Norvège: voyage dans le Spitzberg

Écrit par Franck Gourdin, collaboration spéciale
12.04.2009

  • (Franck Gourdin)(攝影: / 大紀元)

En août 2008, accompagné d’amis tous aussi passionnés que moi, nous sommes partis à la découverte du Spitzberg – une île appartenant à la Norvège située au niveau du cercle polaire arctique – avec un moyen de locomotion peu ordinaire, le kayak de mer.

Après une préparation physique adéquate les mois précédents, nous atterrissons à Longyearbyen, chef-lieu de l’archipel où nous commençons l’aventure. Les paysages que nous survolons sont sublimes: je découvre les premières montagnes sombres et des glaciers immaculés. A peine descendu du petit avion, je suis immédiatement saisi par l’atmosphère magique de ces lieux où règne en maître le fameux ours polaire, gardien de cette nature sauvage encore relativement préservée. Mais jusqu’à quand?

En raison des pollutions liées aux activités humaines et des bouleversements climatiques en cours, cette région du monde encore isolée risque fort au cours des prochaines années de devenir le théâtre d’affrontements économiques majeurs entre les grands pays voisins que sont les États-Unis, la Russie, le Canada et la Norvège. La fonte de la banquise ouvre de nouvelles voies de pénétration au trafic maritime pour rejoindre le Pacifique. D’énormes réserves de pétrole (plus de quatre fois les réserves américaines) et de gaz sont en attente d’être exploitées. Dans ce contexte, quel sera l’avenir des populations autochtones – dont les Inuits – dépositaires de cultures millénaires et dont le rapport intime à la nature force l’admiration face au vide éthique et idéologique de la plupart des sociétés occidentales?

 

Douze jours coupés du monde

En ayant la chance de parcourir une région peu fréquentée du globe, je me dois d’être un voyageur averti, puis de partager mon voyage avec le plus grand nombre, pour témoigner.

Il n’y a pas de population «première» au Svalbard. Les dégâts apparents sur l’environnement sont moindres, mais il est impossible de ne pas penser à tout cela lorsque l’on décide de s’aventurer dans ces contrées magiques.

 

Pierre, notre guide1 et ami, nous a concocté une petite expédition de 250 km. Nous partons pour une douzaine de jours en immersion complète, et hormis le téléphone satellitaire qui nous raccroche encore au monde et que nous n’utiliserons qu’en cas d’extrême urgence, nous serons complètement coupés du reste de la planète. Plus de télévision, plus de radio, plus de portable, plus de journaux, plus de montre.

 

C’est l’été austral : 24h sur 24, le soleil nous accompagnera. Nous nous familiarisons avec le matériel et faisons un dernier petit tour dans cette petite ville du bout du monde pour compléter nos équipements – jamais vu des prix aussi élevés au cours de mes voyages! Aucun doute, les Norvégiens grâce à leur pétrole offshore méritent bien d’être parfois appelés les «émirs aux yeux bleus». 

  • (Franck Gourdin)(攝影: / 大紀元)

Pierre nous donne les dernières consignes de sécurité que nous respecterons scrupuleusement en raison de la rencontre possible à tout moment avec un ours: les tours de garde, l’utilisation du pistolet d’alarme, l’interdiction de se séparer du groupe (même pour aller au petit coin!). Nous dormirons dans des tentes, passant d’un point à un autre au gré des conditions météo très variables. L’esprit d’équipe est essentiel.

 

Je vais réaliser un rêve d’enfant. Les yeux brillants, la veille du départ, j’écoute Pierre nous narrer des anecdotes plus savoureuses les unes que les autres à propos de l’ours polaire, le plus grand et le plus puissant des prédateurs terrestres. L’ours n’a pas de territoire fixe. Il peut parcourir plus de 100 km en une journée pour se nourrir, et sentir notre présence à plus de deux kilomètres. Il est aussi à l’aise dans l’eau que sur terre, et les rencontres avec les humains ne sont pas rares.

 

Après une nuit courte, nous sommes débarqués sur une plage déserte au milieu de nulle part. L’aventure commence. Les journées sont longues et souvent éprouvantes, parfois jusqu’à dix heures de kayak sur une seule étape. Nous prenons nos repas directement depuis l’embarcation et les pauses sont limitées à quelques minutes pour ne pas nous refroidir. Nos corps réagissent différemment. Pour ma part, j’ai la chance de bien supporter le froid. A la fin de chaque étape, une fois les kayaks déchargés, les vêtements secs enfilés (essayez d’imaginer vous déshabiller encore tout fumant des efforts fournis pendant que le vent glacial vous caresse l’échine...), le campement monté, le « mobilier » monté à base de planches et de vieux morceaux de bois récupérés sur les plages, nous nous précipitons comme des affamés sur les plats délicieux que Pierre nous prépare avec un savoir-faire digne d’un grand cuisinier. J’estime que nous avons mangé en moyenne plus de 4.000 calories par jour pendant notre périple à base de plats protéinés et de glucides, mais aucun d’entre nous n’a pris le moindre gramme de graisse!

 

Après le repas commencent les tours de garde : chacun se retrouve seul à tour de rôle et a la charge de surveiller le camp pendant que les autres dorment. Ces moments d’intimité en tête à tête avec la nature sont à jamais gravés dans ma mémoire. Lorsque les conditions météo étaient trop difficiles et rendaient le kayak trop dangereux, nous partions randonner aux alentours à la découverte des glaciers, de la faune et de la flore locale.

 

À l’écoute de la nature

Ici il n’existe qu’une espèce d’arbre, un saule nain qui ne dépasse pas les dix centimètres de hauteur et qui est noyé par le reste de la végétation typique de la toundra et des zones humides. Les rennes qui jouent une course contre la montre et pour la vie chaque été en dévorant suffisamment durant le court été austral pour pouvoir ensuite espérer passer l’hiver semblent l’apprécier. Nous apercevons parfois des renards polaires souvent très curieux et jusque dans le campement. Je passe beaucoup de temps à observer les oiseaux migrateurs de passage, comme l’incroyable sterne arctique qui quittera bientôt le pôle nord pour rejoindre le pôle sud, et réalise donc ainsi un tour du monde annuel!

 

Je réapprends à regarder, à écouter, à sentir. Je me rends compte à quel point mes sens sont atrophiés par la vie moderne. Je réapprends à vivre, connecté à la nature que l’homme n’aurait jamais dû abandonner. Après quelques jours de ce régime, nos corps évoluent et s’adaptent. Je me sens plus fort. Je dors mieux. Les soucis du quotidien se sont volatilisés. Chacun éprouve ici l’intensité et la saveur de la vie.

 

Dès que j’en ai la possibilité, j’écris un carnet de voyage. J’y couche les moments de bonheur, comme la fois où nous avons aperçu après de longues heures de kayak notre premier ours polaire à une centaine de mètres des embarcations, assis sur son derrière puis se dressant de toute sa hauteur pour mieux nous observer – saisi par l’émotion et l’émerveillement, je n’ai même pas eu la présence d’esprit d’attraper mon appareil photo – avant de s’éloigner d’un bon pas. Je me souviens aussi de ce gros morse qui devait dépasser la tonne et qui s’est approché tout près des kayaks, sans doute par curiosité, déclenchant un mouvement de panique du groupe vers la terre ferme assez comique.

  • (Franck Gourdin)(攝影: / 大紀元)

Je raconte ces moments allongés dans la toundra humide, les yeux clos, m’enivrant des odeurs. J’y couche les récits de Pierre, cette force tranquille qui explore la région depuis plus de quinze ans et a vécu des expériences incroyables, en kayak, à skis, en raquette ou encore en motoneige. Ici, il y a très peu de place pour l’improvisation, le moindre problème pouvant vite prendre des proportions catastrophiques. La nature vous met à nu. Elle vous attrape, vous rince, vous essore et vous remet debout d’un bon coup de pied aux fesses. Nous réapprenons ces valeurs essentielles que sont l’entraide, la simplicité, l’humilité, la générosité, et le courage.

Lorsqu’à la fin de la journée, lorsque l’on ne peut même plus lever les bras, que les muscles sont si douloureux, et qu’il reste encore une heure à pagayer avant de rejoindre le prochain campement, alors il ne reste plus qu’à chercher et à trouver en soi-même le courage de continuer. On le trouve toujours.

 

Retour vers la civilisation

Les jours passent, trop vite, et vient «l’heure» de retrouver la civilisation. Les femmes du groupe ont une idée fixe depuis quelque temps: prendre une douche chaude. Pour ma part, c’est à reculons que j’effectue les derniers coups de pagaie qui nous ramènent à Longyearbyen. Les gens qui vivent ici toute l’année sont des colosses. Chacun possède une arme de gros calibre, car l’ours peut surgir à n’importe quel moment. Les accidents sont heureusement très rares. J’essaie d’imaginer leur vie durant la longue nuit polaire qui dure tout l’hiver, le spectacle des aurores boréales.

 

Au moment de remonter dans l’avion qui me ramènera chez moi de l’autre côté de la planète en Guadeloupe, je m’interroge sur la meilleure manière de valoriser cette expérience unique. Il n’en existe qu’une, écrire. Écrire pour témoigner, écrire pour alerter, écrire pour partager avec celles et ceux qui n’ont pas la chance de vivre de tels moments de beauté et de magie de la nature.

 

Au cours de ces jours, mon cœur s’est rempli de ces étendues sauvages. Je ferme une dernière fois les yeux et je peux presque sentir le vent du nord me caresser la nuque comme pour me dire ‘à bientôt’.

 

Pour en savoir plus ou recevoir gratuitement le carnet de voyage de Franck Gourdin: franckgourdin@yahoo.fr

Franck Gourdin est âgé de 35 ans. Il est ingénieur et travaille sur des projets de développement dans les domaines de l’eau et de l’environnement. Il a vécu ou voyagé dans une soixantaine de pays à travers le monde dont l’Irak en 2002, l’Afghanistan en 2005 et la Corée du Nord à deux reprises en 2007 et 2008. Il prépare un nouveau carnet de voyage à partager. C’est un passionné de nature et de défis sportifs en tous genres, fasciné par les relations humaines.

1 l’agence de voyage Svalbard Nature.