Vers un retrait des troupes indiennes au Cachemire

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque
16.06.2009

  • Des étudiantes kashmiri insultent un policier indien après avoir été attaquées à coups de bâtons. (TAUSEEF MUSTAFA/AFP/Getty Images)(Stringer: TAUSEEF MUSTAFA / 2009 AFP)

L’Inde a accepté le 12 juin de retirer ses troupes des zones inhabitées du Jammu et Cachemire, un geste sans précédent porteur d’espoirs de détente avec le Pakistan. L'India Times n'hésite pas à titrer Le vent du changement. 

L'annonce a été faite par Palaniappan Chidambaram, le ministre de l’Intérieur indien, lors de sa visite dans la région, alors que le sous-secrétaire d’État américain William Burns était en visite dans le pays au même moment et que des centaines de Kashmiri protestaient contre le meurtre de deux femmes, attribué à des paramilitaires indiens.

Ce que propose l'Inde est rien moins que de se diriger vers un retrait de l'Armed Forces Special Powers Act (AFSPA), texte du Parlement indien appliqué au Cachemire depuis 1990 et permettant aux forces indiennes opérant dans la région de tirer sans sommation, d'arrêter des suspects sans mandat et de jouir d'une immunité – ou impunité – totale.

«Nous avons décidé de ceci il y a deux mois quand nous en avons parlé avec le ministre en chef [du Cachemire]. Mais je lui ai dit que nous nous en occuperions après les élections. Maintenant que les élections sont passées, nous l'avons repris et j'ai promis de m'attacher au sujet et d'en parler avec le Premier Ministre et le ministre de la Défense,» explique M. Chidambaram au journal The Hindu. «Nous devons voir avec attention tous les aspects de ceci et nous avancerons sur ce chemin.»

Au-delà de cette perspective, le ministre de l'Intérieur annonce d'ores et déjà un remodelage des forces présentes au Cachemire : «L'armée est responsable de la défense aux frontières, doit empêcher les infiltrations et le terrorisme, alors que les forces paramilitaires aident la police à maintenir l'ordre.» L'armée indienne, qui a environ 500.000 soldats au Cachemire, y compris des paramilitaires déployés depuis 1989, va donc quitter les villes de la région.

En 1989, une insurrection majeure au Cachemire avait conduit New Delhi à prendre en mains l'administration de la région. C'est seulement depuis 2004 et l'amorce d'un processus de paix entre Inde et Pakistan que la situation s'est graduellement améliorée. Ceci n'a pas empêché les attentats de continuer et de toucher parfois le symbole même de la tentative de réconciliation, comme le «train de l'amitié» reliant New Delhi à Lahore, dans lequel une bombe a tué 70 personnes en février 2007. Pourtant à l'heure actuelle, affirme le ministre de l'Intérieur Indien, «nos informations montrent que la militance [terroriste] est bloquée, mais il y a encore des infiltrations» «La militance diminue, mais les agitations augmentent» cite le India Times.

Des troupes contestées

Le 11 juin, des centaines de femmes et de jeunes étudiantes manifestaient pour protester contre le viol et le meurtre de deux femmes de Shopian. Une jeune fille de 17 ans et sa belle-sœur enceinte de 22 ans ont été violées et tuées et leurs corps retrouvés en mai à une cinquantaine de kilomètres de Srinagar. La manifestation, organisée à l'appel d'un chef séparatiste, demande la punition des membres des militaires indiens soupçonnés.

Palaniappan Chidambaram a lors de sa visite garanti que les coupables seraient trouvés et punis, quels qu'ils soient.

L'ouverture

New Delhi travaille donc à une reprise du dialogue sur le Cachemire : «Nous sommes conscients des problèmes politiques au Jammu-et-Cachemire [le Cachemire indien]. Nous allons les traiter, cela demande un dialogue avec de nombreuses personnes. Nous devons demander aux personnes concernées.»

Si les «personnes concernées» étaient les Kashmiris plutôt que les autorités pakistanaises, cette déclaration signifierait la fin pure et simple d'un conflit vieux de soixante ans, dans lequel les Kashmiris ont toujours demandé le droit à l'auto-détermination.

Cette perspective est cependant trop optimiste – ou trop précoce – pour plusieurs raisons. La première est que la population Kashmiri est à près à 90 % musulmane et que les enquêtes d'opinion ne vont pas en faveur d'un rapprochement de l'Inde. De plus, l'Inde ne pourrait non plus accepter sans garanties fortes de perdre le contrôle d'une région qui est le berceau historique de sa civilisation et dont les eaux irriguent le fleuve Indus, vital pour son agriculture.

Le même raisonnement est également vrai du côté pakistanais. Jean-Luc Racine, directeur de recherches au CNRS et auteur du rapport intitulé Cachemire : une géopolitique himalayenne le rappelle en ces termes : «Le Cachemire est un gigantesque château d’eau. Si le potentiel hydroélectrique est à peine utilisé, le contrôle du haut Indus, de la Jhelum et de la Chenab assure à l’Inde la maîtrise des fleuves qui, avec la Ravi et la Beas, dont l’amont est également sous contrôle indien, assurent la prospérité du Pendjab pakistanais, grenier céréalier du pays, et permettent la culture irriguée du coton, source de devises essentielle pour le Pakistan. C’est dans ce sens que les dirigeants d’Islamabad ont plusieurs fois défini le Cachemire comme la ‘veine jugulaire du Pakistan’».

Avance-t-on malgré tout vers une plus grande autonomie du Cachemire indien ? Le retrait de l'armée est un pas important dans cette direction puisqu'il transfère la responsabilité de la sécurité intérieure du Jammur-et-Cachemire aux forces de police locale. L'évocation par William Burns de la prise en compte des aspirations des Kashmiris pointe dans la même direction, même si elle a été balayée avec humeur par le secrétaire aux Affaires Étrangères Shivshankar Menon que cite le Times of India.

Le besoin d’un axe indo-pakistanais pacifié

La nouvelle administration américaine a donné la priorité à la stabilisation de l’Afghanistan, ce qui n’est possible qu’avec une focalisation des efforts pakistanais sur sa frontière afghane servant de zone de repli et d’approvisionnement aux insurgés talibans. Ce point, estime Washington, implique qu’Islamabad et ses puissants services de sécurité acceptent de détourner leur regard du Cachemire.

«Les États-Unis privilégient la reprise du dialogue entre l’Inde et le Pakistan et veulent une solution au problème du Cachemire en gardant en vue les aspirations des Kashmiris», a ainsi déclaré William Burns le 11 juin, cité par le site Kasmirwatch.com.

«Mais c'est à l'Inde et au Pakistan de décider quand et comment… c'est à eux de le décider», tempère le représentant américain.

Le Premier ministre Indien Manmohan Singh avait plus tôt indiqué au Parlement indien être près à avancer vers le Pakistan si celui-ci démantelait les groupes terroristes anti-indiens qu'il a contribué à créer au Cachemire, et s'il punissait les responsables des attentats du mois de novembre 2008 à Bombay.

La visite de trois jours de William Burns a également été l'occasion pour lui de transmettre au Premier ministre Singh une lettre de Barack Obama, de rencontrer les leaders de l'opposition ainsi que le Conseiller à la sécurité nationale.

Du côté de l'opposition indienne, les conservateurs hindous du BJP (Bharatiya Janata Party) voient d'un œil défavorable les mesures du gouvernement Singh : «Cela pourrait conduire à une situation dangereuse car la loi et l'ordre sont déjà dérangés dans cet Etat», commente Ramesh Arora, un porte-parole du BJP interrogé par le IndianExpress.

Et, côté Kashmiri, le doute subsiste, les commentateurs du Kashmir Media Group préfèrant attendre plus de concret pour se réjouir : «Il est temps pour Delhi de saisir cette occasion et de respecter les demandes qui vont dans le sens des aspirations du peuple. Cela posera les bases d'un nouveau chemin de réconciliation ; sans cela, tout effort pour amener la paix sera réduit en miettes par des incidents comme celui de Shopian [le meurtre de deux femmes évoqué plus haut].»

Dans ce nouvel exemple de l'approche des relations internationales impulsée par l'administration Obama, la direction est claire. Le résultat n'en sera visible que dans quelques années.

Note : Le Cachemire

Le Cachemire est un des plus anciens états princiers indiens, la « racine » de sa civilisation. Coincé entre le Pakistan à l’Ouest, la Chine à l’Est et l’Inde au Sud, il a été au centre des guerres indo-pakistanaises de 1947, 1965 et 1999.État autonome avant la décolonisation, et alors qu’il hésitait à se rattacher à l’Inde en suivant la religion hindoue de son prince, le Cachemire a été envahi en 1947 par les troupes pakistanaises. Malgré l’intervention de l’ONU en 1948, le Pakistan a conservé les zones conquises pour en faire la province du « Cachemire libre » au Nord-Ouest. La région sous contrôle indien a, elle, pris le nom de Jammu-et-Cachemire.

Les séparatistes Kashmiri se sont, à partir du début des années 90, orienté vers le terrorisme pour mener le combat. Ont ainsi émergé des groupes radicaux d'abord pilotés par les services pakistanais, comme le Lashkar-e Taiba ou le Jaish-e Mohammad, deux groupes d’inspiration salafiste responsables des attentats de Bombay en novembre 2008.