De la recherche formelle du cinéma à une nouvelle approche de son histoire

Écrit par Alain Penso
08.06.2009

  • Steve Evets et Eric Cantona dans Looking for Eric (2009).(攝影: / 大紀元)

Créativité et subventions

Le cinéma a toujours été l’objet de toutes les influences et de toutes les envies. Il s’est longtemps borné à évoluer autour d’une caste bourgeoise nantie et influente, avant que la nouvelle vague et le cinéma de Jean Renoir ne viennent donner un coup de pied dans la fourmilière – rendant ainsi le cinéma accessible aux artistes qui déploieraient leur énergie. Mais encore une fois, là aussi, existe le problème d’accession aux moyens de production et de compréhension des différents univers artistiques. L’image animée leur est complètement fermée et nécessite une vraie formation intellectuelle et technique. Dans les années 70, le GREC, Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques, avec le soutien du Centre National du Cinéma, permettait, grâce à un tout petit budget et à l’octroi d’une petite quantité de pellicule, d’élaborer un film. Il fallait tout d’abord présenter un scénario et un curriculum, et passer devant un jury.

 

D’Andy Warhol à Gérard Courant

Il faut bien le dire, cet aspect du cinéma permettait de ne pas injustement laisser de côté la recherche esthétique et les autres formes d’expression jamais mises en œuvre à cause de cette quête effrénée de l’argent.

 

Au début des années 70, après qu’Andy Warhol a tourné des plans de plus de neuf heures sur un homme qui dort – le scandale avait envahi les milieux de l’art – Gérard Courant réfléchit sur l’outil cinématographique. À l’aide de sa caméra Super 8, il filme alors des portraits d’une durée d’une bobine, c’est-à-dire de trois minutes. A partir de 1978, il tourne 2.500 portraits du milieu cinématographique  – acteurs, metteurs en scène, techniciens, critiques – appelés Cinématons. Il tournera également des essais de fiction avec des photos fixes. Avec son ami Joseph Morder, il crée un mouvement qu’il nomme le cinéma différent.

 

Le Festival Pocket Films

Le Forum des Images, en lançant le Festival Pocket films, innove à son tour. Le système de tournage n’a rien à voir avec le cinéma professionnel car il suffit d’avoir un téléphone portable 3G – équipé d’une caméra intégrée pour pouvoir filmer.

 

Ce festival se tiendra du 11 au 14 juin. Une soirée d’ouverture aura lieu le 11 juin à 19 heures. L’entrée est libre. Il s’agit de la cinquième édition où d’autres œuvres de recherche devraient voir le jour. Filmer le sourire de sa petite amie devant une bouche de métro est possible. Un baiser peut être étudié sous tous ses angles. La lumière peut révéler de belles surprises enfonçant les conventions, voire les règles. Le téléphone est toujours proche dans la poche et devient alors autre chose qu’un parasite qui sonne ou qui ne répond jamais. L’instrument de la frustration peut devenir un allié de votre intimité créative. Après la quinzaine des réalisateurs, place aux journées des nouveaux cinéastes consacrés, grâce à une sélection ouverte mais pointue.

 

Le festival des cultures juives

Dirigé par Lucien Khalfa, le 5e festival des cultures juives a cette année pour thème l’Amérique. Il aura lieu du 12 au 30 juin. Plusieurs œuvres, non des moindres, seront revues, commentées et remises dans leur contexte historique. Le Dictateur de Chaplin ne peut faire l’objet d’aucune économie tant l’œuvre est prémonitoire. Il sort en 1940, au moment où les Allemands descendent triomphalement les Champs-Élysées. L’ambassade d’Allemagne a vent du projet et se plaint auprès de l’ambassadeur britannique qui promet mollement d’intervenir. Chaplin suit l’histoire et notamment la montée de ce caporal postillonnant et ne parlant que pour détruire le silence avec des paroles inaudibles et agressives. À l’époque, Chaplin est plus célèbre que ce « mutant de la haine » qui détruit le silence que Chaplin avait tant aimé.

 

Outre des classiques peu connus comme Le Mur invisible (1947) d’Elia Kazan, des films de l’école de l’humour juif américain seront projetés, comme Le shérif est en prison (1974) de Mel Brooks et Une nuit à l’opéra (1936) des Marx Brothers.

 

L’Ombre d’un Géant (1967) de Melville Shavelson, film unique par sa qualité historique et artistique sur la guerre d’indépendance d’Israël, est au programme, de même que des documentaires présentés par des historiens dont Les Protocoles de la rumeur (2005) de Marc Levin. Les films de Woody Allen sont bien représentés par Radio Days (1987) et Crimes et délits (1990).

 

Le chanteur de jazz (1927) d’Alan Crosland est un film clé dans la filmographie américaine et juive où s’affrontent dans une tragédie éprouvante le sacré et le profane. Le monde change, il faut l’accepter aux dépens de la sphère familiale.

 

Le documentaire ne se contente pas d’acquiescer, comme si une seule parole pouvait être une pièce suffisante pour tirer des conclusions hâtives. Le réalisateur pousse les calomnieurs dans leurs retranchements. Il n’étudie pas les rumeurs injustifiées qui font rage et qui n’ont d’autre objectif que de faire le mal afin de se réconforter. Il réagit et les désarme. Le système des boucs émissaires est une recette vieille comme le monde, où la négation de l’autre et la persistance installent un système qui tient comme par enchantement. Le film de Pierre-Henry Salfati, Le Jazzman du Goulag (1999), a été récompensé par un Emmy Award. Ce film évoque, grâce à des documents d’archives inédits, la vie extraordinaire d’Eddie Rosner, trompettiste, compositeur et chef d’orchestre allemand. On le surnommait «l’Armstrong blanc».

 

Etreintes brisées d’Almodovar

Voir un film d’Almodovar peut être subtil, cruel, humain, beau et étrange, sensuel, et donner de l’espoir à l’humanité.

 

Almodovar, ne n’y trompons pas, est un cinéaste de la dérision et de la dépression. Après avoir traité interminablement la répression franquiste, il pourrait être comparé à Woody Allen dans le genre de la dérision, mais sans formellement lui ressembler. Certaines provocations humoristiques pourraient être mises en commun. Dans Étreintes brisées (2009), Almodovar fait mille références à des films célèbres. Son personnage signe ses scénarios sous le pseudonyme de Harry Caine. Pour lui, la vraie vie existe grâce au cinéma. L’horreur qu’il évoque à sa directrice de production, son ancienne maîtresse, n’a pour but que de réussir son scénario. L’entrée d’un de ses personnages dans la vie va irriguer son scénario. Aveugle, il ne perçoit plus les émotions sur les visages de ses modèles qui sont ses victimes.

 

Un jeune homme argenté aimerait faire un scénario avec lui mais il est réticent. Un jeu dangereux mais passionnant va être livré par ces deux scénaristes dont l’un a perdu pour toujours le sens des couleurs de la vie.

 

Pénélope Cruz (Lena) est époustouflante et atteint son apogée dans ce film.

Très intéressé par la « perversion » sexuelle, Almodovar n’hésite pas à donner la parole à des transsexuels, à des homosexuels, à des travestis, à des prostitués, à des assassins. Il pense que la vie est faite d’un monde dans lequel il faut cohabiter avec les minorités.

 

Looking For Eric

Ken Loach m’évoque d’abord Family Life (1971) et Kes (1969). En 2006, il obtient la palme d’Or du 59e festival de Cannes pour son film Le vent se lève (2006).

 

Ken Loach me procure tant de bonheur à la vision de ses films. Là, Ken Loach, qui aime le football, a couché deux pages d’idées sur les relations des admirateurs de l’équipe de Manchester, le club de Cantona. Le réalisateur et le joueur mettent leurs idées en commun. Dans Looking For Eric, la solidarité, comme dans la majorité des films de Ken Loach, tient une place importante. Ce film est une leçon de bonheur.

 

Les Anglo-Saxons ont la particularité de savoir faire du cinéma social, même sous forme de comédie. Ils sont passés maîtres dans ce type de genre, alors que pour l’instant peu de cinémas nationaux sont prêts à leur ravir la première place.

 

Le cinéma italien se remue et semble, quant à lui, se préoccuper, comme par le passé, du destin politique de son pays.

 

La Quinzaine des Réalisateurs au Forum des Images

Ajami (2009) de Scandar Copti et de Yaron Shani est un film israélo-palestinien admirable. Il est question d’une tragédie entre clans palestiniens dans la ville de Jaffa. Le garage est le point central d’une série d’histoires dont les trajectoires ne se croisent que dans la dernière partie du film. Les séquences sont magiquement filmées et jouées. Du travail d’orfèvre pour un film de la Quinzaine que peu de spectateurs hélas verront.

 

Il est à noter que le cinéma israélien prend en charge un certain nombre de films palestiniens du fait que ceux-ci ne possèdent pas de moyens suffisants pour réaliser leurs films.

 

Le Forum des Images fait encore une fois la fête avec des films que des parisiens n’ont pas pu voir, n’étant pas présentés au temple du cinéma qu’est toujours Cannes.