Energie solaire : décollage tardif du marché français

Écrit par Patrick C. Callewaert, La Grande Époque
27.05.2009

  • Panneaux photovoltaïques équipant le toit d’un entrepôt à Buerstadt en Allemagne. Cette installation de 50.000 mu00b2, l’une des plus importantes au monde, à une puissance de 4,5 Mégawatts.(Ralph Orlowski/Getty Images)(Staff: Ralph Orlowski / 2005 Getty Images)

En dépit de la crise économique, le marché de l’énergie solaire est en forte croissance en France. Selon Soler, la branche énergie solaire du syndicat des énergies renouvelables, le nombre d’installations photovoltaïques raccordées au réseau électrique en France métropolitaine est passé de 550 à 8.800 entre 2004 et 2008. Ces chiffres sont confirmés par le premier rapport du cabinet de conseil PwC (PricewaterhouseCoopers) publié en mars dernier, qui porte la capacité de production électrique solaire cumulée de 20 à 175 MW. Par ailleurs, ce vendredi 15 mai, le ministre français de l’Écologie Jean-Louis Borloo a annoncé une simplification des formalités administratives liées aux installations solaires, et lancé un appel d’offre pour la construction d’ici à 2011 « d’au moins une centrale solaire par région », en précisant que les dossiers retenus bénéficieront d’un tarif préférentiel de rachat de l’électricité par EDF pendant 20 ans. Cet investissement d’1,5 milliard d’euros sur 3 ans représente une puissance totale de 300 MW supplémentaires.

Un prix de rachat enfin attractif

L’explication de ce décollage est surtout imputable aux décisions gouvernementales prises en 2006 à l’issue du premier Grenelle de l’environnement, parmi lesquelles un crédit d’impôt de 50 % sur la valeur des équipements installés, auquel s’ajoute un relèvement du prix attractif de rachat par EDF de l’électricité solaire. Pour mesurer la rentabilité d’une opération, on se base généralement sur la durée de vie moyenne d’un panneau solaire (25 ans), et sur le coût moyen de vente de l’électricité en France (compris entre 0,10 et 0,15 euro/Kwh). Ainsi, le tarif de rachat par EDF à 0,60 euro/Kwh pour les installations intégrées aux bâtiments (pendant 20 ans pour les contrats signés avant 2012), qui est l’un des plus élevés au monde, permet enfin aux particuliers d’envisager sous environ 10 à 15 ans le retour de leurs investissements (un panneau solaire installé coûte environ 800 euros/m²). Ce tarif de rachat par EDF est plus faible pour les installations posées en toiture (0,45 €/Kwh) ou au sol (0,33 €/Kwh), mais reste avantageux si l’on investit dans des puissance plus importantes. Cette dynamique positive devrait par ailleurs se renforcer grâce à la baisse annoncée du prix des cellules photovoltaïques, laquelle est consécutive à la forte croissance de la demande mondiale et aux progrès de la recherche étrangère dans ce domaine.

Un retard français imputable au tout-nucléaire

On peut se réjouir de ce décollage français, mais ces 175 MW raccordés au réseau d’EDF ne sont pas une occasion de pavoiser. En effet, selon la dernière analyse du marché mondial du photovoltaïque publiée par l’EPIA (European Photovoltaic Industry Association) en avril dernier, la puissance totale raccordée dans le monde à ce jour est de 14.730 MW cumulés, dont près de 80 %  en Allemagne, Espagne, Japon, et aux Etats-Unis. L’orientation française en faveur du tout nucléaire amorcée en 1973, a vu le détournement d’une bonne partie des crédits de recherche et de la quasi-totalité des investissements énergétiques en faveur de la construction de centrales nucléaires, ce quel que soit le gouvernement à la tête du pays. Avec EDF et AREVA, cette politique a permis de constituer deux champions mondiaux du nucléaire, avec 63.000 MW nucléaires installés et 80 % de l’électricité française produite, mais au détriment de tout effort sur les énergies renouvelables et les filières industrielles associées pendant plus de trente ans. Cette stratégie aveugle n’a pas été suivie par l’Allemagne ni le Japon, lesquels eurent le courage d’orienter plus tôt leur recherche en faveur des énergies renouvelables et ont pris dix ans d’avance sur les autres. 

Un marché prometteur dominé par l’Allemagne et le Japon

Ainsi, selon l’étude de PwC, on ne recense aucune entreprise française parmi le top 15 des fabricants mondiaux de cellules, où l’on trouve principalement des Allemands (Q-Cells, Solarworld), des Japonais (Sharp, Kyocera, Sanyo, Mitsubishi), des Américains (First Solar et Sun Power), et un Espagnol (Isofoton). Ces entreprises maîtrisent toute la technologie liée au silicium et la chaîne de fabrication des panneaux photovoltaïques. Elles mobilisent actuellement d’énormes moyens financiers, non seulement pour réduire les coûts de production, mais aussi dans la recherche de matériaux de deuxième génération comme les couches minces, voire de troisième génération avec les nanotechnologies. Le milieu très confidentiel du solaire photovoltaïque est en réalité très imbriqué avec ceux de l’industrie électronique et des technologies de pointe, à dominante exportatrice. Ce n’est pas un hasard si l’on y reconnaît les grands noms de l’électronique japonaise. Mais on y voit déjà des fabricants chinois (comme Suntech Power, Baoding Yingli, JA Solar et Solarfun). La seule entreprise française d’importance sur ce secteur à très forte valeur ajoutée, Photowatt, emploie actuellement 700 personnes mais ne produit annuellement que 60 MW de panneaux solaires, c’est à dire à peine 1 % du marché mondial (5.600 MW en 2008 selon l’EPIA).

Manifestement, la France n’a actuellement pas les moyens industriels suffisants pour faire face à un marché interne en plein décollage, et encore moins sur un marché mondial qui suit une pente exponentielle (jusqu’à 22.300 MW/an à l’horizon 2013 selon l’EPIA). Saura-t-elle investir sur ce secteur, comme pour le nucléaire, ou bien laissera-t-elle à nouveau passer le train, comme pour l’informatique ?