Amérique du Sud : la Terre aux natifs

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque
25.03.2009

  • Les Indiens et la défense de l’Amazone.(VANDERLEI ALMEIDA/AFP/Getty Images)(Staff: VANDERLEI ALMEIDA / 2009 AFP)

Une décision de la Cour Suprême brésilienne, adoptée à une majorité écrasante le jeudi 19 mars, maintient la protection d’une réserve indienne  dans la province de Roraima, au Nord du pays et implique que les propriétaires terriens cultivant le riz dans la région devront partir. Quelques jours auparavant, la Bolivie avait annoncé la redistribution aux populations indigènes de milliers d’hectares de terres appartenant à de grandes familles de propriétaires. Deux mouvements de protection des peuples premiers qualifiés d’historiques dans chacun des deux pays, avec en filigrane conséquences sociales et politiques.

La réserve brésilienne de Raposa Serra do Sol couvre plus de 1,7 millions d’hectares le long de la frontière vénézuélienne. Elle est la terre de près de 20.000 indiens d’Amazonie et, depuis 2005 et une décision du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, est devenue pour eux une zone réservée. Les tribus Macuxi, Wapichana, Ingariko, Taurepang et Patamona sont ainsi officiellement chez elles et les propriétaires terriens et orpailleurs divers priés de se rendre ailleurs.

Les autorités de l’État de Roraima et les producteurs de riz installés depuis le début des années 90 ont choisi la voie légale en avril 2005, considérant que la création de la réserve était inconstitutionnelle. Après trois années d’instruction, les délibérations de la Cour Suprême brésilienne ont commencé en août 2008, mais ont été suspendues par deux fois. En décembre 2008 par exemple, un des juges a demandé un ajournement de la décision – alors que 8 de ses collègues avaient déjà voté en faveur du maintien de la réserve indiennes.

Plus de 3.000 indigènes était rassemblés le 19 mars pour entendre la décision de la Cour, certains à Brasilia, lieu de son siège, d’autres à Boa Vista, capitale de l’état de Roraima. Par 10 voix sur 11, la Cour Suprême a refusé le 19 mars que la réserve conserve des « îles » sur lesquelles les grands propriétaires locaux se maintiendraient. Les quelques 600 fermiers qui n’ont pas encore quitté la région ont donc maintenant jusqu’au mois de mai pour le faire avant d’être expulsés.

Pour Gilmar Mendes, président de la Cour Suprême, la décision doit poser une jurisprudence pour les droits à la terres des indiens, et doit contrebalancer ce qu’il considère être le manque de considération de la part du gouvernement brésilien vis-à-vis de ces populations. « Nous avons établi un statut qui doit s’appliquer non seulement au cas de Raposa Serra do Sol case, mais aussi à d’autres » indique-t-il, cité par la BBC.

La décision de la Cour Suprême pourra-t-elle mettre fin aux tensions entre grands propriétaires et indien ? « Il n’y a pas de solution pacifique » croit Nelson Itikawa, président de l’association des producteurs de riz, cité par le service de presse du gouvernement brésilien. « Parce qu’il est possible qu’il y ait un conflit – certaines personnes perdront leur contrôle ».

La police fédérale brésilienne a déjà envoyé 500 agents sur place pour garantir la sécurité après l’annonce. Durant les trente dernières années des centaines d’indiens ont été blessés ou tués par les hommes de main d’orpailleurs et de ranchers. L’association de défense des peuples premiers Survival International affirme qu’avec le soutien de politiciens locaux, les exploitants refusant de quitter les terres ont tué au moins dix indiens depuis avril 2008, et brûlé des ponts pour empêcher l’accès à leur terre. Des séquences filmées sur le site de l’association montrent des attaques au fusil d’assaut et à la grenade par les hommes de main de propriétaires locaux.

L’annonce de la Cour pourrait donc être une véritable libération : « Les riziculteurs utilisent des engrais chimiques qui contaminent l’eau potable, le sol et les rivières, empoisonnent les oiseaux et les poissons dont dépendent les Indiens pour vivre. De plus, les mineurs ont commencé à draguer en six nouveaux points la rivière Máu. Le mercure qu’ils utilisent pour séparer l’or augmente dangereusement le niveau de pollution. De grandes quantités d’alcool sont également introduites dans les communautés indiennes où les maladies se répandent, propagées par les mineurs et les soldats installés à Uiramutã, à la porte même du territoire makuxi. Ils échangent régulièrement de l’alcool et des objets de pacotille contre des relations sexuelles, ouvrant la voie à la prolifération rapide de maladies sexuellement transmissibles » explique Survival France.

Le Brésil comporte 488 réserves indiennes qui couvrent 12 % de son territoire. D’après la Fondation Nationale Indienne du Brésil (FUNAI), sur tout le territoire 26 tribus vivent encore sans contact avec le monde développé ; et 123 nouvelles terres indigènes sont en cours d’identification.

Les militaires brésiliens s’inquiètent par contre déjà de la démarcation qui pourrait se créer entre Raposa Serra do Sol et le reste du Brésil ; la perte de contrôle sur la zone pose, pensent-ils, un problème de sécurité sur cette zone qui est frontalière avec la Guyane et le Vénézuela.

La Bolivie aussi

Quatre jours auparavant, en Bolivie, le président Evo Morales renforcé par la réforme de la constitution, a également commencé les redistributions de terres. Dans une cérémonie avec forte présence militaire, le président Morales a offert 38.000 hectares de terres aux indiens Guarani de la région Chaco, au Sud du département de Santa-Cruz – l’eldorado bolivien.

C’est dans l’Alto Parapeti, au Sud-Ouest du pays, l’endroit le plus symbolique à la fois des grands propriétaires latifundistes et de leur résistance au gouvernement, qu’Evo Morales a fait son annonce. Dans la ville de Caraparicito plus précisément.

Les terres sont reprises à quatre grands propriétaires terriens, les familles Larsen, Chavez, Malpartida and Curcuy – accusées d’avoir réduit à un état proche de l’esclavage 50 familles Guarani. Elles deviennent propriété guarani en application de la réforme agraire bolivienne.

« La propriété privée sera toujours respectée, mais nous voulons que ceux qui ne sont pas intéressés par l’égalité changent leur pensée et se focalisent plus sur le pays que sur l’argent », a déclaré Morales à la presse locale. « Aujourd’hui, depuis ici, nous commençons à mettre fin aux propriétés géantes en Bolivie. »

L’année 2009 sera celle « de la libération du peuple guarani et de la fin de l’esclavage » poursuit, emphatique, le vice-ministre des Terres, Alejandro Almaraz. Celui-ci a d’autant plus de raisons de se satisfaire qu’il a été en 2008 accueilli par des tirs de carabine sur les terres des Larsen, avant d’y être retenu de force pendant 24h.

« Ils me visent parce que je suis américain » répond Ronald Larsen, un citoyen du Montana, à l’Associated Press. « Mais nous n’allons pas partir comme des moutons ».

En 2004, indique la famille Larsen au New York Times, le géant pétrolier français Total a découvert sur leurs terres l’un des plus grands gisements de gaz naturel de Bolivie. Ceci expliquerait, croit Larsen, l’intérêt du gouvernement pour la redistribution des terres. Car le président Morales pourra se passer de l’accord de la province de Santa-Cruz – qui lui est farouchement opposé – en ayant sur les terres des marunis favorables au gouvernement.

Amnesty International rappelle que l’Organisation internationale du travail, le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies et la Commission interaméricaine des droits de l’homme affirment que plus de 167 familles sont contraintes au travail des champs par les dettes ou à d’autres formes similaires d’esclavage dans les exploitations agricoles du territoire d’Alto Parapeti.

La nouvelle constitution bolivienne, effective depuis février après le succès du référendum national de janvier, limite à 5.000 hectares la taille maximale des propriétés, et impose des normes sociales plus strictes aux grands propriétaires. Le Congrès National Bolivien, paralysé pendant des mois par l’opposition de plusieurs provinces, a finalement ratifié les réformes en octobre 2008 après qu’Evo Morales ait accepté en retour de ne pas se représenter aux élections présidentielles après celles de décembre 2009.

Les « bons indigènes »… et les autres

La défense des peuples natifs ne semble par contre pas inclure leurs représentants pensant pouvoir s’opposer au président Morales.  La famille de Victor Hugo Cardenas, un Aymara comme Morales et ancien vice-président, en a fait les frais. Après que Cardenas ait déclaré sa candidature aux élections présidentielles de décembre 2009, le 7 mars un groupe armé s’est attaqué à sa maison sur les rives du lac Titicaca. Sa femme et son fils ont été battus si violemment qu’ils ont dû rester plusieurs jours à l’hôpital. La famille est maintenant bannie de la région, sans que la police ni les juges aient jugé utile d’intervenir. Pour Evo Morales, laconique, « Les boliviens n’ont pas de tolérance pour les traîtres, et ils ne leur pardonnent pas ».

Le « traître » Cardenas, un professeur d’université, a emmené sa famille pour la mettre en sécurité à La Paz. Défenseur ardent des droits de peuples natifs, Cardenas s’est distancé du « Mouvement vers le Socialisme » de Morales dont il pense qu’il crée une nouvelle discrimination en exploitant des rancœurs anciennes. La nouvelle constitution va, d’après lui, concentrer le pouvoir au sein d’un gouvernement de gauche en pleine radicalisation plutôt que d’aider à la démocratie.