Les Tibétains attendent le 10 mars avec angoisse

Écrit par Antoine Latour, La Grande Époque - Montréal
05.03.2009
  • Le Dalaï-lama lit un soutra bouddhiste (Stringer: AFP / 2009 AFP)

L'année 2009 est appréhendée par les autorités chinoises, qui doivent voir défiler de nombreux anniversaires que personne ne célèbre. Ce sont de ces anniversaires qu'on marque avec une vigile à la chandelle, avec des prières ou encore par des rassemblements et des manifestations. Le 4 juin marquera les vingt ans du massacre de la place Tiananmen. Le 20 juillet marquera les dix ans du début de la persécution du Falun Gong. Avant ces dates significatives, ce sont les 50 ans du soulèvement tibétain qui doivent être remémorés ce 10 mars, jour où le Dalaï-lama avait fui vers l'Inde à travers l'Himalaya. À la veille de ce moment-clé, Pékin a tout mis en œuvre pour tuer dans l'œuf toute possibilité de dérapage, c'est-à-dire que les Tibétains expriment publiquement leur ras-le-bol de l'occupation.

L'année dernière, la même période avait été marquée par l'imposition de la loi martiale au Tibet. Des manifestations par des moines autour du 10 mars avaient été brisées par les autorités, menant aux émeutes qui ont frappé Lhassa le 14 mars. Le mouvement de protestation s'était répandu dans toutes les régions tibétaines, du Qinghai au Gansu, déclenchant une réplique sévère des forces de sécurité chinoises.

Après l'expulsion des étrangers et des médias, Pékin avait sensiblement repris contrôle de l'information, voulant à tout prix éviter un désastre de relations publiques avant les Jeux olympiques. Néanmoins, les échos de la répression à l'étranger avaient assez ému pour provoquer des manifestations pro-Tibet le long du parcours de la flamme olympique.

Les plusieurs dizaines de morts rapportées par le gouvernement tibétain en exil et les organisations pro-tibétaines n'ont pas été suffisantes comme agent dissuasif pour les autorités. Les campagnes d'arrestations massives ont été jumelées à la rééducation patriotique. Si bien qu'on rapporte que certains temples ont été purgés des moines réfractaires, pour ne laisser peut-être que ceux qui participent aux séances d'endoctrinement politique offertes par le Parti communiste.

Violence et propagande n'ont quand même pas réglé la «question tibétaine» pour Pékin. Cette année, de nombreux Tibétains ont choisi de boycotter les célébrations de leur Nouvel An, le Losar, afin de protester contre la répression de l'année dernière et le climat d'oppression qui règne actuellement. Cette campagne aurait grandement irrité Pékin, qui a tenté de forcer les gens à célébrer, rapporte-t-on.

«La campagne “Non au Losar” honore les innombrables Tibétains qui se sont courageusement dressés l'année dernière pour montrer aux autorités chinoises que, même après un demi-siècle, le peuple tibétain continue de résister à l'occupation du Tibet», explique Dermod Travis, directeur exécutif du Comité Canada-Tibet (CCT). L'organisme indique que le Tibet est actuellement sous une quasi-loi martiale.

Selon le CCT, le Losar est normalement la fête la plus populaire chez les Tibétains et une source de grandes réjouissances.

  • Un Tibétain exilé participe à une manifestation le 26 février 2009 à New Delhi(Stringer: MANAN VATSYAYANA / 2009 AFP)

Le Dalaï-lama a récemment commenté sur la situation actuelle depuis New Delhi. «Comme nous le soupçonnions, la campagne de fermeté a été réactivée au Tibet et il y a une importante présence militaire dans la plupart des villes du Tibet», explique-t-il, selon Reuters.

«Partout, ceux qui oseront exposer un tant soit peu leurs aspirations auront à faire face à la torture et à la détention», ajoute-t-il.

«L'intention [...] est de soumettre le peuple tibétain à un degré de cruauté et de harcèlement tel qu'il ne pourra le tolérer et qu'il sera contraint de protester. Lorsque cela se produira, les autorités pourront se livrer à une répression sans précédent et d'une violence inimaginable», a laissé entendre le Dalaï-lama.

M. Travis a indiqué à La Grande Époque que les autorités essayaient de provoquer un incident depuis les deux derniers mois. On se rappelle que l'année dernière, des informations suggéraient que les autorités, par le biais d'agents provocateurs, avaient incité à l'émeute.

Cette année, il pourrait être plus difficile de rallier l'opinion publique alors que les étrangers se voient déjà refuser l'accès aux régions tibétaines.

Également, les déclarations de Hillary Clinton, secrétaire d'État américaine, lors de sa visite en Chine dernièrement, pourraient inciter le régime communiste à agir avec moins de retenue. Clinton avait insisté que la question des droits de l'homme est secondaire et ne devait pas interférer avec les relations commerciales.

«Ça donne une triste image à la nouvelle administration», a commenté M. Travis en entrevue. «Clinton a tourné le dos aux droits pour la piastre.»

Au Canada

L'impact de la répression au Tibet a rejoint cette semaine une famille canadienne. Le CCT a annoncé le 27 février que Pema Tsepak, 24 ans, est mort en détention après avoir été arrêté et battu par les autorités chinoises à Chamdo, Tibet. Pema Tsepak est le neveu d'une résidante de la ville de Victoria, dont le surnom est «JG».

Pema et deux autres jeunes frères tibétains, Thinley et Thargayal Ngodrub, auraient été attaqués et détenus pour avoir porté une bannière appelant à l'indépendance du Tibet, distribué des dépliants et crié des slogans contre l'occupation chinoise, rapporte le CCT. On ne saurait pas où sont les deux frères, aussi neveux de «JG», ni quelle est leur condition.

Avec le 10 mars qui approche à grands pas, Dermod Travis confirme qu'il ressent une certaine anxiété. L'atmosphère est tendue au sein de la communauté tibétaine canadienne. «Il y a un immense sentiment de souvenir... un immense sentiment de peur.»

C'est le souvenir cependant qui aura raison de la peur, alors que le 10 mars les Tibétains du Canada et leurs sympathisants convergeront sur Ottawa pour un rassemblement.

Ce sera une occasion de rappeler au gouvernement canadien les positions qu'il a déjà eues sur la question tibétaine, comme le révèle des documents déclassifiés obtenus par le CCT.

Entre autres, une note datée de 1950 et provenant du haut-commissaire canadien pour l'Inde mentionne que «... si la Chine possédait le Tibet... il n'y aurait certainement pas de but d'envoyer une armée pour le conquérir. L'envoi d'une armée est certainement une confession que ce n'est pas une affaire domestique».

Cinq jours plus tard, indique le CCT, le département des Affaires étrangères canadien faisait circuler une opinion légale quant au statut international du Tibet : «... la suzeraineté chinoise, peut-être existante, bien que mal définie avant 1911, sur la base des faits qui nous sont disponibles, semble n'avoir été qu'une simple fiction. En fait, il semble que, durant les 40 dernières années, le Tibet a contrôlé ses propres affaires internes et externes. Considérant cette situation, je suis d'opinion que le Tibet est, du point de vue du droit international, qualifié pour être reconnu en tant qu'État indépendant.»

Si le gouvernement canadien actuel est assez favorable à la cause tibétaine, il est néanmoins contraint d'accepter le principe d'«une seule Chine», concept incontournable pour qui veut entretenir des relations diplomatiques et commerciales avec Pékin.