Les agences de notation mises en cause dans la crise financière

Écrit par Lauren Smith
05.06.2009

  • L’assureur américain en difficulté AIG, auparavant noté u2018AAA’ par les agences de notation, sauvé de la faillite à l’automne par les pouvoirs publics, est sur le point de vendre son siège à New York.(Spencer Platt/Getty Images)(Staff: Spencer Platt / 2009 Getty Images)

David Einhorn, patron du fonds spéculatif Greenlight Capital, est un intervenant habituel de la conférence Ira Sohn sur la recherche en investissement (Ira Sohn Investment Research Conference) qui se tient annuellement en mai à New York. Il est très écouté par la communauté des investisseurs. Suite à son discours du 27 mai dernier, les taux d’intérêts des emprunts d’État américain ont été sensiblement en hausse et l’action de l’agence de notation Moody’s a subi une forte baisse. En effet, M. Einhorn a abordé la question de l’éventuelle perte de la notation ‘AAA’ des États-Unis. Parallèlement, il a mis en cause le système de notation d’une manière générale et ses effets néfastes sur les marchés des capitaux, et prévoit la faillite prochaine de l’agence Moody’s.

Au début de son discours, David Einhorn a rappelé qu’il y a juste un an à la même conférence, il a parlé de Lehman Brothers et du risque qui pesait sur le système financier en raison de l’opacité des comptes des institutions financières. « Quand j’ai parlé de Lehman la première fois, l’action était à plus de 60 dollars, bien que les difficultés de Lehman étaient visibles et son sort incertain ». Il est revenu sur la question de savoir pourquoi rien n’a été fait entre le sauvetage de Bearn Sterns et la faillite de Lehman pour protéger le système contre le risque que Lehman a évidemment posé. « Nous avons tous perdu dès lors que les autorités n’ont pas insisté sur le fait que Lehman reconnaisse ses pertes et se désendette », a-t-il conclu. 

Convertir les dettes en actions

D’après David Einhorn, pour restaurer l’économie, il est crucial de résoudre la problématique de la solvabilité des banques. « Nous avons besoin que les banques soient prêtent à reconnaître les créances douteuses et à négocier avec les emprunteurs. Pour cela, elles doivent être massivement mieux capitalisées ou même surcapitalisées pour absorber les pertes. Tout le monde doit reconnaître que ces pertes ont déjà eu lieu… c’est le meilleur moyen de retrouver le chemin vers la reprise de l’économie ». Mais pour renforcer la capitalisation des banques, David Einhorn estime qu’en plus de l’alternative des pouvoirs publics entre la nationalisation des banques ou leur renflouement par l’argent des contribuables, il en existe une troisième qui consiste à convertir leurs dettes contre une participation en actions. Il reste à savoir comment inciter cette conversion de dette en actions sans forcer une liquidation désordonnée.

Malgré les injections massives du Trésor américain dans le système bancaire, David Einhorn considère que « les banques ne sont sensiblement pas plus solvables maintenant qu’elles ne l’étaient il y a deux mois ». Ce qui a changé c’est le sentiment des investisseurs : « Il y a quelques mois les investisseurs craignaient que le gouvernement puisse saisir les banques ». Mais les autorités ont préféré attendre « la reprise économique pour permettre aux banques de dépasser leurs problèmes avec les revenus futurs ». « Le rallye [des actions de banques] au cours des dernières semaines montre à quel point le marché est impatient de voir la fin de cette crise », a expliqué David Einhorn.

Face à un déficit budgétaire américain record, David Einhorn a qualifié la situation de « problématique ». Alors que les impôts collectés sont en forte diminution sous l’effet de la crise, les dépenses augmentent du fait des nombreuses interventions de l’État au secours de l’économie. « Le déficit américain devrait atteindre environ 13 % du PIB cette année », a précisé David Einhorn. Par ailleurs, « le gouvernement a émis des milliers de milliards de garanties ‘sournoises’ » qui « n’apparaissent pas dans la comptabilité publique au moment de leur mise en place, mais seulement plus tard quand elles sont payées ». Pour David Einhorn, il sera difficile de réduire le déficit, la démographie étant un obstacle supplémentaire avec le phénomène du vieillissement de la population. « Comment les pays industrialisés avec des dettes importantes et de lourds  engagements sociaux envers la population âgée vont allouer le sacrifice » sera une thématique d’investissement dans les années à venir, a-t-il relevé.

La malédiction de la notation Triple A

Mais c’est surtout la notation ‘AAA’ qui inquiète David Einhorn. « Donner des fonds illimités à un coût attractif aux entités notées ‘AAA’ peut être une mauvaise idée », particulièrement quand ces entités sont susceptibles de profiter de cette perception de sécurité de notation. Pour lui, le gouvernement des États-Unis et les autres pays industrialisés très endettés « sont victimes de la malédiction de la notation ‘AAA’ » qui permet un financement bon marché en nombre illimité. David Einhorn a rappelé que plusieurs échecs au cours de cette crise ont porté la notation ‘AAA’ comme les assureurs monolines tels que AIG et General Electric « dont le lent naufrage est en cours de formation ». « Tous ont subi la malédiction de ‘AAA’ », selon David Einhorn. « Le marché croit à tort que les régulateurs et les agences de notation procèdent à une surveillance attentive de leurs profil de risque et d’activités », a-t-il indiqué.  

David Einhorn va encore plus loin. Pour lui, « personne n’achète ou n’utilise les notations Moody’s parce qu’il croit en la marque ». On l’utilise « parce qu’il fait partie d’un oligopole créé par le gouvernement et souvent parce que c’est exigé par les réglementations ». « Le système de notation est intrinsèquement pro-cyclique et économiquement déstabilisant. Quand les temps sont bons, les rehausses de notations réduisent les coûts d’emprunt et contribuent à des bulles de crédit. Quand les temps sont mauvais, les dégradations de notations accélèrent une boucle de réactions négatives et peuvent être catastrophiques pour les entités qui comptent beaucoup sur l’accès aux crédits ; le déclassement de leur notation peut menacer leur existence », a expliqué David Einhorn. « Les régulateurs peuvent améliorer la stabilité des marchés financiers en supprimant le système de notation formel du crédit » a-t-il conclu.

Concours de circonstances ou réponse aux propos de David Einhorn, le jour même de la conférence, Moody’s a sorti un communiqué indiquant que les Etats-Unis méritaient leur note ‘AAA’, la meilleure possible dans sa classification. « Même avec une détérioration significative de la position débitrice du gouvernement américain, sa note a une perspective stable et les États-Unis conservent les attributs d’un pays souverain noté ‘AAA’ », indiquait le communiqué.