Honte pour l'espion qui se fait prendre

Écrit par Antoine Latour, La Grande Époque - Montréal
21.05.2009

  • u00abPaul William Hampel»(攝影: / 大紀元)

Avec les intenses activités d'espionnage, on peut se demander pourquoi ce sujet ne défraie pas plus souvent la manchette. Les espions sont trop forts? Les services de sécurité nationale sont trop incompétents? Si ces deux hypothèses peuvent expliquer la situation dans certains cas, en général c'est plus complexe. L'espionnage étant souvent lié à la diplomatie, il vaut parfois mieux taire une affaire et la régler à l'amiable pour éviter de créer des tensions politiques. Il y a plus.

Les activités de contre-espionnage sont rarement rendues publiques, car elles ont rarement recours aux tribunaux. Ceci ne signifie pas qu'elles soient inefficaces. La question des méthodes utilisées et la nécessité de ne pas les divulguer peut peser dans la balance quant au choix d’engager des poursuites ou non. Le recours à la justice pour condamner un espion présumé entraîne des procédures interminables où les méthodes d'enquête, hautement secrètes, se retrouvent scrutées à la loupe. Également, les éléments de preuve recueillis par le contre-espionnage ne sont pas nécessairement admissibles devant un tribunal.

Dans une telle situation, un procès qui entraîne une divulgation publique est un risque à prendre. Il faut, à ce moment-là, pour les services de sécurité nationale, avoir la quasi-certitude que les accusations mèneront à une condamnation et que le cas pourra en quelque sorte servir d'exemple.

Edward Appel, agent spécial du FBI de 1973 à 1997, explique dans un entretien à PBS pourquoi les condamnations pour espionnage aux États-Unis ne sont pas monnaie courante. Il explique qu'après avoir bien ciblé un espion et ses intérêts, un dilemme apparaît : «Allez-vous poursuivre cet individu? Allez-vous faire des démarches pour que cette personne soit congédiée? Allez-vous retirer à l'individu son accès aux renseignements classés secrets? Allez-vous interférer dans la relation de l'espion avec le service de renseignements étranger, pour vous assurer qu'il ne pourra plus jamais l'aider?»

  • Xiaodong Sheldon Meng(Staff: Justin Sullivan / 2006 Getty Images)

Avant de penser aux poursuites, il semble d'abord primordial de colmater la brèche et de perturber les activités d'espionnage étrangères.

 

«En général, vous avez quelques grands objectifs. L'un d'eux est de couper l'accès du service de renseignements étranger aux informations classées secrètes [...] Un autre est de neutraliser la source de ce service [...]  afin que cette personne ne soit plus jamais une menace [...]»

Pris la main dans le sac

Le 13 mai 2009, le Département de la Justice (DOJ) américain a porté des accusations criminelles d'espionnage contre un citoyen américain et ex-lieutenant-colonel de l'Air Force, James Wilbur Fondren Jr. Alors qu'il travaillait comme employé civil au Département de la Défense, il aurait pendant près de quatre ans «illégalement et en connaissance de cause conspiré avec d'autres pour communiquer des informations classées secrètes à une autre personne dont il avait raison de croire qu'elle était un agent ou un représentant d'un gouvernement étranger», indique le communiqué du DOJ.

Selon l'affidavit déposé avec la plainte criminelle, M. Fondren aurait pris sa retraite des forces américaines en 1996. En 1998, il aurait commencé à offrir des services de consultation à partir de son domicile en Virginie. Son unique client était un dénommé Tai Shen Kuo, un citoyen américain d'origine taiwanaise faisant des affaires aux États-Unis et en Chine, où il avait un bureau.

En 2001, il est entré au Pentagone comme employé civil et il a obtenu une cote de sécurité «top secret». Après coup, il a continué à offrir des conseils à Tai Shen Kuo. Ce dernier était en fait un agent travaillant sous les ordres d'un responsable du gouvernement chinois. Kuo aurait réussi à obtenir des informations classées secrètes de M. Fondren, en prétendant qu'elles étaient destinées à des officiels militaires taiwanais.

Pour passer des informations classées secrètes, l'affidavit explique que M. Fondren produisait des «articles d'opinion» à travers ses services de consultation, recevant entre 350 et 800 dollars US la pièce. Il aurait également fourni une ébauche du rapport du Pentagone sur l'armée chinoise. «C'est le rapport au sujet duquel je ne voulais pas discuter au téléphone... Si on s'aperçoit que j'ai fait ça, je vais perdre mon emploi», aurait laissé entendre M. Fondren en s'adressant à M. Kuo.

Tai Shen Kuo et une autre de ses sources, un ex-employé de la Défense du nom de Gregg William Bergersen, ont été arrêtés pour espionnage en février 2008. Kuo a été condamné à 188 mois de prison et Bergensen à 57 mois. Yu Xin Kang, une complice de Kuo qui l'aidait à passer les renseignements au régime chinois, a de son côté reçu une peine de 18 mois.

«Les allégations dans cette affaire sont troublantes – fournir des renseignements classés secrets à un agent de la République populaire de Chine est une menace véritable et sérieuse à notre sécurité nationale», déclare dans le communiqué Dana J. Boente, procureur intérimaire du district Est de Virginie.

Selon Associated Press (AP), James Wilbur Fondren demeurera en liberté jusqu’à ce que le jugement soit rendu, mais il sera surveillé électroniquement.

«Il n'a pas fourni en connaissance de cause quelconque information à un agent de la République populaire de Chine», a déclaré à AP son avocat Asa Hutchinson, ex-congressiste et ex-directeur de la Drug Enforcement Administration, entre autres. «Vous ne pouvez pas présenter ce cas comme un cas typique d'espionnage.»

La Chine active

Selon le Centre for Counterintelligence and Security Studies (CI Centre [cicentre.com]), un centre de réflexion et de formation privé américain en contre-espionnage, 15 des 32 récents cas d'espionnage recensés étaient au profit de la Chine. Le autres cas se répartissent presque tous entre la Russie, l'Iran, l'Irak et Israël.

Un de ces cas documentés est celui de Xiaodong Sheldon Meng, un citoyen canadien d'origine chinoise. L'ingénieur, selon le CI Centre, aurait deux diplômes de l'université McGill. Il a été condamné à 24 mois de prison aux États-Unis en juin 2008 pour avoir tenté d'exporter des technologies contrôlées. Il serait le premier individu à être condamné en vertu de la loi sur l'espionnage économique.

La Russie toujours au poste

  • L'emblème du GRU(Stringer: SAUL LOEB / 2008 AFP)

Le controversé ex-agent de la CIA devenu auteur, Robert Baer, écrit dans son livre La chute de la CIA qu'après l'effondrement de l'Union soviétique, la Russie n'était plus une priorité pour les États-Unis en matière de renseignement. Le contraire ne s'est pas produit.

Force est de constater que la fin de l'URSS et la refonte du KGB ont peu fait pour diminuer l'intensité des opérations de renseignements russes ciblant l'Occident. Les hommes du KGB détiennent toujours un immense pouvoir et les agences héritières, FSB (domestique) et SVR (étranger), demeurent agressives. Quant au GRU (le service de renseignement militaire de la Russie), responsable du renseignement militaire étranger, sa structure demeure pratiquement inchangée depuis sa création sous le communisme et ses capacités sont dites hautement supérieures à celles du SVR.

En 2006, le Canada a eu sa petite affaire avec un agent présumé du SVR. Un homme disant s'appeler Paul William Hampel avait été arrêté à l'aéroport Trudeau de Montréal. On rapporte avoir trouvé sur lui un faux certificat de naissance de l'Ontario dissimulé dans une pochette de voyage sous sa chemise; un passeport canadien; 7800 $ en cinq devises différentes; plusieurs cartes de banque et de crédit; des cartes aide-mémoire avec des informations sur l'histoire canadienne; trois cellulaires; cinq cartes SIM, dont certaines protégées avec mot de passe; deux caméras numériques et une radio ondes-courtes.

Arrêté en vertu d'un certificat de sécurité, l'homme a été déporté quelques semaines plus tard. Il avait admis être un citoyen russe et être au Canada illégalement.

Le ministre de la Sécurité publique à l'époque, Stockwell Day, avait estimé que cet évènement n'allait pas déstabiliser les relations avec la Russie.

«Nous comprenons que ce genre de choses se déroule dans le monde, et les Russes comprennent ça également», avait-il déclaré.