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Nager en eaux troubles

Écrit par Patrice-Hans Perrier, La Grande Époque - Montréal
19.05.2009
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  • (Photos.com)(攝影: / 大紀元)

Derrière l’affaire des compteurs d’eau se profile la privatisation des infrastructures publiques

L’administration Tremblay nage en eaux troubles depuis la fin de l’année 2008. Il faut dire qu’il n’y a pas que les canalisations qui éclatent à Montréal. En effet, les digues de la confiance ont cédé suite aux révélations concernant certaines pratiques d’appels d’offres et d’attributions de contrats dans le cadre de la mise à niveau des infrastructures de l’eau de la métropole. Mais, au-delà des notions d’éthique et de transparence qui sont remises à l’ordre du jour, c’est toute la question de la privatisation de la ressource aqueuse qui coule à nouveau dans le robinet des médias.

André Bouthillier, fondateur et ancien président de l’organisme Eau Secours!, estime que les mesures mises de l’avant dans le cadre du Plan de l’eau de l’équipe du maire Tremblay sont excellentes. Il s’agirait, de l’avis de cet environnementaliste, d’une initiative politique qui correspond à des problèmes réels et qui met la table pour une série de mesures qui s’imposent d’elles-mêmes.

Là où le bât blesse, c’est au chapitre des modes de gouvernance mis en place, ce qui dépasse de très loin la stricte question de la collusion entre les firmes de génie conseil et certains politiques.

Et, contrairement à la croyance populaire, l’administration Tremblay n’a certainement pas à porter, seule, l’odieux de la mouvance actuelle en faveur d’une privatisation tous azimuts des infrastructures de l’eau.

Montréal dans la mire des multinationales de l’eau

Déjà, autour de 1993, l’administration du maire Jean Doré avait mandaté un consortium, incluant la Lyonnaise des eaux, pour évaluer de nouveaux scénarios de gestion des infrastructures de l’eau. C’est à cette époque que la coalition Eau Secours! soulevait la question de la dilution des prérogatives de l’administration municipale face à la pression de plusieurs géants de l’eau. Il faut dire que, depuis les années 1980, les pouvoirs publics ont cessé d’injecter les sommes nécessaires à l’entretien usuel des infrastructures de l’eau.

Vingt ans plus tard, au tournant du nouveau millénaire, les choses se gâtent. Dans un contexte où les municipalités québécoises n’ont plus les moyens d’entretenir leurs usines d’épuration de l’eau ni les kilomètres de conduites, l’offre du secteur privé peut paraître alléchante. Offrant de financer la construction ou la mise à niveau des infrastructures de l’eau, les ténors du privé font pression sur les administrations publiques pour se voir octroyer la maîtrise d’œuvre d’une gamme étendue d’opérations. Un mouvement de troupes qui pourrait faire en sorte que les fonctionnaires finissent par perdre une précieuse expertise acquise de longue haleine.

Juges et parties

Richard Bergeron, challengeur dans la course à la mairie en novembre prochain, affirme que l’affaire des compteurs d’eau illustre bien la dilution des prérogatives du secteur public. Il en a pour preuve le fait que certaines firmes de consultants agissent comme «juges et parties» au cœur des grands projets de mise à niveau des infrastructures. Il s’agirait, dans les faits, d’implanter ces fameux partenariats public-privé (PPP) qui font partie de la réingénierie de l’État québécois mise de l’avant par le gouvernement Charest depuis 2002-2003.

M. Bergeron, chef du parti Projet Montréal, estime que «la ville doit impérativement reprendre le contrôle de ses projets et ne plus agir simplement comme un vecteur de contrôle financier. C’est aberrant de réaliser que c’est le privé qui définit les besoins de la municipalité, puisque tous les points de contrôle échappent désormais à la vigilance des fonctionnaires».

L’ancien stratège de l’Agence métropolitaine de transport (AMT) défend bec et ongles l’idée que ce sont les pouvoirs publics qui devraient pouvoir valider toutes les phases de préparation et d’exécution des grands travaux publics.

Ainsi, l’évaluation du problème (1), la préparation des termes de références (2), la préparation des appels d’offres (3), l’adjudication des contrats (4), sans oublier le contrôle de qualité pendant la phase des travaux (5) ou l’évaluation des prestations (6), devraient être des prérogatives municipales. Seule la phase de la réalisation des travaux pourrait être partagée en mode de sous-traitance avec le privé. Cette approche est très loin des PPP qui sont mis de l’avant par l’Agence des partenariats public-privé du Québec.

On comprendra, suivant le raisonnement de M. Bergeron, que «puisque le privé est invité à définir les problèmes [c’est, entre autres, la firme SNC-Lavalin qui avait été mandatée pour estimer l’étendue des travaux à réaliser concernant les infrastructures de l’eau à Montréal], il ne faudra pas s’étonner de l’effet d’urgence qui s’est manifesté à travers le diagnostic posé. En d’autres termes, le secteur privé a tout intérêt à faire monter les enchères en termes d’investissements projetés».

Le secteur privé en aurait profité pour piper les dés, de l’avis de plusieurs observateurs. Ainsi, la firme BPR, celle qui fut chargée de préparer le cahier de charges pour l’appel d’offres dans l’affaire des compteurs d’eau, entretenait des liens d’affaires avec Dessau, une des deux firmes impliquée dans le consortium GÉNIeau qui allait rafler la mise.

Culture du copinage

Déjà, en décembre 2007, le syndicat des cols bleus de Montréal poussait les hauts cris face aux conflits d’intérêt appréhendés quant aux nouvelles pratiques mises de l’avant par l’administration Tremblay. «Comment peut-on espérer obtenir le meilleur prix aux meilleures conditions dans un tel contexte?», pouvait-on lire dans un communiqué émis par le syndicat.

En outre, le responsable des infrastructures de l’eau, ayant participé au processus de sélection de la firme BPR, a quitté l’administration municipale par la suite pour être embauché par BPR.

Cette firme de génie-conseil s’est retrouvée au cœur d’une autre controverse de même nature. En effet, un journaliste du quotidien québécois Le Soleil révélait, le 29 avril dernier, que BPR a embauché l’ex-maire de Rivière-du-Loup, Jean d'Amour, en mars 2007 à titre de directeur du développement des affaires.

Par la suite, l’ancien premier magistrat de la petite municipalité s’est retrouvé en position de conflits d’intérêts puisqu’il aurait eu des discussions d’affaires avec son successeur. Chemin faisant, Jean D’Amour aurait contrevenu aux prescriptions de la Loi sur le lobbyisme. Par ailleurs, il faudrait rappeler que, lorsqu’il était toujours maire de Rivière-du-Loup, M. D’Amour avait déjà sélectionné la firme BPR en 2006 pour un projet de récupération des biogaz d’un centre d’enfouissement local.

Confondre les rôles

Bien au-delà de la déontologie, et des questions d’éthiques qui en découlent, c’est surtout cette confusion des rôles entre le public et le privé qui pose problème. L’auteur de cet article avait déjà posé, lors d’un point de presse, la question de la confidentialité des informations stratégiques pouvant se retrouver entre les mains du consortium chargé de la lecture, de l’interprétation et de l’acheminement des données prélevées sur les futurs compteurs d’eau.

Richard Bergeron partage ces appréhensions lorsqu’il souligne «que si la Ville perd le contrôle sur ce type d’information, elle pourrait bien ne plus avoir le contrôle sur les phases subséquentes des travaux à entreprendre». Ce dernier tient à rappeler «l’obligation de transparence qui lie le secteur public, alors que les firmes privées feront plutôt valoir le bien-fondé de maintenir une certaine opacité dans un contexte de compétitivité». Ces partenariats public-privé pourraient donc, dans certains cas, agir comme des zones grises favorisant l’arbitraire et la dilution des prérogatives du gouvernement.

André Bouthillier s’est battu contre plusieurs administrations montréalaises qui ont pris le virage très contesté de la privatisation d’une partie de leurs compétences internes. Ainsi, «déjà sous l’administration de Jean Doré, à la fin des années 1980, on ne remplaçait plus les ingénieurs qui prenaient leur retraite. Ceux qui restaient n’avait carrément plus le temps, ni l’énergie, de mettre sur pied de nouveaux programmes de mise à niveau des infrastructures municipales», se désole-t-il.

Depuis lors, nous avons pris le train des PPP vers d’incertaines destinations, dans un contexte où l’ensemble des gouvernements occidentaux tentent de préserver les infrastructures publiques. M. Bouthillier n’en revient tout simplement pas que Montréal s’en remette corps et âme au privé, «alors que la Ville de Paris vient tout juste de mettre fin à une longue et coûteuse expérience de PPP avec deux des plus grandes multinationales de l’eau».

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.