Cinéma et Histoire, documentaire et faits divers

Écrit par Alain Penso
26.03.2009

  • Marc Ferro, historien.(攝影: / 大紀元)

MARC FERRO CRÉE LE CINÉMA ET L’HISTOIRE

L’historien Marc Ferro dans les années 70 avait élaboré une nouvelle théorie pour approcher l’histoire grâce au cinéma: «Le film une contre-analyse de la société». Discipline jusque là méprisée, le cinéma était relayé au dernier rang des expressions artistiques, considéré par les intellectuels, et la haute bourgeoisie comme un simple spectacle détournant les facultés d’intelligence d’autrui. Il fallait s’en éloigner car seul l’écrit selon eux avait le droit de cité. Pourtant la compréhension des sociétés comme celle de la Russie soviétique ou de l’Allemagne nazie passe par l’analyse de leurs cinémas respectifs.

 

LE CINÉMA DE PROPAGANDE

Les dirigeants de ces deux pays avaient doté leur cinéma de moyens suffisants pour colporter leur propagande politique. Le cinéma russe relayait la voix du Parti communiste, «cette parole infaillible qui ne pouvait pas se tromper». Les cinéastes qui dérogeaient aux instructions du Parti se voyaient expédiés au fin fond de la Russie dans les goulags. Il en était de même pour le cinéma nazi très surveillé par Joseph Goebbels le ministre de la Propagande d’Hitler qui commandera à Veit Harlan Le juif Süss. Fritz Lang avait refusé la direction du cinéma nazi. Il a émigré en 1933 aux États-Unis après avoir repoussé les propositions de Goebbels en lui disant que ce n’était pas raisonnable d’assumer un tel poste puisqu’il était juif. Le ministre nazi a répliqué: «Je décide moi-même qui est juif ou qui ne l’est pas».

 

Plus tard Fritz Lang tournera aux États-Unis de nombreux films dont Man Hunt (Chasse à l’homme, 1941) un film anti-nazi qu’il se fera un plaisir immense à faire, une sorte de pied de nez à Goebbels après avoir réussi à rejeter sa proposition et à s’enfuir avant qu’il n’ait pu le faire arrêter.

 

Le mémorial de la Shoah, avec l’aide de la cinémathèque de Toulouse, a programmé un cycle de films soviétiques s’élevant contre l’antisémitisme. Ce sentiment témoigne de la soif des hommes de posséder coûte que coûte le pouvoir en proférant des injures contre leurs semblables afin de s’emparer des postes qu’ils occupent. Le meilleur exemple est le film d’Adolph Minkin et d’Herbert Rappoport de 1938, Le professeur Mamlock. Il s’agit de l’histoire d’un chirurgien éloigné de la politique qui subit toutes sortes de vexations et finit par se rallier aux idées de son fils pour combattre le régime nazi que seule la résistance peut atteindre. Il est abattu après un discours enflammé prononcé depuis son balcon. La scène du discours sur le balcon rappelle la fameuse scène du film Le dictateur de Chaplin qui écrira le scénario du film en 1936 et le tournera en 1938 un peu après la Nuit de Cristal où des milliers de commerces tenus par des juifs ont été saccagés, brûlés, mis à sac, et où plus d’un millier de juifs sont assassinés sans que la population ne s’émeuve de ces injustices flagrantes.

 

Le professeur Mamlock fut retiré de la circulation après la signature du pacte germano-soviétique comme beaucoup d’autres films soviétiques favorables aux juifs.

 

La famille Oppenheim, film présenté en 1938 adapté du roman de Feutwanger montre un professeur de lettres adhérent au parti nazi qui pousse le jeune Oppenheim au suicide en pervertissant la pensée bienveillante de leur précédent professeur assassiné dans le métro. Contraints de fuir à l’étranger, ses parents vendent l’entreprise familiale. Ce film n’est pas sans rappeler dans l’esprit La grande illusion (1937) de Jean Renoir où la classe populaire s’allie provisoirement à la bourgeoisie pour permettre de résister à l’occupant et permettre à Jean Gabin (lieutenant-maréchal) et Marcel Dalio (Rosenthal) de franchir la frontière suisse et échapper à l’enfermement d’un camp de prisonniers.

 

Le juif Süss était un film de propagande nazi écrit en détournant le roman de Feutwanger, ce que Veit Harlan évidemment avait nié. Selon ses dires lors de son procès après la guerre, il aurait été contraint de faire ce film mais cette version des faits est démentie par l’analyse de François Garçon.

 

UNE ENTREPRISE DE DÉNIGREMENT RACISTE

L’affaire Beilis (1917) est un petit portrait d’une dizaine de minutes qui présente brièvement le protagoniste du procès: Beilis est accusé d’avoir tué un enfant et de l’avoir vidé de son sang pour répondre, selon l’accusation, à un rituel religieux. Les experts nommés par la défense se moqueront du ministère public en affirmant que si Beilis avait dû suivre les préceptes de sa religion, il aurait mangé le cadavre, et non pas bu le sang. Ce procès fait partie des nombreuses accusations de crimes rituels faites aux juifs sous prétexte d’apaiser le peuple de ses frustrations sociales en prenant part à des pogroms. Il faut rappeler qu’à cette période il y en a eu, selon les spécialistes, trois cents environ. Le documentaire est saisissant et montre Beilis emmené au procès par des militaires soviétiques. Le procès Beilis rapporte le cadre dans lequel se règle l’affaire pour laquelle il est jugé. Beilis sera acquitté et émigrera en Palestine.

 

Le cinéma du réel a projeté son lot de trésors. J’ai eu la chance de tomber sur le film qu’il fallait avoir vu de Gianfranco Rosi Below Sea Level d’une durée de 115 minutes tourné en 2008. Ce film décrit en cinéma direct des gens qui ont tourné le dos à la société et qui veulent rester isolés. Ils habitent dans des caravanes en mauvais état à 300 kilomètres de Los Angeles. Ils ont choisi de s’installer au milieu du désert. Le cinéaste a vécu avec eux, recueillant leurs pensées les plus intimes, concoctant ainsi une œuvre où le cœur prend le relais du discours politique ou sociologique.

 

Le festival a eu l’idée d’exhumer des portraits tournés par l’INA de la série «des grands- mères». Deux films ont été présentés. Aujourd’hui, dis-moi (1980) de Chantal Akerman (45 minutes), passionnant, qui recueille le témoignage d’une femme qui a connu les camps et qui invite sans cesse la jeune femme qui l’interroge à manger un peu sinon elle ne continuerait pas à se confier à elle.

 

DE CHANTAL AKERMAN À JEAN EUSTACHE

Le film de Jean Eustache Odette Robert (1980) (54 minutes) recueille les confidences de sa grand-mère, de sa jeunesse malheureuse, de son mariage avec un cavaleur, et de la mort tragique de ses parents. Nous obtenons par ce biais des renseignements très précieux sur Jean Eustache d’abord et sur son documentaire La rosière de Pessac, qui selon Mme Robert est une manifestation plus dynamique que ce qui est montré dans le film lui-même, ce qui ne le diminue pas pour autant. On imagine seulement, car nous ne pouvons rien affirmer, que tant de déséquilibre dans sa famille a favorisé tragiquement la disparition de Jean Eustache. Le festival lui a rendu hommage intelligemment.

 

Lorsque nous revenons aux films de fiction ou de documentaires projetés aujourd’hui, nous nous rendons compte que la société remet sur la table les vieux démons de la ségrégation, du rejet, de la calomnie sans que quiconque puisse mettre un frein à ces abus que l’homme doit subir pour continuer à exister.

 

IMMIGRATIONS ET CALOMNIES

Welcome de Philippe Lioret avec Vincent Lindon et Audrey Dana est un film beau et intelligent ce qui aujourd’hui paraît difficile à concilier compte tenu des impératifs de rentabilité. D’emblée Lioret montre Calais, ville pauvre habitée par des bourgeois qui ont fait naguère fortune dans la dentelle et qui aujourd’hui se réjouissent de la fermeture du centre de Sangatte qui permettait aux émigrants politiques et économiques fuyant la misère et la persécution dans leur pays de trouver un peu de nourriture et de chaleur, un hébergement provisoire avant de gagner l’Angleterre et leurs familles qui les ont le plus souvent précédés. Philippe Lioret, tel un documentariste, décrit des actes d’exclusion qui se pratiquent avec la complicité de l’administration et de la police en particulier, qui tient elle-même ses ordres du Gouvernement. Le film décrit Bilal (Firat Ayverdi) rejeté d’un supermarché alors qu’il voulait simplement acheter des denrées alimentaires. Les associations, chargées par la police diffusant des gaz lacrymogènes sur les émigrants, se nourrissent grâce à l’aide d’associations caritatives. Les propos du réalisateur sont éloquents face aux détracteurs de son film: «J’ai mis un point d’honneur avec mon coscénariste à ce que nous soyons documentés scrupuleusement et à vérifier et à recouper les informations par souci de vérité».

 

Eden à l’ouest de Costa-Gavras est un film qui montre la générosité chaotique que transporte l’homme au cours de son existence. Le cinéaste analyse le détail qui prend toute l’importance d’une vie?: une promesse non tenue et une vie s’écroule presque définitivement sauf si Boris Cyrulnick, le psychanalyste, tel un Superman remonte le cours de l’existence de ces êtres blessés en leur donnant un grand espoir afin de redémarrer leur vie.

 

Elias doit tout supporter pour rejoindre Paris: la chasse aux sorcières dont il fait l’objet, les relations homosexuelles qu’il répugne mais qu’il doit accepter pour ne pas se faire repérer ou se faire dénoncer. Heureusement, une femme lui donne de l’amour et son regard bienveillant, mais il doit la quitter pour rejoindre des chimères. Gavras réalise un film humaniste qui met en garde chacun sur sa responsabilité à ne plus poser un regard réprobateur sur un homme perdu qui vous parle. La technologie a remplacé les relations humaines.

 

MENSONGE ET REPRÉSENTATION

La fille du RER d’André Téchiné avec Emilie Dequenne et Catherine Deneuve rapporte un fait divers qui avait secoué la France en juillet 2004. Une jeune femme de 22 ans déclare à la police avoir été agressée par une bande de voyous antisémites, et avoir subi toutes sortes d’humiliations. Elle s’était fait dessiner des croix gammées sur le corps et avait été blessée au visage par des coupures faites au couteau. Son enfant avait reçu des claques et son berceau avait été jeté sur le quai. Ce fait divers défraiera la chronique. Le Gouvernement sans aucune vérification préalable montera au créneau, s’indignant. Les éditorialistes, eux-mêmes piégés, de leurs plus belles plumes rédigeront quantités d’éditoriaux; puis tombera le verdict: Il s’agissait d’un mensonge et tous les faits avaient été confectionnés avec le plus grand soin par la jeune femme. André Téchiné a choisi de s’éloigner du fond de l’affaire pour tourner une anecdote dans laquelle la vie privée joue le rôle essentiel du film. Le fait est vidé de sa substance. Les motivations obscures du geste sont développées dans le film et non le déchaînement médiatique qui, dans un traitement rigoureux de ce fait divers, aurait dû être le sujet premier. Téchiné donne un film social où deux classes radicalement différentes «s’affrontent» grâce aux liens passés qui lient Catherine Deneuve, formidable dans son rôle de mère, et Michèle Blanc. Au passage une bar mitzva est remarquablement et sobrement filmée. On peut reconnaître le rabbin Daniel Farhi qui n’a pas eu besoin d’apprendre son rôle puisqu’il est réellement rabbin. Nous sommes bien là à un niveau ou à un autre dans le documentaire.