Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Une image et mille maux

Écrit par Mélanie Thibault, La Grande Époque
30.11.2009
| A-/A+
  • Des balles tirées en une nuit (攝影: / 大紀元)

MONTRÉAL – Du 1er au 15 décembre, Philippe Ducros, auteur, metteur en scène et comédien présente L’affiche à Espace Libre. Empreint d’images de martyrs et de témoignages israéliens et palestiniens sur ses affiches, il réalise une œuvre de fiction. La Grande Époque le rencontre pour vous.

La Grande Époque (LGÉ) : Trois voyages en territoire palestinien et dans les camps de réfugiés au Moyen-Orient. Quel est le contexte et quel est l’objectif de ces voyages?

Philippe Ducros (P.D.) : Je suis allé six fois au Moyen-Orient. La première fois, je me rends au Liban et en Syrie suite à une invitation d’écriture vagabonde, un organisme français qui invite des auteurs de la francophonie. L’auteur a pour mission de sensibiliser les gens à d’autres réalités. Dès mon départ, je voulais parler de la Palestine. Je suis allé dans les camps de réfugiés au Liban et en Syrie en mars 2004. En novembre 2005, je repars pour la Palestine, dans les territoires occupés, juste avant les élections. Je suis retourné au Liban pour aller lire mes carnets de voyage, écrits lors de mon premier séjour. Ils décrivent ce que j’ai vu dans les camps palestiniens. La pièce L’affiche est jouée en Syrie.

Je retourne en Palestine une seconde fois juste après l’élection du Hamas en 2006, pour tourner un documentaire autour de la création de L’affiche avec Hugo Latulipe. Nous attendons d’ailleurs du financement supplémentaire pour terminer sa production. À ce moment, l’aide internationale est coupée en Palestine. Nous constatons alors son impact sur le territoire.

Lors du troisième passage, nous sommes en janvier 2009. Je voulais entrer à Gaza par l’Égypte, mais les bombardements ont commencé et il n’était plus possible d’accéder au territoire de Gaza. J’ai regagné Jérusalem en avion. Des trois voyages, je n’ai jamais pu me rendre à Gaza. Mon objectif a toujours été de me documenter pour savoir de quoi je parle dans la pièce. Je devais avoir une idée de l’impact de l’occupation sur les autres territoires tout en me confrontant à la réalité des réfugiés palestiniens. Il y a 4,5 millions de réfugiés palestiniens dans le monde dont 1,5 million se trouvent en Cisjordanie et à Gaza.

LGÉ : Que chercher-vous à transmettre avec L’affiche?

P.D. : Ma pièce se passe dans les camps, les check point, Israël, les synagogues, mais cette pièce est dédiée aux réfugiés palestiniens. Je ne voulais pas faire une pièce manifeste ou de propagande. Il y a toute une réflexion sur ce qu’est la propagande dans le spectacle.

  • Philippe Ducros(攝影: / 大紀元)

Je ne voulais pas être accusé de partisannerie. Mon but était de créer le questionnement, la réflexion sur la situation. Ce n’est pas de désigner les méchants et les bons, mais de témoigner de l’impact de l’occupation sur les gens. Pas sur les dirigeants, sur les soldats, les activistes, mais sur ceux dont on ne parle pas aux nouvelles. C’est sûr que du côté palestinien, l’impact de l’occupation est omniprésent. On le retrouve partout : dans la manière de circuler, dans les études universitaires, dans le vocabulaire employé. Ils apprennent par exemple l’hébreu en prison.

Chez les Israéliens, il y a tout de même des impacts, même moins perceptibles. L’impact majeur se retrouve dans le service militaire. En 2006, c’était trois ans chez les hommes, deux ans chez les femmes. C’est obligatoire à moins que l’on consacre sa vie à la Torah ou que l’on soit musulman.

Il y a aussi les attentats terroristes, bien qu’ils soient beaucoup moins fréquents qu’il y a quelques années. Quand on se fait sauter dans un marché, il ne s’agit plus de résistance. Ce que le gouvernement fait de ces actes en construisant le mur installe une guerre définitive entre les Arabes et les Juifs, Palestiniens et Israéliens. L’impact de l’occupation est une chose. J’ai voulu prendre un angle en m’intéressant aux affiches de martyrs et plus spécifiquement à son concept de martyrisation : la glorification de ces martyrs, de ces gens morts à la guerre, et ce, des deux côtés.

La propagande par l’affiche est en confrontation avec l’art. Un des personnages de la pièce est peintre. Le peintre refuse de peindre les murailles de martyrs. Il refuse de faire autre chose que de l’art. Trois pôles sont exploités : l’art, la propagande et le documentaire. Je veux montrer à quel point tout cela se mélange à un moment ou à un autre. C’est la réappropriation du drame intime par le public. Le privé devient public par l’affiche de martyrs en Palestine. En Israël, il y a les sirènes chaque année remémorant les camps de la Seconde Guerre mondiale, les gens morts et la création d’Israël.

LGÉ : Quelle liberté trouvez-vous dans le passage de la réalité israélo-palestinienne à la création d’une œuvre de fiction?

P.D. : Déjà, le regard n’est pas le même quand j’aborde les gens. Ils me demandent pour quel média je travaille. Je leur réponds que je ne suis pas journaliste, mais auteur de fiction. Le discours change. Chez les Palestiniens, il y a ce désir, cette urgence de se confier, de dire ce que cette histoire leur fait. Les gens viennent s’asseoir autour de moi et me disent souvent : «Tell them wer’re not terrorists!» Les gens partagent leur histoire en anglais ou en arabe. Je baragouine l’arabe aussi. Je me sens porteur de ces témoignages.

La liberté du spectacle se trouve dans le mélange de toutes ces histoires qui font un personnage, tant du côté israélien que palestinien. Je suis là pour récolter des émotions. Je crois aussi que je reviens de ces voyages beaucoup plus massacré que si j’étais un journaliste. J’espère que les gens vont s’attacher au personnage. Ce n’est plus 1400 morts qui sont anonymes, ce sont les personnages qui vivent cette histoire. La fiction permet de mettre des visages, de l’humanité, de créer un contact réel. J’espère que les gens auront envie de se renseigner et se sentiront concernés par les nouvelles.

LGÉ : Est-ce que la pièce vous permet de prendre position, de proposer des solutions pour le conflit?

P.D. : Je me documente énormément pour justifier la fiction. Pour défendre les attaques, on dit qu’Israël se protège. Mais, en ce moment, si Israël veut se défendre, la meilleure façon d’y arriver est de faire la paix. Je crois que le gouvernement israélien ne veut pas la faire. Tout le processus de colonisation le démontre. Il y a 450 000 colons en Cisjordanie. Les coûts pour les déplacer s’élèvent à 4,8 milliards de dollars. Il y a plus de 150 colonies. Gaza possède la plus grande densité de population au monde. C’est toujours le même principe du droit acquis.

Il y a, depuis 1967, des colons qui sont nés dans ces colonies. On dit que pour ces raisons, c’est impossible de les déloger. Mais à un moment, oui. Prendre une position de neutralité, c’est prendre position pour l’occupant. La paix ne viendra pas de sitôt. Il faut arrêter de parler d’un conflit israélo-palestinien, mais plutôt de l’occupation de la Palestine. La démocratie est en crise, ce n’est pas une guerre pour la démocratie. Il ne s’agit pas d’être pro-israélien ou pro-palestinien. Jamais je me proclamerai pro-palestinien, mais je crois qu’il a un droit à la justice. Il y a un peuple qui est occupé, c’est indéniable, c’est reconnu par toutes les instances internationales : l’ONU, les conventions de Genève… Il y a un occupant et un occupé. En acceptant la situation, on est plus neutre.

L’affiche a été traduite en arabe et jouée à Damas en 2006, à Caen et à Paris par le Panta théâtre en 2008 et 2009. Le texte de L’affiche est disponible aux éditions Lansman.

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.