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Les médias internationaux reprennent la version de Pékin sur le Xinjiang

Écrit par Matthew Little, La Grande Époque
12.07.2009
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  • Une foule de Chinois de l’ethnie majoritaire han marche dans la rue, à Urumqi, province du Xinjiang, le 7 juillet 2009. (Staff: PETER PARKS / 2009 AFP)

Quand les violences ont éclaté dans la région autonome du Xinjiang, qui abrite la minorité musulmane des Ouïghours?, les médias chinois officiels se sont empressés de rapporter le sujet. Les médias occidentaux ont suivi leur ligne éditoriale.

«Les affrontements entre l'ethnie musulmane ouïghoure et l’ethnie han majoritaire en Chine, dans le Xinjiang, ont fait plus de 150 morts, marquant une nouvelle phase dans la région plus habituée aux bombes et aux assassinats par des militants séparatistes qu’à des manifestations de masse», écrivait l'Associated Press (AP) le 6 juillet 2009.

«Le nombre de morts suite aux violentes émeutes dans la province du Xinjiang, dans l’ouest de la Chine, s’élève à 156, et les policiers lundi ont dispersé des “émeutiers” dans une seconde ville, selon l’agence officielle Xinhua mardi matin», rapporte l’agence Reuters.

«Des milliers de Ouïghours ont attaqué des Hans, l'ethnie majoritaire en Chine, avec des couteaux, des bâtons ou à coups de pied, ont indiqué des habitants, faisant au moins 140 morts, selon un bilan officiel, qui “risque de s'alourdir”, a souligné Chine Nouvelle [Xinhua]», rapporte Agence France-Presse.

Mais les experts des médias et les militants ouïghours disent que les médias chinois officiels manipulent les faits en faveur du régime, stratégie qu’un spécialiste basé à Hong Kong qualifie de «Contrôle 2.0» (en référence au Web 2.0, un concept d'Internet où les usagers créent eux-mêmes le contenu).

«En sortant l’information, les autorités peuvent faire en sorte que les “médias périphériques” (les portails de nouvelles influents et les journaux commerciaux) travaillent pour eux», écrit David Bandurski, rédacteur pour le site China Media Project Web.

«Ces médias se basent sur les dépêches de Xinhua, amplifiant leur effet. C’est ainsi que ces dépêches, avec des ajustements mineurs la plupart du temps, deviennent des dépêches AFP, Reuters et AP.»

Bien que Bandurski se référait aux émeutes de Shishou en juin, le modèle s'applique.

Les médias d'État chinois ont dépeint les émeutes comme étant une insurrection ouïghoure violente menée par des terroristes et des forces anti-Chine d'outre-mer qui ont attaqué les Chinois han. Freedom House, une ONG américaine œuvrant pour l'expansion des libertés, affirme que les reportages font partie des efforts du régime pour gérer la couverture médiatique des troubles. L'organisme a demandé aux médias gouvernementaux de cesser ce genre de pratique car elle attise les tensions interethniques.

Alors que peu de médias ont donné du poids à la suggestion que des militants ouïghours des États-Unis et d'Allemagne sont derrière les violences, plusieurs ont suivi l'angle du régime de même que sa suggestion que l'ethnicité est la cause première du conflit.

C'est particulièrement vrai pour les médias qui dépendent des agences de presse. Les principaux journaux canadiens et les sites comme cyberpresse.ca ont tous publié des dépêches de ce genre.

Mais, cette fois, le régime chinois est allé un pas plus loin pour modeler le message. Durant les émeutes au Tibet, Pékin avait provoqué l'ire des médias internationaux en leur interdisant l'accès à la région. Au Xinjiang, ils ont été invités à effectuer des visites guidées, bien que les journalistes n’aient pas eu la permission d'interviewer qui que ce soit sans la présence des autorités.

«Ils deviennent plus sophistiqués. Ils apprennent de leurs erreurs passées», a déclaré au New York Times Xiao Qiang, un professeur en journalisme à l’University of California, qui suit de près le contrôle médiatique exercé par Pékin. Il affirme que la nouvelle tactique vise à garder le contrôle sur les médias étrangers.

La plupart des experts des médias chinois, incluant Xiao, ont qualifié les efforts du régime de bloquer toutes les communications dans la région comme une tentative d'empêcher que du contenu non censuré – comme les preuves d'attaques contre les Ouïghours – soit diffusé à l'extérieur, comme ce fut le cas au début des troubles. Lorsque la répression a commencé, les habitants d'Urumqi ont publié sur le web des vidéos prises avec des téléphones cellulaires et des caméras numériques montrant les évènements se déroulant dans la ville.

Tala Dowlatshahi, avec Reporters sans frontières à New York, a mentionné que plus de 50 forums ouïghours sur Internet ont été fermés le 7 juillet et les autres moyens de communication, comme Twitter, ont été coupés.

«Les gens de cette région sont complètement coupés du monde», indique-t-elle. «Je n’ai pas beaucoup de réponses à vous fournir, mais je peux vous dire que l’on ne sait pas toute la vérité.»

Les Ouïghours au Canada disent que des amis et des membres de leur famille ont disparu des services de messagerie instantanée, et ne répondent plus sur leurs cellulaires ni aux courriels.

Ils affirment que la police est passée de porte en porte pour arrêter les habitants masculins. Cette allégation a été répétée par une foule composée de femmes ouïghoures au Xinjiang qui s'est approchée de la police alors que des journalistes étrangers étaient à proximité. Elles ont demandé la libération de leurs proches.

Les articles sur le Xinjiang se basant sur des sources officielles chinoises n'ont également pas mentionné que les médias d’État sont généralement considérés comme des outils de propagande du régime communiste.

«[Les médias d’information] devraient être grandement préoccupés par la justesse d’un reportage (quel qu’il soit) provenant des médias chinois officiels parce qu'ils ne rapportent qu’une version des faits», affirme Mme Dowlatshahi, expliquant que toutes les dépêches servent les intérêts politiques du régime.

La plupart des reportages n’expliquent pas la cause réelle des troubles.

L'histoire du Xinjiang est remarquablement similaire à celle du Tibet, bien que pas aussi connue. Les deux régions étaient habitées d'ethnies distinctes possédant leurs propres langues et traditions religieuses. Le Xinjiang, appelé Turkestan oriental par les Ouïghours, a lutté à travers l'histoire contre la domination chinoise, faisant tantôt partie de certaines dynasties chinoises, ou étant indépendant, ou sous un autre contrôle.

Lorsque le Parti communiste chinois a pris le pouvoir en 1949, le nouveau régime s'est efforcé de rapidement écraser toute indépendance dans la région. Amnesty International affirme que de graves violations des droits de l'homme y sont survenues depuis.

Dans un effort d'effacer les caractéristiques ethniques distinctes de la région, le régime chinois a réprimé les traditions culturelles et religieuses. Il a également travaillé d'arrache-pied pour attirer au Xinjiang des Chinois de l'ethnie majoritaire han tout en déplaçant la minorité ouïghoure. Selon Amnesty, en 1949, la population d'ethnicité turque locale, dont la majorité était ouïghoure, comptait pour au moins 93 % de la population. Aujourd'hui, la moitié de la population est han.

Les restrictions imposées à la région ont augmenté vers la fin des années 1990 et les Ouïghours ont vu leurs droits sociaux, économiques et culturels s'éroder constamment.

«Le développement économique dans la région a largement laissé pour compte la population ethnique locale, et elle a fait face à des restrictions grandissantes. Cette tendance a exacerbé des tensions ethniques de longue date entre les Ouïgours et les Chinois han dans la région, contribuant à l'escalade de la violence», mentionne Amnesty.

Des récentes politiques forcent les familles ouïghoures à envoyer leurs enfants à des écoles en régions chinoises et les jeunes femmes sont obligées d'aller travailler dans les grandes villes à l'Est.

Très peu de ces femmes reviennent, et les militants ouïghours affirment qu'elles sont forcées à se prostituer.

«Avec les années, les tentatives des Ouïghours d'exprimer leurs griefs et d'exercer pacifiquement leurs droits les plus fondamentaux ont fait face à la répression», souligne Amnesty, ajoutant que cette répression a augmenté les tensions.

Il est intéressant de noter que ce modèle est commun à travers la Chine ces dernières années. Des rapports officiels ont noté que les «incidents de masse» avaient augmenté de manière exponentielle ces dernières années, atteignant 87 000 en 2005. Depuis, le régime n'a pas ébruité de telles statistiques, suggérant que les chiffres n'ont fait que croître.

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Des reportages concernant d'autres émeutes récentes en Chine laissent filtrer un modèle : la population locale proteste contre une injustice causée par la corruption gouvernementale ou la brutalité policière.

L'action populaire est écrasée par les forces de l'ordre, tandis que l'injustice n'est pas réglée. La réaction musclée des autorités provoque alors d'autres manifestations, dont certaines deviennent violentes. C'est à ce moment que la colère cible plus particulièrement le régime et que des véhicules de police ou des bureaux gouvernementaux sont attaqués, voire incendiés.

Des scénarios d'émeutes de ce genre sont survenus dans la ville de Shishou, province de Hubei, en juin dernier, et dans la ville de Longnan, province de Gansu, en novembre dernier. Les Ouïghours affirment que c'est ce qui se passe à Urumqi.

Des Ouïghours au Canada et aux États-Unis affirment qu'il est frustrant de voir que les médias de ces pays suivent la ligne des médias d'État chinois.

«La plupart des médias ne reprennent que la version des faits de Pékin et prennent les photos des médias chinois», estime Rukiye Turdesh, président de la Uighur Canadian Society.

Les médias officiels chinois se sont concentrés sur les Chinois han, dit-elle, et ont présenté les Ouïghours comme attaquant violemment les Chinois han. Les médias occidentaux ont emboîté le pas.

«Ils ne montrent par de photos de la manière que les Ouïghours sont tués. Ils ne disent rien sur les Ouïghours ni sur ce qui leur est arrivé, ils disent juste que les Chinois ont été battus, que des Chinois ont été tués. Qu’est-ce que c’est ça, ce n’est pas juste, n’est-ce pas? Ils ne font que recopier les médias chinois», lance-t-elle.

«Les Ouïghours sont désemparés, ils n’ont pas de soldats, ils n’ont pas d’armes, ils n’ont rien. Les Chinois ont tout et ils bloquent l'information, nous ne savons pas ce qui se passe là-bas actuellement. Même si la Chine les tuait tous, massacrait tous les Ouïghours, on n’en saurait rien.»

Turdesh dit qu’elle a été bouleversée en voyant des images qui ont pu sortir avant que le régime ne coupe tout, montrant des Ouïghours attaqués et tués.

Alim Seytoff, secrétaire général de la Uighur American Association – le groupe de coalition que le régime chinois accuse d’orchestrer les émeutes – a dit que les reportages récents se sont améliorés et que de plus en plus de médias ont cité des sources ouïghoures, mais il reste inquiet en voyant que trop de médias donnent crédit aux médias chinois officiels.

«La communauté internationale a tort de reprendre les mots des médias chinois comme si c’étaient des faits, ils devraient faire attention parce qu’ils sont tous plein de préjugés et ne montrent qu’un côté de l’histoire.»

Comme les Tibétains, les Ouïghours sont constamment présentés comme étant «barbares, paresseux et stupides», dit Alim Seytoff.

Le fait que les Ouïghours soient musulmans a embrouillé davantage l'affaire, estime D.J. McGuire, cofondateur du China e-Lobby et auteur de Dragon in the Dark: How and Why Communist China Helps Our Enemies in the War on Terror (Dragon dans la nuit : Comment et pourquoi la Chine communiste aide nos ennemis dans la guerre contre le terrorisme.)

«Le problème est que les gens sont déjà conditionnés à ne pas croire ce que les cadres [communistes] disent sur le Tibet, donc on trouvait de ça dans les reportages sur le Tibet», croit M. McGuire, en référence au fait que les reportages sur le Tibet étaient plus sympathiques à la cause tibétaine.

«Mais ils ne comprennent pas autant cela avec ce qui se passe à Urumqi [capitale du Xinjiang]», ajoute-t-il.

«Après le 11-septembre, il a été beaucoup plus facile de faire passer la résistance musulmane comme étant terroriste et antioccidentale, alors que c’est plus difficile à faire avec la résistance au Tibet, donc c’est ce qui ressort des reportages», explique-t-il.

M. McGuire affirme que toute couverture qui ne remet pas en question les dires du régime chinois est irresponsable. «Jusqu'à ce que nous puissions obtenir les commentaires de gens qui ne craignent pas les représailles du régime communiste, il sera très difficile de savoir ce qui s'est vraiment passé.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.