Le «deuxième réseau» diplomatique de Pékin au Canada

Écrit par Matthew Little, La Grande Époque - Ottawa
01.07.2009

Analyse - Comment le lobby pro-Pékin a exagéré les craintes de vexer le régime chinois

  • Le premier ministre canadien Stephen Harper (攝影: / 大紀元)

  Le ministre chinois des Affaires étrangères, Yang Jiechi, a effectué une visite officielle au Canada la semaine dernière, marquant un changement dans les relations Canada-Chine. Les lobbyistes pour le commerce avec la Chine estiment que le gouvernement conservateur a finalement vu la lumière. Mais d'autres ont peur que le gouvernement soit en train de se désister d'une position vis-à-vis de la Chine qui n’était pas seulement fondée sur des principes, mais qui avait aussi une certaine logique.

Auparavant, les relations étaient froides entre le gouvernement de Stephen Harper et le régime communiste. Harper avait publiquement critiqué le dossier des droits de l’homme de la Chine, irritant le milieu des affaires pro-Pékin. Mais Harper a aussi obtenu du respect, car il a été un des rares leaders mondiaux à se prononcer contre les violations des droits de l'homme en Chine.

C'est du passé. Aujourd'hui, il est difficile de dire quelle est la position de M. Harper. La semaine dernière, le Bureau du premier ministre semblait réticent à placer les mots «droits de la personne» et «Chine» dans la même phrase lorsqu’on lui a demandé si MM. Harper et Yang avaient discuté de cette question lors de leur rencontre. À la place, son porte-parole, Demitri Soudas, a seulement dit que les deux ont discuté de tous les sujets qui préoccupent les deux pays.

On pourrait dire que l'arrivée de Yang au Canada avait été préparée par l'ancien ambassadeur chinois au Canada, Mei Ping. Dès l’automne dernier, M. Mei a travaillé dans les coulisses pour influencer la position du gouvernement conservateur face à la Chine, un fait dont il s'est vanté lors d'une réception au consulat chinois il y a deux semaines.

Ming Pao, un journal chinois pro-Pékin qui a couvert l'évènement, a rapporté que le régime communiste s'est tourné vers Mei à cause de ses liens étendus ici.

Le «deuxième réseau»

Le journal a cité Mei disant qu’il avait visité le Canada en septembre et en octobre l’an dernier lors d’une mission pour utiliser le «deuxième réseau» de la diplomatie afin de changer la position du gouvernement.

Ses efforts l’ont conduit dans une tournée pancanadienne comprenant des arrêts dans huit villes où il a visité des chefs d’entreprises, des think tanks, des leaders de l’opposition et des médias.

Chen Yonglin était étudiant à l’Université des Affaires étrangères en Chine dans les années 1980 lorsque Mei en était le recteur et il dit être familier avec le concept du «deuxième réseau» de Mei. Un concept que Mei abordait déjà à cette époque.

Appelé aussi Option diplomatique II, dans des conditions normales, ce concept n’impliquerait que des individus non médiatisés qui s’engagent dans un dialogue pour développer des relations ou résoudre des conflits. Mais dans le cas des efforts de la Chine par rapport au Canada, Chen souligne une implication plus vaste. «Cela signifie influencer le gouvernement canadien à travers la communauté chinoise au Canada», précise-t-il.

Chen explique que Pékin a précédemment expérimenté le «deuxième réseau» à travers des sociétés de façade outre-mer pour dissoudre les sanctions commerciales des pays occidentaux imposées à la Chine suite au Massacre de la place Tiananmen en 1989.

Chen était le consul pour les Affaires politiques au consulat chinois de Sydney, Australie,  avant de démissionner en 2005. Il a révélé que l’une de ses tâches était de surveiller les dissidents chinois et les militants des droits de l’homme en Australie.

Il a aussi exposé les tactiques du régime pour utiliser les sociétés de façade, incluant les groupes communautaires chinois, les associations étudiantes et les médias chinois, dans le but de promouvoir les intérêts de Pékin à l’étranger.

Dans son allocution, Mei a aussi fait mention que l’opinion des Canadiens d’origine chinoise lors des dernières élections avait altéré la position canadienne face à la Chine, quelque chose que Mei pouvait observer de l’intérieur des frontières canadiennes.

La Grande Époque a observé des situations étranges dans la communauté chinoise lors des élections. Plusieurs de celles-ci prennent une nouvelle signification à la lumière de cette information.

Parmi différents cas, il y avait un sondage publié par le journal chinois Ming Pao qui déclarait que la préoccupation la plus importante des Canadiens d’origine chinoise était les relations sino-canadiennes. Le sondage amenait la suggestion que les stratèges politiques pourraient utiliser ces renseignements pour attirer les votes chinois.

Ces renseignements entraient en contradiction avec la grande majorité des sondages nationaux qui concluaient qu’à ce moment-là, la plus grande préoccupation de la vaste majorité des Canadiens était l’économie.

Autre fait étrange : les débats de la mairie organisés par des groupes de la communauté chinoise dont les membres étaient des partisans affichés du Parti communiste chinois et de ses objectifs en matière de politique étrangère.

Service de renseignements

Michel Juneau-Katsuya, l’ancien chef du bureau Asie-Pacifique du Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS), croit que ces incidents pourraient être le fruit des efforts du régime chinois pour influencer la politique étrangère du gouvernement canadien.

Sa description du journal Ming Pao offre une explication.

Les services secrets, soutient-il, «ont des preuves que Ming Pao a été utilisé par les services de renseignements chinois à plusieurs reprises. Donc, lorsque nous regardons Ming Pao nous le voyons comme une extension du gouvernement de la Chine, du Comité central de la Chine et [un instrument] de propagande des services secrets chinois».

C’est la même chose pour plusieurs associations communautaires chinoises opérant au Canada, estime-t-il. Le but est d’influencer sans se faire prendre.

«Le gouvernement chinois fait faire sa besogne par d’autres, donc vous n’avez pas de preuve tangible», complète-t-il.

Juneau-Katsuya atteste les déclarations de Chen que les médias, les associations étudiantes et les groupes communautaires chinois sont souvent utilisés pour influencer les gouvernements étrangers.  

En outre, un déjeuner auquel assistait le ministre Yang lors de sa visite au Canada pourrait ajouter une tout autre dimension à ces efforts pour influencer Ottawa.

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Pas seulement des affaires

Le déjeuner a été organisé par le Conseil commercial Canada-Chine (CCCC), un influent groupe d’intérêt pro-Pékin dont le tableau des membres inclut certains des plus puissants chefs d’entreprises canadiennes.

L’organisation commerciale a révélé dans un courriel à ses membres que le régime chinois avait directement demandé à l’organisation de mettre sur pied l’évènement.

Juneau-Katsuya maintient qu’étant donné ses actions, le CCCC, malgré qu’il soit composé de Canadiens d’origine et non de Chinois de la diaspora, est similaire, selon le service de renseignements, à une organisation de façade.

Il pense que le groupe a été fortement influencé par le régime chinois.

«Nos avons vu certaines positions, certaines déclarations faites par ces individus qui représentaient vraiment bien la ligne du parti et les politiques que le gouvernement chinois veut que ses alliés diffusent à gauche et à droite», poursuit Juneau-Katsuya.

Il ajoute que les services de renseignements n’ont jamais considéré le CCCC comme étant «strictement orienté vers le commerce».

Le CCCC exclut de ses activités les reporters qui écrivent des articles critiques envers le régime chinois, il en était ainsi lors du plus récent déjeuner. L’organisation évoque systématiquement le «manque de places».

Kate Heartfield a participé à l’évènement pour le journal Ottawa Citizen et a noté que l’allocution du ministre Yang était politisée et mentionnait la position du régime quant au Tibet et à Taiwan.

Elle a écrit d’ailleurs dans un blogue à propos des contradictions présentées par les gens d’affaires commerçant avec la Chine qui prétextent souvent que faire du commerce avec le régime autoritaire chinois n’a rien à voir avec la politique.

«Mais c’est un mensonge. Les entreprises et entrepreneurs faisant des affaires en Chine n’évitent pas la politique, ils ne font qu’éviter des opinions politiques qui entrent en contradiction avec la propagande diffusée par le régime totalitaire», écrit-elle.

«Bombardier était un commanditaire principal du déjeuner. Comment ne pourrait-il pas y avoir ingérence dans les affaires de la Chine lorsqu’une compagnie comme Bombardier, fortement subventionnée par les contribuables, construit un chemin de fer jusqu’au Tibet pour aider la Chine à accélérer le génocide culturel là-bas? Peut-être que la politique et les affaires ne sont-elles pas si faciles à séparer après tout?», questionne-t-elle.

«Et pourquoi le Canada ne peut-il pas s’ingérer dans les affaires de la Chine, mais la Chine peut vendre des armes à des personnes comme Robert Mugabe et Than Shwe? Pourquoi la Chine n’arrête-t-elle pas de s’ingérer dans les affaires de la Birmanie et du Zimbabwe?», renchérit-elle.

C'est sans surprise que le président fondateur du CCCC est l’ancien président de Power Corp, Paul Desmarais père. Desmarais est l’un des hommes les plus influents et les plus riches au Canada et il est très impliqué dans les échanges commerciaux avec la Chine.

Juneau-Katsuya fait remarquer que lorsque l’ancien premier ministre chinois, Li Peng, est venu au Canada au début des années 1990, il a passé une journée et demie pour visiter le premier ministre à l’époque, Jean Chrétien, et le reste de ses cinq jours de visite, il a résidé dans l’une des demeures de Desmarais.

Le CCCC a en fait dicté la position canadienne face à la Chine depuis les 50 dernières années, affirme Clive Ansley, ancien président de la branche de Shanghai du CCCC et premier avocat occidental à ouvrir un cabinet en Chine.

Le CCCC a fait cela grâce aux étroites relations de Desmarais avec les ex-premiers ministres Pierre Elliott Trudeau, Brian Mulroney et Jean Chrétien, indique Ansley. Le fils de Desmarais est marié à la fille de l’ex-premier ministre Jean Chrétien.

Ansley dit que le CCCC a réussi à convaincre les plus influents hommes d’affaires canadiens de payer d’importantes cotisations en retour d’une promesse de faciliter les échanges avec la Chine.  

Cependant, malgré les efforts du CCCC pour influencer l’élite des affaires canadiennes et en invoquant à haute voix ne pas suivre cette voix, trois sondages nationaux faits par COMPAS Inc. en 2006, 2007 et 2008 montrent que la plupart des entrepreneurs jugent que M. Harper a bien fait de critiquer publiquement les violations des droits de l’homme commises par le régime chinois.

Les chefs d’entreprises ont indiqué qu’ils croyaient que la position ferme de Harper n’aurait aucun impact sur les opportunités pour le Canada de faire des affaires en Chine, ou serait bénéfique pour les entreprises en aidant les Chinois à améliorer leur système juridique. Ils la perçoivent également comme un avancement des droits de l’homme en Chine à long terme.

Des soucis légitimes

En tant qu’ex-diplomate chinois, Chen Yonglin est familier avec les méthodes internes du régime et a affirmé que sa politique étrangère se résume à une seule chose.

«Le noyau de la diplomatie chinoise est de maintenir la reconnaissance internationale du Parti communiste chinois en tant que régime au pouvoir en Chine», a dit Chen.

Bref, le PCC se concentre entièrement à s’assurer qu’il est le seul représentant légitime de la Chine, une problématique prenant des ampleurs critiques actuellement, a-t-il dit.

«Les échanges de visites avec les dirigeants canadiens vont renforcer l’impression publique de la légitimité du gouvernement chinois, qui n’est pas démocratiquement élu.»

Chen Yonglin témoigne du fait que la Chine a assisté et encouragé ses voisins politiquement instables, comme la Corée du Nord et le Pakistan, à développer des armes nucléaires – ce qui prouve que la sécurité nationale n’est pas vraiment une réelle priorité.

«L’image des leaders chinois est ce qui importe le plus.»

Ce fut déjà le cas dans le passé que des manifestations furent accueillies par des balles. Cependant, comme le régime se prépare à célébrer son 60e anniversaire, les manifestations publiques et les émeutes atteignent un chiffre record en Chine. En janvier, Xinhua, l'agence de nouvelles officielle du PCC, a publié un article disant que cette année sera la période où il y aura le plus d'«incidents de masse».

Les rapports officiels d’«incidents de masse» ont septuplé en dix ans, jusqu’à 74 000 en 2004. Depuis, les fonctionnaires ne révèlent plus aucun détail au sujet de l’instabilité sociale en Chine, ce qui suggère que les chiffres ne font que continuer à augmenter.

La plus récente grande protestation en Chine a eu lieu dans la ville de Shishou, dans la province du Hubei, du 19 au 20 juin 2009. Les estimations varient. Toutefois, plusieurs milliers jusqu’à 70 000 résidants étaient impliqués dans cette affaire. Les protestataires ont renversé des voitures de police et des véhicules de pompiers durant les confrontations avec la police qui a appelé des soldats d’une autre ville en renfort pour mettre un terme à la manifestation. Une autre émeute a éclaté le jour suivant à Nanjing lorsque des étudiants ont appris que leur collège technique leur donnerait des diplômes équivalant à ceux du secondaire plutôt que des diplômes d'études universitaires générales (DEUG) tel qu’il leur avait été promis.

Certains analystes de la Chine affirment que le mécontentement public en Chine approche un point de non-retour et que le régime est profondément inquiet devant tout incident qui pourrait pousser les masses vers un soulèvement populaire.

«Le régime chinois n’a jamais été aussi faible que maintenant», a dit Chen. «Avec l’expansion rapide des navigateurs Internet, le régime trouve qu’il est de plus en plus difficile de leurrer les Chinois. Le peuple connaît davantage la vérité sur ce qui s’est passé et sur ce qui se passe en Chine. Le régime a épuisé toutes ses méthodes pour couvrir la brutalité et la persécution. Les pétitionnaires exigeant que leurs cas soient réexaminés sont devenus plus unis que jamais.»

Pendant que l’élite des fonctionnaires du PCC s’enrichit dans cette Chine communiste, une foule de gens souffrent de corruption et de persécution, un bon nombre d’entre eux ne semblent pas vouloir l’accepter tranquillement.