Tenter de sortir la Syrie de l'isolement

Écrit par Antoine Latour, La Grande Époque - Montréal
04.03.2009

  • Un berger druze veille sur son troupeau sur les pentes du mont Hermon, plateau du Golan(Stringer: Uriel Sinai / 2008 Getty Images)

Coup fumant ou coup d'épée dans l'eau?

La Syrie serait-elle cette pièce maîtresse à la paix au Moyen-Orient? Cet élément qui, si jamais amadoué, permettrait de casser le fameux «axe du mal» tel que décrété par l'administration américaine précédente? Barack Obama et son équipe n'ont pas caché leur intention d'adopter une position modérée face à Téhéran et Damas, dans une plus grande stratégie visant à réconcilier les États-Unis avec le monde musulman. Alors que Washington possède peu de leviers pour faire plier l'Iran sur la question de son programme nucléaire, il semble qu'elle a quelques jetons pour négocier un rapprochement avec la Syrie. Mais encore plus important, Damas montre de l'intérêt pour un tel dénouement.

Les contacts diplomatiques entre représentants américains et syriens n'ont cessé de s'intensifier dernièrement et ils auraient même, par la bande, débuté avant l'entrée en fonction de la nouvelle administration. Les plus notables récemment ont été ceux entre le sénateur démocrate John Kerry, ex-candidat à la Maison-Blanche et président du Comité des affaires étrangères du Sénat américain, et le président syrien Bashar Assad. Les deux hommes se sont rencontrés le 21 février à Damas.

«Tandis que nous ne sommes certainement pas d'accord sur certaines questions, ce que j'ai entendu et ce que je vais ramener avec moi – ce que j'espère que nous pourrions mettre en place pour en tirer avantage – c'est la possibilité d'une vraie coopération sur un nombre de différentes questions en commençant immédiatement, en commençant bientôt», a déclaré M. Kerry, selon AP.

Avant Kerry, bon nombre d'émissaires américains ont visité Damas. Le journal émirati The National fait état, durant les cinq dernières semaines et en excluant la visite de Kerry, de trois délégations américaines s'étant rendues en Syrie.

Puis, le 26 février, l'ambassadeur syrien à Washington, Imad Moustapha, s'est entretenu avec un haut responsable du Département d'État américain, Jeffrey Feltman, en charge du Proche-Orient.

«Nous croyons que cette rencontre ouvre des possibilités pour la Syrie et les États-Unis de s'engager sérieusement au niveau diplomatique et politique et de discuter de tous les domaines de préoccupation mutuelle», a déclaré M. Moustapha à la presse suite à la rencontre.

La secrétaire d'État, Hillary Clinton, qui était sur le point d'entamer une tournée au Moyen-Orient, a cependant indiqué qu'il ne fallait pas conclure qu'un réchauffement des relations entre les deux pays était imminent. Les États-Unis ont retiré leur ambassadeur à Damas en 2005, après l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafik Hariri. L'implication de la Syrie est soupçonnée mais celle-ci dément.

Obstacles

L'intérêt des États-Unis de voir la Syrie changer son fusil d'épaule est important. Mais, comme l'appareil diplomatique de Washington le signale, il y a certaines questions sur lesquelles il ne semble y avoir aucun point d'entente possible.

La Syrie a un impact direct sur la sécurité régionale dans ses relations avec le Liban, l'Iran, l'Irak, la Palestine et, bien entendu, Israël.

Le Liban est, pour Damas, une question nationale. Jusqu'au printemps 2005, la Syrie avait depuis 30 ans des milliers de troupes positionnées au Liban. Même après le retrait, elle a conservé une influence politique significative, et les partis politiques libanais sont encore souvent définis comme étant pro-syriens ou anti-syriens. À défaut de pouvoir être maître du Liban, la Syrie compte sur une alliance stratégique avec ce pays vis-à-vis d’Israël et dans le domaine économique.

Cette influence syrienne sur la vie politique libanaise est un irritant pour l'Occident, alors qu'autant l'Union européenne (UE) que les États-Unis souhaiteraient voir un Liban leur étant favorable. Mais le problème est encore plus profond et porte un nom : Hezbollah. L'organisation radicale chiite est qualifiée de terroriste par l'UE et Washington mais, pour Damas, il s'agit d'un mouvement légitime de résistance à Israël.

Pour la Syrie, rompre avec le Hezbollah serait d’abandonner à la fois un allié politique au Liban et une force militaire de dissuasion ayant fait ses preuves contre Israël.

«Le Hezbollah ne représente un danger pour personne», a déclaré le président Assad en janvier dernier dans une entrevue avec l'hebdomadaire allemand Der Spiegel. Il assure également que le «Hezbollah est une organisation indépendante qui fait aujourd'hui partie du gouvernement [libanais]. Et le Liban est une nation indépendante dont nous acceptons la souveraineté.»

Il est impossible de parler de la relation Syrie-Hezbollah sans parler de l'Iran. La Syrie est largement vue comme un point de transit pour les armes que Téhéran fournit au Hezbollah. Rompre cette ligne d'approvisionnement serait dramatique pour le groupe radical chiite évoluant dans un pays partageant des frontières avec un seul autre pays, soit Israël.

Mais comment détourner Damas de Téhéran, ou du moins affaiblir leur alliance stratégique? Le retrait américain d'Irak pourrait certes faire abaisser les tensions et rendre la position syrienne agressive moins nécessaire. Les deux alliés partagent des considérations stratégiques, sans se rejoindre au niveau des croyances. C'est donc dire que rien n'est coulé dans le béton. Une Syrie plus ouverte à l'Occident pourrait représenter un atout pour approcher l'Iran quant à son programme nucléaire.

En ce qui a trait à l'Irak, les États-Unis ont déjà accusé la Syrie d'être un point de passage pour les combattants se rendant dans ce pays pour affronter les forces américaines. Avec le retrait annoncé par Obama et une situation sur le terrain qui a progressé significativement depuis trois ans, obtenir certaines garanties syriennes pourrait aider à stabiliser davantage l'Irak.

La question palestinienne ne peut évidemment pas être évitée non plus. Le groupe radical sunnite Hamas, qui contrôle la bande de Gaza et qui a fait face à une offensive israélienne en janvier dernier, reçoit un appui considérable de la Syrie. Son chef, Khaled Meshaal, est basé à Damas.

Considérant les positions idéologiques du régime Assad, une rupture totale avec les groupes militants palestiniens est improbable.

Golan

Certains estiment qu'une restitution du plateau du Golan à la Syrie, capturé par Israël en 1967, règlerait une grande partie des maux du Proche-Orient et transformerait totalement la dynamique régionale. Selon Bashar Assad lui-même, la clé de la paix se trouve là. «Nous, les Syriens, voyons ça ainsi : nous ne reconnaissons pas Israël et Israël est encore notre ennemi – il occupe une partie de notre territoire, le plateau du Golan. Si les Israéliens se retirent du Golan, nous allons les reconnaître. D'abord la paix, ensuite la reconnaissance, et non pas le contraire», a-t-il affirmé au Der Spiegel.

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Des discussions à cet égard ont été engagées entre Israël et la Syrie au cours des derniers mois, surtout par l'entremise de la Turquie. La Syrie veut le Golan et en retour Israël veut que Damas cesse son appui aux organisations qui luttent contre lui. S'ensuivrait une normalisation des relations et des ententes de sécurité visant à écarter l'armée syrienne de la frontière, note un analyste du journal Haaretz. Ce dernier poursuit cependant en notant que la formule est simple, mais qu'elle n'a jamais débloqué.

«Cette formule semble simple, en comparaison des négociations complexes avec les Palestiniens», écrit Aluf Been. «De plus, il n'y a pas de questions religieuses émotionnelles tendues avec le Golan, contrairement à la situation avec les Palestiniens, avec des questions épineuses comme Jérusalem, les réfugiés et les colonies juives qui ont été construites sur des sites bibliques en Cisjordanie. Le bénéfice stratégique d'une accommodation avec la Syrie semble aussi évident : amener ce pays du “camp de la résistance” vers le groupe des pays modérés dans la région qui une fois pour toutes effacerait le danger d'une “grande guerre” entre Israël et ses voisins et qui offrirait à la Syrie une opportunité de modernisation et de développement économique», poursuit-il. «Néanmoins, tous ces efforts d'accord n'ont jamais abouti.»

On se demande actuellement si l'arrivée au pouvoir de Netanyahu et de la droite en Israël constituera un obstacle à ces pourparlers, même s’ils ne vont habituellement nulle part. Certains craignent l'adoption d'une position israélienne plus belliqueuse, alors que d'autres font remarquer que les dernières guerres ont été menées par un gouvernement centriste.

Bashar Assad a déjà une opinion de Netanyahu, jugeant qu'il n'était pas un «homme fort» alors qu'il était premier ministre de 1996 à 1999. «En ce qui a trait au prochain gouvernement israélien, nous ne perdrons pas espoir. Toutefois, la tendance semble être que chaque génération successive en Israël est plus radicalisée [que la précédente]. Peut-être que la suivante ne sera pas intéressée à faire la paix du tout, mais juste à combattre», laisse-t-il entendre au Der Spiegel.

Ainsi, pour Assad, la question de la paix repose entièrement sur les épaules d'Israël, aux prises au jour le jour avec une menace non conventionnelle.

Menace conventionnelle

Si les menaces non conventionnelles viennent des groupes opposés à l'existence d'Israël, les menaces conventionnelles, elles, ne proviennent pas seulement de l'Iran. Selon l'institut de renseignement privé de défense Jane's, la Syrie construirait une usine d'armes chimiques adjacente à un site de lancement de missiles Scud.

«En tant que proliférateur de longue date d'armes chimiques, la Syrie semble développer sa capacité de production», écrit Jane's le 12 février dernier. L'institut se base sur des images satellites qui montrent l'emplacement exact du site.

  • Le sénateur américain John Kerry (gauche) (Stringer: - / 2009 AFP)

Jane's indique que cela ne signifie pas que la Syrie se prépare à une offensive, mais plutôt qu'elle veut augmenter ses capacités de défense et de réplique advenant une attaque d'Israël. Le recours aux armes chimiques laisse sous-entendre une infériorité militaire qui a été prouvée lors des conflits opposant les deux pays depuis la création de l'État hébreu.

Outre les armes chimiques, il y a également le cas du programme nucléaire syrien clandestin. En septembre 2007, un raid de l'aviation israélienne avait détruit un site suspect en Syrie, dédié au nucléaire selon Tel-Aviv et Washington et construit avec l'aide de la Corée du Nord. La Syrie affirme qu'il s'agissait d'une installation militaire normale.

Cependant, des inspecteurs de l'Agence international de l'énergie atomique (AIEA) y ont découvert des traces d'uranium après une inspection. La Syrie a affirmé qu'il s'agissait d'uranium provenant des bombes israéliennes larguées pour détruire le site, une hypothèse écartée par l'AIEA.

Peu après le bombardement du site nucléaire suspect, la Syrie a nivelé le site et a entrepris la construction d'une installation semblable à celle qui avait été détruite, rapporte le New York Times. La structure serait maintenant un site de lancement de missiles.

Un beau rêve

Considérant les activités d'appui à des organisations jugées terroristes, de même que le manque de transparence en ce qui a trait aux menaces conventionnelles, une Syrie plus amicale serait grandement appréciée par nombre d'acteurs. Mais la possibilité de voir se dénouer une telle conclusion relève-t-elle davantage du rêve ou de la réalité?

Le Golan apparaît comme un élément important du casse-tête. Mais les États-Unis peuvent-ils faire front commun avec Israël? Car alors que l'administration Obama joue la carte de la détente avec l'Iran, Netanyahu le qualifie de «régime-mère du terrorisme». Sans le Golan, considéré comme premier pas pour engendrer la paix, il semble peu probable que Damas se détourne d'appuyer Hamas, Hezbollah et compagnie. Ce sont en quelque sorte les outils de sa guerre techniquement jamais achevée avec Israël.

Les États-Unis à eux seuls risquent de gaspiller beaucoup d'efforts diplomatiques s'ils font cavalier seul en tentant de sortir la Syrie de leur isolement. Qu'ont-ils à offrir? Ils peuvent jouer le Liban, en déclarant en coulisses que la Syrie conserve pleinement sa zone d'influence. Ils peuvent jouer la carte économique, en promettant aide et investissements. Quoi d'autre?

Dans le cas de la Syrie, elle est motivée par ses intérêts nationaux. Dans ce sens, elle voudrait certainement développer des liens avec l'Occident tout en ne s'aliénant pas son allié stratégique l'Iran. L'Occident doit donc voir à quel point il peut faire confiance au régime Assad. Sans paix avec Israël, Damas serait nécessairement tenté de tirer la couverture des deux côtés, soit prendre avantage de l'argent occidental tout en continuant d'appuyer la résistance à l'État hébreu. Advenant une paix avec Israël, la Syrie se verrait peut-être jouer un rôle comme la Turquie : s'établir comme puissance régionale en jouant la carte pragmatique au maximum, elle qui est à la fois l'amie des États-Unis et de l'Iran, de la Russie et de la Géorgie...

Convergence d'intérêts

Avant d'en arriver là, Bashar Assad devra tempérer ses propos, lui qui assure que les tactiques terroristes du Hamas sont «définitivement» justifiées. Car après tout, appuyer des groupes islamistes qui opèrent à quelques kilomètres de chez soi, tout en réprimant ceux qui agissent dans son pays, est une stratégie peu durable.

C'est à ce niveau que les intérêts américains et syriens peuvent converger. Les États-Unis préfèrent de loin un régime autoritaire laïque à un régime autoritaire islamique.

En octobre 2008, un raid américain en Syrie avait déclenché une tempête diplomatique et la colère des Syriens. Cette attaque audacieuse menée par des commandos visaient le terroriste irakien Abu Ghadiya. Alors que la Syrie a protesté ouvertement, le Times Online indique qu'elle était complice dans l'affaire.

«Abu Ghadiya était craint des Syriens en tant qu'agent de l'islam fondamentaliste qui était hostile au régime laïque de Damas. Ce serait convenable si la Syrie ou les États-Unis pouvaient l'éliminer», écrit le Times.

La base d'une alliance est souvent un ennemi commun.