Le secret de Tchernobyl - un cauchemar

Écrit par Catherine Keller La Grande Époque
22.05.2009

  • reacteur Tchernobyl(STF: ZUFAROV / ImageForum)

 

 

 

 

Le professeur Bandajevsky est l’un des seuls à avoir eu le courage et la persévérance de dénoncer ce qu’il voyait. Il fait une tournée de conférences en France et au Parlement européen pour attirer l’attention de l’Occident sur le drame que vit son pays et pour lever des fonds qui lui permettraient d’ouvrir un institut international pour y faire des recherches.

À la suite de l’accident de Tchernobyl, des radionucléides (atomes dont le noyau est instable et donc radioactif) provenant avant tout du césium-137 sont dispersés dans l’atmosphère en très grande quantité. Ils ont contaminé tout ce qu’ils touchaient. Actuellement, la terre de Biélorussie est encore contaminée et tous les légumes, les produits issus d’animaux se nourrissant sur place sont contaminés. Les habitants qui consomment les aliments et l’eau contaminés jour après jour sont toujours plus contaminés car les radionucléides s’accumulent.

Avant l'accident de Tchernobyl, il s’est aperçu que la Biélorussie, l’Ukraine, la Russie et la Lituanie étaient irradiées depuis les années 1964-69. Il ne sait pas ce qui a provoqué ce phénomène, c’est un sujet top secret mais cela signifie que le ces peuples sont contaminés depuis plus de 50 ans. Il raconte : « C’est une information parfois mal accueillie. Deux mois après en avoir informé le parlement biélorusse, j’ai été arrêté. »

 

 

Les effets sur la santé au concret

  • femme porc mal formé(STF: LARS GRANSTRAND / ImageForum)

Ces radionucléides pénètrent dans l’organisme et entraînent des dysfonctionnements qui touchent toutes les cellules du corps. D’après les études du professeur Bandajevsky, il suffit d’une petite quantité de césium radioactif pour provoquer une altération de la structure et de la fonction des organes. Cela entraîne de nouvelles maladies ou aggrave celles préexistantes. Le césium-137 agit surtout sur le système énergétique des cellules. La mitochondrie se déforme grossièrement. Ceci empêche la cellule de respirer et de se nourrir. Elle finit par se nécroser, provoquant dans de nombreux cas la mort de tout l’organisme.

En première ligne viennent les maladies du système cardiaque telle que l’arythmie mais aussi la leucémie. Il estime que plus de 50 % de la population est touchée et constate que les cas ne cessent d’augmenter, en particulier chez les enfants qui sont les plus sensibles au césium-137. Par exemple si le taux de Becquerel augmente seulement de 10, l’arythmie cardiaque double chez l’enfant, cela signifie qu’à 100 Becquerel, presque tous les enfants sont touchés.

Les autres organes comme le foie, les reins ou le système endocrinien sont aussi touchés. Alors des tumeurs se développent ainsi que des malformations. Le système immunitaire est profondément affaibli, provoquant une augmentation des maladies infectieuses, comme la tuberculose et l’hépatite virale. De nombreux enfants des zones contaminées ont plus de 50 Becquerel par kilo et 35 % sont touchés par la cataracte.

  • enfant malformé(STR: TIMUR GRIB / ImageForum)

 

La modification génétique qu’entraînent les radionucléides est l’un des sujets les plus préoccupants et dangereux. Les études menées à titre personnel par le professeur Bandajevsky sur des hamsters démontrent que le fœtus d’une mère se nourrissant d’aliments contaminés a de graves malformations. Il en va de même pour tout être vivant, y compris les êtres humains.

Le professeur Bandajevsky souhaite poursuivre ses recherches dans un laboratoire en compagnie d’autres collègues. Il a déjà travaillé sur la pectine qui semble réduire les effets des radionucléides dans l’organisme. Mais actuellement il déclare : « Les personnes qui vivent là-bas ont un taux si élevé de radioactivité que la pectine est insuffisante pour les soigner ». Si on le pouvait, il faudrait évacuer les zones contaminées, mais on sait bien que ce n’est pas possible.

Concrètement, il faudrait importer la nourriture et l’eau et effectuer un contrôle sévère pour détecter la présence du césium radioactif dans les produits alimentaires. Ceci concerne surtout les femmes enceintes et les enfants qui sont beaucoup plus sensibles au césium radioactif puisque leur métabolisme est en plein développement. Il suffit juste que les politiques et les lobbies nucléaires cessent de nier le problème par le silence, le mensonge et la répression.

Si rien ne change, ces populations sont condamnées à l’extinction avant la fin de ce siècle. À partir de 1992, la mortalité

 

 

 

  • Professeur Youri Bandajevsky (PIG: THIERRY ZOCCOLAN / ImageForum)

Youri Bandajevsky naît en 1957. Il suit des études de médecine à l’institut de médecine de Grodno d’où il sort diplômé en 1980. Il fait une spécialisation en anatomie pathologique. En 1987, il obtient son doctorat sur le thème : l’influence de différents facteurs (physiques, chimiques et biologiques) de l’environnement sur la gestation, le développement embryonnaire et la formation des différents organes et systèmes.

Touché par la catastrophe de Tchernobyl, Youri Bandajevsky demande à l’Académie des sciences et au ministère de la Santé l’autorisation de faire des recherches sur les mécanismes d’action des radionucléides (atomes dont le noyau est instable et donc radioactif) dans l’organisme infecté et observé les effets sur la structure et le fonctionnement des cellules. En 1990, il est nommé directeur du Laboratoire central de recherche scientifique à Gomel puis recteur de l’Institut d’État de médecine de Gomel.

Le 13 juillet 1999, Youri Bandajevsky est emprisonné. De nombreuses personnes se sont mobilisées pour sa libération. Amnesty International le déclare prisonnier politique. Très éprouvé, tant physiquement que psychiquement (il a perdu 20 kilos en 5 mois), il est libéré le 27 décembre de la même année. Mais il est assigné à résidence à Minsk avec interdiction de poursuivre ses recherches et sans aucun revenu jusqu’à son procès, le 18 juin 2001 où il est condamné à 8 ans de prison pour corruption. Il obtient sa libération conditionnelle le 5 août 2005 et s’exile à Clermont- Ferrand en France jusqu’au début 2009. Il vit maintenant en Ukraine.

  • tombes Tchernobyl (STF: SERGEY SUPINSKI / ImageForum)

Les sacrifiés

C’est le titre d’un film documentaire de Vladimir Tchertkof sorti en 2001. Il parle de ces hommes, appelés « liquidateurs » qui ont œuvré pour limiter la contamination radioactive du réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl. Il n’existe pas de statistiques mais on estime à près d’un million les hommes qui ont travaillé sur le site et dans toutes les zones contaminées. Ils n’avaient aucune protection valable et ont été gravement irradiés. Si ce travail n’avait pas été fait, la chaleur de l’incendie aurait touché les autres réacteurs, déclenchant une explosion 20 à 50 fois supérieure à Hiroshima. L’Europe aurait été inhabitable.

Pourquoi les appelle-t-on les « sacrifiés » ?

Les États leur avaient promis un bon travail, un logement, des crèches, de l’aide médicale mais ce n’étaient que des promesses en l’air. En réalité, les États ont nié et continuent à nier la réalité, expliquant que si ces hommes sont malades, c’est parce qu’ils boivent et fument trop. Mais ces hommes ont été sacrifiés pour tenter de réparer les dégâts de la centrale nucléaire. Ils ont été gravement irradiés et malgré les promesses, ils ont été abandonnés, voire rejetés alors qu’ils subissaient dans leur chair les effets de la radioactivité. Ils ont souffert le martyr dans le silence et la négation la plus totale de leur souffrance et ce, dès le début.

Lorsqu’ils travaillaient sur le réacteur, on mesurait le taux de röntgen (dose de rayonnements ionisants). L’un de ces hommes raconte : « Le premier jour, on mesurait 34 mais on notait 9. Le deuxième jour, c’était 30 mais on notait 5. » Cet homme a demandé à son colonel de noter les doses réelles mais celui-ci l’a expédié sans autre formalité. D’autres racontent la même histoire. Les ordres venaient directement du Premier ministre, Nikolai Ryzhkov.

Quels sont les conséquences ?

Sur place déjà, beaucoup ont ressenti des nausées, des vertiges, des faiblesses. Plus tard, des maladies se sont déclenchées : ldystonie neurovégétative (qui provoque des contractions involontaires et douloureuses), maladies cardiaques, problèmes d’estomac, maladies de reins, troubles du caractère, paralysie partielle et nécrose des tissus. Ces maladies ont entraîné la mort de milliers de « liquidateurs » dans des souffrances atroces.

La femme  d’un des témoins du film raconte avec beaucoup de dignité : « Il a commencé par être paralysé du coté gauche. Les médecins disaient qu’il faisait exprès ou qu’il avait attrapé froid. » Son état a empiré progressivement et il est mort en 1999, bien après ses autres collègues. « Il est resté six mois au lit, il se décomposait vivant. Tous ses tissus ont commencé à se décomposer au point que les os iliaques étaient visibles. Je l’ai soigné moi-même en suivant les recommandations du médecin jusqu’à ce que son cœur s’arrête. Quand je le lavais, les os du dos et le fémur étaient à l’air, des résidus d’os s’en allaient. Il demandait à mourir vite car il souffrait énormément. » 

Lien vers le film