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La vallée perdue

Écrit par Valérian Mazataud, Collaboration spéciale
11.07.2009
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  • Un homme regardant un barrage étant construit dans la vallée(攝影: / 大紀元)

Lala Ram nous accueille solennellement et avec un brin de surprise. «Le dernier Blanc qui s’est aventuré ici, c’était du temps de mon grand-père», raconte le chef d’une quarantaine d’années, qui règne sur les quelque 250 habitations de cette vallée reculée du Rajasthan, le plus vaste des États de l’Inde, au nord-est du pays. Devipal acquiesce d’un sourire. Même lui, un Indien de la plaine, a eu du mal à se faire accepter quand il a décidé de rouvrir l'école de cette vallée il y a quatre ans.

Depuis Udaipur, nous avons suivi le chemin de terre, qui est le tracé de la future autoroute H67. Deux heures plus tard, nous pénétrions le Kotra Tehsil, une des régions tribales les plus peuplées de l'État. Il nous restait alors une trentaine de kilomètres à parcourir à dos de dromadaire, le long du lit de la rivière Jaldra.

  • Une jeune femme indienne et une vache(攝影: / Val

Murs de terre cuite, toits de palme soutenus par une structure de bambous, et toujours flanquées de palmiers hirsutes, les maisons sont disséminées de loin en loin, parfois presque invisibles. Tout près, s'étendent les champs où l'on cultive blé, orge, millet ou légumineuses en prévision du kharif, la récolte d'automne. Songje nous présente sa ferme, dernière réserve de céréales sèches sur le toit. Le maïs représente ici la nourriture de base. Au contraire du reste de l'Inde, où les chapatis (galettes) sont faites de blé, on prépare ici des pendias de maïs, cuites à même la braise entre deux feuilles d'arbre. Concombres, courges, épinards ou viande de chèvre constituent le reste du régime alimentaire local.

Devipal, jeune professeur de physique d'origine modeste, consacre toutes ses économies et son temps libre à des projets dédiés à l’éducation des enfants. Il a ouvert sa propre école pour les plus démunis, il a fondé un orphelinat et il passe dix jours chaque mois à sillonner à pied la vallée de Jaldra. De maison en maison, le bruit se répand : «Le maître est arrivé, le maître est arrivé», et une vingtaine d'enfants, de quatre à dix ans, se rassemblent devant l'école. Au programme, alphabet hindi, anglais, géographie, tables de multiplication, mais aussi yoga et... brossage de dents.

  • Devipal Singh, enseignant à Pushkar(攝影: / 大紀元)

L'école locale a fermé ses portes il y a huit ans, par manque de professeur. Grâce à Devipal, elle a pu ouvrir à nouveau, et les parents se cotisent pour payer un instituteur. Les premiers pas n'ont pas été des plus faciles. «À la première leçon, ils ont ri de moi... Depuis, ils ont amélioré leur hindi et moi je parle mieux la langue locale», souligne l'enseignant.  Il a fallu de nombreuses visites avant de persuader les parents de l'utilité d'une école, alors que les champs ont besoin de main-d'œuvre. «À partir de 11 ans, les meilleurs d'entre eux pourront devenir boursiers, avoir accès à une meilleure éducation et servir leur communauté plus tard», précise Devipal.

Aujourd’hui, les «Scheduled Tribes», tribus autochtones, représentent 8 % de la population totale de l'Inde. Aussi appelés les Adivasi, les aborigènes sont considérés comme les premiers habitants du pays. Leur religion, leur langue ou leur culture varient en fonction des régions. La constitution indienne de 1949 les réunit sous un large chapeau en fonction de trois critères : leur isolement géographique, leur faible niveau de développement technologique et leur culture distincte. Au Rajasthan, ils représentent 12 % de la population, soit sept millions de personnes. Dans le district d'Udaipur, la moitié de la population est originaire des tribus, notamment bhil et mina.

  • Quelques personnes indiennes s'accroupissant par un courant d'eau(攝影: / 大紀元)

Dans une Inde en passe de devenir l’une des nouvelles grandes puissances industrielles, la fracture sociale se creuse entre la classe moyenne urbaine et les tribus qui peuplent encore les vallées escarpées et les forêts profondes. À Jaldra, on vit sans électricité, les hommes chassent encore à l’arc ou à la fronde, et les grands évènements se communiquent en battant le dohl, le grand tambour tribal. On est grand-père à 35 ans, l'espérance de vie plafonne à 50 ans, alors que la moyenne du pays se situe aujourd'hui aux alentours de 65 ans. Les guerres tribales se font rares, mais on conserve encore épées, haches et flèches empoisonnées pour d'occasionnelles vendettas.

Tout comme les basses et hors castes, les Adivasi souffrent de leur statut dans la société indienne. Leur isolement géographique les prive d'une grande partie des mesures de discrimination positive du gouvernement et ils semblent de plus en plus coupés du reste du pays et de son développement technologique, économique, culturel ou politique. Traditionnellement, les tribus se sont toujours autoadministrées. Les deux sociétés bien distinctes cohabitaient, quel que soit le régime en place. L'arrivée des Britanniques en 1793 impose une nouvelle réglementation et une annexion systématique de tous les territoires. Les Adivasi se retrouvent alors intégrés au reste de la société, au plus bas de l'échelle des castes.

Aujourd'hui, avec un taux d'alphabétisation de 23 % contre 42 % en moyenne pour le reste du pays, les aborigènes souffrent d'un grave problème de représentativité afin de faire valoir leurs droits et le respect de leurs territoires ancestraux riches en forêts et en minéraux. Sur les 4200 mines que compte le pays, près de 3500 seraient exploitées sur leurs territoires. Plus de 10 millions d'autochtones auraient été déplacés pour construire quelques-uns des 3000 barrages du pays. Chassés de leurs territoires, ils se retrouvent en ville, relégués aux plus basses tâches.

  • Ram Veer à dos de chameau(攝影: / Val

Les Adivasi ont pourtant à leur actif une longue histoire de luttes et de révoltes, et représentent une force guerrière et politique non négligeable. Au moment des dernières élections, en avril dernier, le journal en ligne Express India, relatait l'irruption de toute une tribu, armée d'arcs, de couteaux et de haches dans une ville du Bengale. Ce n'était là que les prémices d'un soulèvement beaucoup plus vaste qui allait ensuite secouer toute la région durant plusieurs semaines.

Dans son ouvrage Le choix des pauvres, Tariq Thachil, de l'Université Cornell de New York attribue la défaite du BJP (Bharatiya Janata Party, Parti du peuple indien) en 2004 à un faible soutien de la part des Adivasi. Le parti du congrès, réélu en 2009, ne s'est pas trompé en choisissant d'axer sa campagne sur le thème du développement harmonieux et durable du pays et en proposant notamment le renforcement du «Forest Right Act» destiné à permettre aux autochtones de recouvrer le droit d'habiter leurs territoires ancestraux.

Partout, les tribus doivent s'organiser et défendre leurs droits. À Jaldra, on prépare le futur. Deux fillettes ont rejoint l'école de Devipal, à Pushkar, une ville voisine.

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