La Colombie lâche ses paramilitaires… au compte-gouttes

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque - Paris
14.03.2009

  • Le lourd passé des paramilitaires colombiens. Démantèlement d’arsenal fin 2007. (MAURICIO DUENAS/AFP/Getty Images)(Staff: MAURICIO DUENAS / 2007 AFP)

Le 3 mars, Hebert Veloza Garcia, un des plus redoutés des anciens paramilitaires colombiens, a été extradé vers les Etats-Unis pour trafic de drogue. D’après le Los Angeles Times, Veloza est arrivé à New-York où il doit être jugé. Les groupes de défense des droits humains craignent pourtant qu’il n’ait de ce fait pas à dévoiler les crimes dont il a été l’instigateur en Colombie.

Devant la justice colombienne, Veloza a reconnu avoir commandité des massacres, personnellement tué plus de 100 personnes et participé à des milliers de crimes – en particulier l’extorsion et l’expulsion forcée de fermiers. Le procureur Nubia Chaves précise que 480 meurtres exécutés sur son ordre sont reconnus par Veloza – 2.500, affirme le Herald Tribune. Des centaines de guérilleros de gauche auraient également été tués au Nord de la Colombie par les commandos de Veloza Garcia, avant qu’il soit capturé en 2007.

C’est pour cette raison que six associations de défense des droits de l’homme avaient demandé à la justice américaine de retarder l’extradition du chef militaire, afin d’avoir le temps de faire la lumière sur l’ensemble des crimes dont est accusé Veloza. Capturé en avril 2007, celui-ci faisait en effet partie des chefs paramilitaires coopérant le plus avec la justice pour bénéficier de la loi « Justice et Paix » qui offre la clémence de la justice en échange d’une aide au démantèlement des groupes d’extrême droite ou d’extrême gauche. Une clémence qu’il ne rencontrera pas aux Etats-Unis, raison pour laquelle, dans les six mois de délai de son extradition, celui-ci a collaboré très activement avec le tribunal spécial sur les crimes des paramilitaires

D’après la BBC, « les victimes pensent qu’il est extradé parce qu’il en sait trop sur l’identité de ceux qui ont travaillé avec les paramilitaires. » Le Géneral Rito Alejo del Rio par exemple, déjà arrêté pour meurtre, est cité par Veloza comme ayant été un de ses complices ; or le général a longtemps entretenu des liens étroits avec le Président colombien Alvaro Uribe.

En moins d’une année ce sont 17 chefs paramilitaires colombiens qui ont été extradés vers les Etats-Unis, à chaque fois en raison de leur activité dans le trafic de drogue.

« Il n’y avait pas de raison pour une extradition en urgence comme celle-ci» commente Ivan Cepeda, porte-parole du Mouvement Nationale des Victimes de Crimes d’Etat, cité par l’Associated Press : « Nous ne demandions pas qu’il ne soit pas extradé, mais seulement que cela soit retardé pour qu’il puisse tout avouer. »

Le Time est critique sur ce système d’extradition, qu’il juge inefficace : car si les Etats-Unis affirment que la production de cocaïne a chuté de 680 tonnes en 2002 à 535 tonnes en 2007, les Nations-Unis croient au contraire que sur la même période elle est passée de 580 tonnes à 630 tonnes. Le journal regrette par exemple le coût de chaque extradition pour les contribuables américains (transport et hébergement de témoins, frais de traductions…), mais reconnaît cependant que le système a l’avantage d’éviter la manipulation de la justice colombienne, illustrée par le cas d’un procureur arrêté en 2008 pour avoir collaboré avec un baron de la drogue.

La Cour suprême colombienne a pourtant, fin février, fait prendre un tournant inattendu aux pratiques d’extradition en refusant celle des leaders des FARCs impliqués dans la prise d’otage de la franco-colombienne Ingrid Betancourt. Elle refuse ainsi la compétence américaine pour des crimes commis en Colombie et non liés au trafic de drogue.

« Le risque que je vois dans cette décision est qu’elle met en danger le processus des extraditions, qui a été vital dans la lutte contre le trafic de drogue », comment le vice-ministre de la Justice Rafael Nietosaid dans une interview avec le Christian Science Monitor. « C’est une interprétation restrictive [de la loi sur les extraditions] qui a mon avis est en faveur des délinquants. »

Pour le Miami Herald qui ne décolère pas, la décision contredit une jurisprudence de 2004 qui avait autorisé l’extradition de Ricardo Palmera, alias Simon Trinidad, responsable de l’enlèvement de trois Américains et sans aucune activité connue liée à la drogue.

L’Ambassadeur américain William Brownfield  est lui-même perplexe : « Même si nous acceptons cette décision, nous devons remarquer que la justice colombienne est arrivée à une conclusion différente plusieurs fois dans le passé face à des faits similaires » a-t’il commenté devant la presse colombienne.

Veloza était Commandant dans l’Union des Forces d’Autodéfense de Colombie (AUC), un des principaux groupes paramilitaires constitués dans les années 80 pour lutter contre la guérilla communiste des FARC. Epaulés par des trafiquants de drogues et de riches propriétaires qui les payaient pour leur soutien. Les milices sont devenues des armées privées responsables de la mort de milliers de personnes, et ont opéré elles-mêmes le trafic de drogue. Depuis 2002, le gouvernement d’Alvaro Uribe a extradé plus de 800 suspects aux Etats-Unis, essentiellement pour trafic de drogue.