 115 arbres avant que nous puissions le faire.» Selon l'AFP, la police enquête, mais pour les habitants du village – et les militants internationaux qui les accompagnent – le crime restera probablement impuni.

À Yanoun, un petit village situé à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Naplouse, un autre fermier témoigne : «Il y a plusieurs années, les habitants de la colonie voisine ont coupé les troncs de plus de 200 arbres.» Walid, son frère, précise que sur les hauteurs de Yanoun, des arbres palestiniens ont été déracinés pour être replantés ailleurs. «Une fois, ils ont tiré sur mon oncle, une balle dans la jambe, juste parce qu'il cueillait des olives sur son terrain, proche de la colonie.»

La colonie d'Itamar, fondée en 1984 par un groupe de juifs orthodoxes de Jérusalem, s'est établie à quelques centaines de mètres du village palestinien de Yanoun. «Nous sommes venus ici pour faire revivre la terre de nos ancêtres, qui a toujours été la nôtre», peut-on lire sur leur site Internet.

  • Mohamed, un volontaire de Californie à qui on a interdit d'aider à la récolte dans ce champ sous haute surveillance(攝影: / Val

Les tensions entre les deux communautés ont culminé en 2002. Selon la BBC et le journal israélien Haaretz, huit familles ont dû fuir le village de Yanoun, suite aux menaces et aux attaques incessantes des colons. En 2003, le meurtre d'une mère et de trois enfants de la colonie juive est revendiqué par le Front de libération palestinien puis, en 2008, un berger arabe est assassiné par un groupe de juifs extrémistes près d'Itamar.

Yanoun, Burin, Jit, Safit, Safa, Karyut... Le «Journal de récolte» de l'association israélienne Rabbis for Human Rights suit pas à pas les tensions qui enflamment la région au moment de la récolte des olives.

Au cœur de cette complexe problématique, l'implantation de colonies israéliennes au centre de la Cisjordanie. Historiquement, la Cisjordanie, apparue à l'issue de la guerre des six jours en 1967, se compose des territoires perdus par la Jordanie à l'est du fleuve Jourdain et à l'ouest d'Israël le long de la ligne verte.

Entamée dans les années 1970, la colonisation de la Cisjordanie est contraire à l'article 49 de la quatrième Convention de Genève et à l'article 6 de la Loi canadienne sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, explique Denis Barthe, avocat à Montréal et membre de la Ligue des droits et libertés.

Dés 1979, le Conseil de sécurité de l'ONU considérait, dans sa résolution 446, que «la politique israélienne consistant à établir des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens n’avaient aucune validité en droit et faisaient gravement obstacle à l’instauration d’une paix générale au Moyen-Orient».

Sans jamais reconnaître leur légitimité, le gouvernement israélien n'en a pas moins largement financé le développement de leurs infrastructures et, notamment, de routes – interdites aux Palestiniens – qui découpent la Cisjordanie. On estime aujourd'hui à une centaine le nombre de ces implantations dont la surface ne cesse de s'étendre. Pour Michel Warschawski, historien et pacifiste israélien, cette politique d'extension a atteint son point culminant depuis la tactique des «faits accomplis» promue par l'ex-premier ministre Ariel Sharon.

  • Abed Al-Muhainin et Bilal Eel posent au milieu du champ(攝影: / Val

Les fermiers et villageois palestiniens apparaissent aujourd'hui comme les grands perdants de cette guerre de position.

À la signature des accords d'Oslo en 1993, la Cisjordanie se scinde en trois zones. La zone A, sous juridiction civile palestinienne, la zone B, sous contrôle mixte israélo-palestinien, et la zone C, totalement contrôlée par Israël. Cette dernière représente 71 % du territoire.

Selon un rapport du Sénat français, daté de 2002, l'expansion des colonies s'est accélérée à la suite de la signature des accords.

Depuis la création de la zone C, en bordure des routes et des colonies proches de Yanoun, Walid et sa famille ont perdu l'accès à une partie de leurs terres. «Chaque année, nous devons demander un permis à l'armée israélienne pour récolter nos olives. Il nous faudrait près de 13 jours pour la récolte, mais nous n'y avons pas accès plus de trois jours. Ensuite, les colons viennent ramasser le reste et, certaines années, l'armée ne nous délivre pas de permis. Si nous essayons d'y aller hors de ces périodes, les colons nous attaquent.»

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David Urin, bénévole pour Zaytoun, un organisme de commerce équitable britannique qui aide les Palestiniens à récolter leurs olives et à distribuer leur huile, estime que «la présence de volontaires internationaux permet de minimiser les attaques violentes». La démarche est partagée par plusieurs autres mouvements de paix internationaux ou israéliens.

  • Récolte d’olives près du village de Yanoun, en Cisjordanie(攝影: / Val

Inlassablement pourtant, le grignotage des terres palestiniennes continue. Maggie Foyart, une des bénévoles de Zaytoun en Angleterre, détaille le processus d'abandon forcé des terres. «Les paysans n'ayant accès à certaines zones que trois jours par an, ils ne peuvent travailler la terre ou élaguer les arbres qui tombent alors malades. Les récoltes sont de moins en moins bonnes, ce qui entraîne un cruel manque à gagner pour les familles. Au bout de quelques années, les terres sont abandonnées et annexées.»

Sjouke Bergsma, un bénévole hollandais du Programme œcuménique d'accompagnement en Palestine et Israël, témoigne également de la disparition des fourrages pour les moutons à Yanoun. «La colonie d'Itamar a établi un périmètre de sécurité de 500 mètres. Les paysans ont dû se replier vers les vallées et ne trouvent plus assez de nourriture pour leurs troupeaux.» De 200, le troupeau de Walid a chuté à 30 têtes ces dernières années.

«L'armée interdit les nouvelles constructions dans le village.» Plus de terres, plus de maisons, plus de travail. «Un village comme Yanoun pourrait disparaître dans les 30 prochaines années, et les terres seront annexées», conclut Sjouke Bergsma.

L'auteur est actuellement en Cisjordanie avec l'ONG Project Hope, qui a pour mission de fournir une éducation participative aux jeunes Palestiniens.