La chute du dernier dictateur communiste d’Europe

Écrit par Laurent Gey, La Grande Époque
25.12.2009

  • Pendant un service religieux de commémoration au monument de Cimetière de Héros dans la ville Timisoara, une femme roumaine pleure pour son parent tué pendant la répression de 1989. (AFP PHOTO/DANIEL MIHAILESCU)(STF: DANIEL MIHAILESCU / ImageForum)

Beaucoup se rappellent la rediffusion du corps inanimé de Nicolae Ceauşescu au journal de 20h le 26 décembre 1989. Vision macabre d’une barbarie provoquée par les crimes d’un dictateur autrefois adulé. L’Europe a pu en tirer une leçon historique et dramatique du communisme à l’intérieur de ses frontières. Avant cette date la vie en Roumanie devenait de plus en plus insoutenable tant les restrictions étouffaient le peuple. Ce sont les répressions sanglantes du gouvernement dans la ville de Timisoara  qui ont  amené le Tribunal militaire de Roumanie à prononcer la sentence d’exécution du dictateur, le 25 décembre 1989.

La vie quotidienne sous la dictature communiste

Les victimes des régimes communistes disent souvent que seuls ceux qui ont vécu sous un tel régime peuvent réellement comprendre l’atrocité de cette politique. Voici quelques témoignages montrant dans un dé à coudre la vie quotidienne à l’intérieur de la dernière dictature de Roumanie.

Un enfant participait aux grands défilés communistes,  des spectacles montés de toute pièce à la gloire du dictateur et à celle du nationalisme en Roumanie.  A la télévision et dans les journaux, on voit partout des milliers de personnes dans les rues applaudissant et scandant des slogans en faveur de Ceauşescu. Cet enfant maintenant adulte se souvient: «c’était une gigantesque mise en scène, qui ne manquait pas de qualité, avec 22 millions de personnes qui applaudissaient». Derrière ce spectacle monté de toutes pièces pour glorifier l’idéologie socialiste et le culte de la personnalité de Nicolae Ceauşescu, il y avait une population prête à tout croire pour sortir de l’orbite soviétique.

De cette histoire roumaine sombre,  le prix Nobel de littérature 2009, Herta Müller, romancière allemande d’origine roumaine,  en a aussi été le témoin. Herta Müller s’est toujours opposée au régime de Ceausescu et n’a eu de cesse de décrire les conditions de vie sous la dictature, avec leur cortège “de corruption, d’intolérance et d’oppression”. Ses œuvres d'une extraordinaire force poétique, qualifiée d’«esthétique de la résistance», évoquent souvent la violence contre les plus faibles, l'injustice et les terreurs de la dictature. Ses deux premiers livres (Niederungen et Drückender Tango), parus à Bucarest avant la chute du régime furent censurés. Elle immigra en Allemagne en 1987.

L'un des psychologues sociaux les plus connus de Roumanie, Adrian Neculau, décrit en ces termes  dans «La vie quotidienne sous le communisme» le climat politique d’alors. «L’éducation idéologique et politique constituait une préoccupation majeure de la dictature communiste. La propagande marxiste-léniniste-staliniste débordait littéralement de tous les médias. […]. L’esprit de grande exigence scientifique était sapé par l’endoctrinement ininterrompu et grossier et le manque d’information de qualité [...]».  L’oppression sous le régime se manifestait aussi par les manques de nourriture et de chauffage, et l’obligation des ménages à se plier tous les jours aux longues files d’attente pour se rationner. La peur, la faim et le froid prennait au fur et à mesure le pas sur l’espoir d’une nouvelle société. Cette peur était aussi alimentée par un climat d’oppression et de délation omniprésent, caractéristique des régimes communistes, et la menace constante de l’emprisonnement  par le régime de Ceauşescu.

L’exemple pris sur la Corée du Nord et la Chine

En 1971, Ceauşescu se rend en visite officielle en république populaire de Chine puis en Corée du Nord. Il y manifesta un grand intérêt pour l'idée de la transformation nationale totale telle que développée dans le programme politique du parti des ouvriers coréens ou telle que l'avait mise en œuvre la Chine durant la Révolution culturelle. «Sa conception de l'"homme nouveau", empruntée à Mao Zedong, et que le Khmer rouge Pol Pot mettra en pratique à travers le génocide de son propre peuple, consistait à réduire en esclavage des millions de Roumains. Il les humilierait en les affamant, en les terrorisant, en les abêtissant, en détruisant leurs racines, en rasant leurs villages. En en faisant des robots soumis au seul et absolu pouvoir du clan Ceausescu. Sa chute ne pouvait être qu'atroce»(1). Peu après son retour en Roumanie, il commença à imiter la dictature nord-coréenne, influencé par la « philosophie du Juche » du président Kim Il-sung, faisant traduire en roumain, et largement distribuer dans le pays, divers ouvrages consacrés au Juche et à la création idéologique de l'Homme nouveau roumain façonné à la fois par le communisme et l'héritage national(2).

La fin chaotique du régime

Le pouvoir de Nicolae Ceauşescu en  Roumanie dura 25 années pendant lesquelles il fut adulé puis détesté. Il a été estimé que 8.000 à 10.000 personnes ont été exécutées illégalement par la Securitate, la police de l’état, sans avoir été jugées. Le 15 décembre 1989, des manifestants commencent à se rassembler à Timisoara pour protester contre l'expulsion de pasteur Laszlo Tokes par les autorités communistes, puis à Bucarest. Le 17, l'armée roumaine sur ordre de Nicolae Ceausescu tire sur la foule. Devant la détermination et la pression de la rue pour en finir avec la dictature,  c’est la fuite de Ceauşescu  et de sa femme le 22 décembre, et leur exécution le 25, après un procès expéditif de moins d’une heure.

Aujourd’hui, vingt ans après la chute de ce régime communiste, les Roumains tentent de comprendre  leur passé et de tirer les leçons de l’histoire. Ils sont nombreux à regretter qu’aucun véritable procès public n’ait pu avoir lieu afin de donner des éclaircissements sur les différents niveaux de corruption au sein de l’appareil d’état. Cela aurait permis tout du moins de refermer complètement  tous les volets de cette triste période historique.

(1)    Tiré de l’Express du 29/12/1989

(2)    Wikipédia