Un ex-guérillero à la tête de l’Uruguay

Écrit par LatinReporters.com avec La Grande Époque
30.11.2009

  • Défaite de l’ancien président conservateur Luis Alberto Lacalle.(攝影: / 大紀元)

MONTEVIDEO – «L’indépendance» de l’Uruguay face aux «ingérences» du président vénézuélien Hugo Chavez a eu beau être brandie par l’ancien président conservateur Luis Alberto Lacalle contre son adversaire de gauche au 2e tour de l’élection présidentielle, l’ex-guérillero José Mujica a largement remporté le scrutin du 29 novembre.

 

Candidat à 74 ans du Front élargi regroupant toutes les gauches, radicales et modérées, José Mujica, surnommé Pepe, avait déjà largement devancé le 25 octobre ses adversaires du 1er tour de la présidentielle: 48% des suffrages, contre 29% au Parti national (droite), appelé aussi Parti Blanco, mené par Luis Alberto Lacalle et 17% au candidat de l’historique Parti Colorado (centre droit), Pedro Bordaberry.

 

L’avantage d’entre 2 et 10 points octroyés par les sondages unanimes à José Mujica rendait inévitable sa victoire finale le 29 novembre selon la plupart des sociologues consultés par les médias uruguayens. Le Front élargi conserve donc pour une nouvelle législature de cinq ans le pouvoir conquis pour la première fois en 2004 avec le social-démocrate Tabaré Vazquez, aujourd’hui président sortant. Comme lui, Mujica pourrait s’appuyer sur une majorité absolue parlementaire de gauche, renouvelée le 25 octobre, pour gouverner cet Uruguay d’à peine 3,4 millions d’habitants, grand comme quatre fois la Suisse à laquelle on l’a parfois comparé, c’est-à-dire petit à l’échelle sud-américaine.

 

Le «va-tout» de Luis Alberto Lacalle

Pour tenter de conjurer sa défaite annoncée avec insistance, Luis Alberto Lacalle, 68 ans, a souvent attribué à José Mujica une pensée identifiée à celle de Hugo Chavez et de la révolution cubaine. Il priait en fin de campagne l’ex-guérillero de clamer publiquement, avant le 29 novembre, qu’il n’adhérerait pas à la Ve Internationale socialiste qu’ambitionne de créer le président du Venezuela.

 

Le candidat conservateur insinuait à voix haute que son adversaire n’était peut-être pas le mieux placé pour défendre «l’indépendance nationale» lorsque Chavez commettait «l’ingérence» d’envoyer «une grande embrassade à Pepe», le désignant comme «prochain vainqueur de l’élection» présidentielle uruguayenne.

 

Luis Alberto Lacalle affiche le même nationalisme contre les «ingérences» en faveur de Mujica qu’il attribue à des personnalités du Parti des travailleurs du président brésilien Lula da Silva et à des intellectuels «proches du couple présidentiel argentin», Cristina et Nestor Kirchner.

 

La presse conservatrice et les partisans de Luis Alberto Lacalle rappelaient avec raison que ni Mujica ni sa femme et aussi ex-guérillera, la sénatrice Lucia Topolansky, ne se sont jamais repentis d’avoir tenté avec les tupamaros d’importer la révolution cubaine en attaquant par les armes la démocratie uruguayenne pourtant conduite alors, comme aujourd’hui, par un Parlement et un président élus.

 

Sur ce point sensible, José Mujica et Hugo Chavez sont sur la même longueur d’onde. Le leader bolivarien ne regrette en effet nullement sa tentative de coup d’État militaire du 4 février 1992. Il célèbre même chaque année l’anniversaire de cette date, imposé aux Vénézuéliens comme jour férié national, alors que c’est aussi un président et un Parlement élus qu’il prétendait renverser. Il leur reprochait une corruption - réelle et manifeste - mais après dix ans de pouvoir chaviste, le rapport 2009 de Transparency international vient d’attribuer au Venezuela, comme en 2008, le titre de pays le plus corrompu d’Amérique latine.

 

Assurant Hugo Chavez de sa «sympathie», José Mujica précise néanmoins récemment qu’il lui préfère le Brésilien Lula da Silva pour sa «philosophie» du dialogue et que s’il était élu à la présidence, il n’y aurait «ni expropriation ni aucune des sottises commises au Venezuela».

 

Fondées ou non, les spéculations sur une prochaine dérive autoritaire, style Chavez, d’une présidence qu’assumerait José Mujica ont contribué en pleine campagne électorale à conférer un énorme écho médiatique à la découverte fortuite d’un arsenal clandestin, le 31 octobre à Shangrila, station balnéaire située à 20 km de Montevideo.

 

Des révolutionnaires toujours présents

Au total, 704 armes courtes et longues, y compris des fusils de guerre M-16, FAL et AK-47, ainsi que 500 grenades, 200 kg de poudre et 110.000 cartouches ont été saisis. Une littérature marxiste les accompagnait dans la demeure d’un économiste nommé Saul Feldman. Se présentant chez lui après un début d’incendie signalé par des voisins, la police a été accueillie par l’économiste à coups de feu. Selon la version officielle, Saul Feldman, dont les activités clandestines demeurent un mystère, a tué un policier et en a blessé deux autres avant, blessé lui-même, de se suicider.

 

Le Parti Colorado, par la voix de l’ex-président uruguayen Jorge Batlle, et le Parti national de Luis Alberto Lacalle ont prétendu aussitôt que Saul Feldman avait noué des relations avec José Mujica et ses anciens tupamaros. Mais l’absence de preuves pour soutenir une telle affirmation a apparemment empêché le candidat conservateur d’en retirer des dividendes électoraux. La manière dont ses partisans ont tenté d’utiliser l’affaire lui a peut-être même porté préjudice. Un comble alors que la lutte contre la criminalité, avec promesse d’y impliquer l’armée, a été l’un des grands thèmes de campagne de Luis Alberto Lacalle.

 

Les atouts de José Mujica

L’ancien guérillero tupamaro José Mujica s’est pour sa part présenté en continuateur du modéré Tabaré Vazquez, qui remettra le 1er mars 2010 l’écharpe présidentielle à son successeur, après avoir réduit de 34 à 20% le taux de pauvreté, de 13 à 8% celui du chômage, obtenant aussi un niveau d’investissements étrangers jamais atteint auparavant dans une économie qui continue à croître malgré la crise.

 

Une première mondiale symbolise peut-être cette réussite à laquelle contribua José Mujica comme ministre de l’Agriculture: l’Uruguay est devenu sous la première législature du Front élargi le seul pays de la planète dont tous les élèves du cycle primaire de l’enseignement public, ils sont 362.000, ont reçu chacun gratuitement un ordinateur portable avec connexion wi-fi à Internet. Les étudiants du secondaire devraient bénéficier du même privilège à partir de 2010. Qu’une gauche latino-américaine démocratise à ce point l’accès à Internet donne probablement, à Cuba, des sueurs froides aux frères Castro.

 

Face à cela, les messages forts du candidat conservateur – une étonnante, mais alléchante, suppression de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les retraites – n’ont pas porté. En 2009 et en Amérique du Sud, avoir été président avant le grand virage régional à gauche et être de surcroît riche propriétaire terrien est moins rentable qu’avoir pour bagages, comme José Mujica, une origine et un franc-parler paysans, une allergie au costume-cravate, une version Robin des Bois d’un passé de guérillero et de prisonnier de la dictature, ainsi qu’un sourire de grand-père du peuple d’apparence débonnaire.