La tradition nous dit que suivre la Voie, c'est comme gravir une haute montagne. Celui qui a décidé d'entreprendre l'ascension choisira le versant qu'il veut escalader et ira trouver un guide pour lui indiquer le chemin. Ces choix sont déterminants. Si le versant est trop abrupt ou le guide inexpérimenté, les résultats peuvent être désastreux. Mais même avec le meilleur des guides, rien n'est acquis pour autant. Nombreux sont les obstacles, pénibles sont les efforts. Un grand combat est nécessaire; un fantastique corps à corps avec la montagne. Les muscles se tendent, les doigts s'agrippent fermement au roc. Chaque geste doit être précis, mesuré. Rien ne peut être laissé au hasard. Un faux pas, et c'est la chute.

Mais quel est donc l'intérêt de ce défi de chaque instant, à mi-chemin entre le sommet et l'abîme, la vie et la mort?

Celui qui affronte la montagne sait, ou du moins quelque chose en lui sait, que le grand combat a lieu au-dedans de lui-même. La montagne n'est qu'un prétexte. Elle permet à l'homme d'être face à lui-même, elle lui fournit l'occasion de se surpasser. C'est en se frottant aux difficultés que le pratiquant va développer la volonté et l'énergie nécessaires à son évolution. Toute épreuve est en réalité une aide sur la Voie.

«Si le Ciel est sur le point de confier une mission importante à un homme, il commence par remplir son cœur d'amertume en brouillant sa compréhension et en bouleversant ses projets. Il le force ensuite à exercer ses os et ses muscles. Il lui fait endurer la faim et toutes sortes de souffrances. Quand l'homme émerge, triomphant de toutes ces épreuves, il est ainsi capable d'accomplir ce qu'auparavant il n'aurait pu faire.»

Cette citation de Mencius est une précieuse indication quant au sens de la vie.

Quel est l'enjeu de ce combat intérieur? Pour les Maîtres, les véritables obstacles qui empêchent l'élève de progresser sont ceux qui sont dressés par sa personnalité artificielle. L'homme ordinaire, étouffé dans un carcan d'habitudes physiques et mentales, sa vision du monde déformée par un écran d'illusions, est un infirme coupé de son être profond dont les possibilités sont inexploitées. Le travail à accomplir consiste donc à faire sauter les blocages, physiques et psychologiques, pour que les forces latentes de l'homme puissent s'épanouir librement.

Le Budo, la Voie du Combat, comme toute Voie authentique, a pour but la régénération de l'individu. Mais cette réalisation de soi ne peut être atteinte que par une lutte sans pitié contre ses propres défauts, ses faiblesses, ses illusions. Pour vaincre les obstacles intérieurs encore faut-il avoir la patience de les traquer sans répit et le courage de leur faire face. Orgueil, lâcheté, impatience, doute – nourris par l'illusion – sont autant de pièges redoutables dans lesquels beaucoup sont tombés. Le sentier serpente; il est long, difficile et éprouvant. Ne pas se laisser décourager et persévérer, malgré tout, malgré soi, telle est l'une des clés de la Voie.

Il ne faut pas oublier, comme l'affirme D. T. Suzuki, que  «Tant qu'on n'aura pas mangé le pain de la tristesse, on ne pourra connaître la saveur de la vie réelle.»

Les contes des arts martiaux

Pascal Fauliot et Michel Random

Albin Michel