Le dilemme du «grand emprunt» français

Écrit par Patrick C. Callewaert, La Grande Époque
18.07.2009

Les emprunts d’État français auprès des particuliers depuis 1945 :

1946 - Emprunt 3 % de la Caisse nationale de l’énergie : emprunt émis pour indemniser les actionnaires des compagnies de gaz et d’électricité, et indexé sur le chiffre d’affaires d’EDF-GDF. Son cours de remboursement fut multiplié par 40.

1952 - Emprunt Pinay 3,5 %, renégocié à 4,5% en 1973 - emprunt émis pour rétablir la confiance des Français et rapatrier les capitaux placés à l’étranger, dans un contexte de forte croissance économique. Il était indexé sur l’or, et exonéré d’impôt. Il fut remboursé par anticipation, avec un cours multiplié par 15.  

1973 - Emprunt Giscard 7 % de 6,5 milliards de francs sur 15 ans : lancé pour compenser la chute de la TVA après le premier choc pétrolier, et indexé à partir de 1978 sur le cours du lingot d’or. Il a coûté 92 milliards à l’État en 1988, en grande partie à cause de la dévaluation du franc, dont la valeur fut divisée par 3,5.

1977 - Emprunt Barre 8,8 % de 8 milliards de francs sur 15 ans : émis pour aider les victimes de la sécheresse de 1976, il bénéficiait d’un abattement fiscal de 1.000 francs par an sur les intérêts, mais n’a guère profité de sa garantie fondée sur l’écu.

1983 - Emprunt Mauroy 10 % de 14 milliards de francs sur 2 ans : plus qu’un emprunt, il s’agit d’une contribution forcée auprès des contribuables payant plus de 5 000 francs d’impôts. Il fut créé pour marquer la politique de rigueur du gouvernement Mauroy, puis intégralement remboursé en 1985.

1993 - Emprunt Balladur 6 % de 110 milliards de francs sur 4 ans : émis pour financer les travaux publics et soutenir l’emploi, à l’époque où Nicolas Sarkozy était ministre du Budget, il fut remboursé pour partie (90 milliards), le reste ayant été reconverti dans des actions (pour partie gratuites) d’entreprises privatisées (30 milliards). Au total, l’emprunt a finalement coûté 4,3 milliards de francs à l’État.

  • Les bureaux du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi à Paris 12e.(Hanna Szmytko/La Grande Epoque)(攝影: / 大紀元)

Suite au lancement réussi le 17 juin dernier par l’entreprise EDF d’un emprunt sur 5 ans à 4,5%, qui a permis de récolter une somme de 2,5 milliards d’euros, le président de la République Nicolas Sarkozy a lancé le 22 juin, devant le Congrès de Versailles, l’idée d’un «grand emprunt national» en 2010.

Le chef de l’État a insisté sur la nécessité «d’inventer le nouveau visage de notre modèle de croissance. Il s’agit de réfléchir aux domaines d’excellence de la France à 20 ans». Le Premier ministre François Fillon a ensuite précisé le 28 juin qu’il ne servira ni à financer les dépenses courantes ni un deuxième plan de relance, mais qu’il pourrait financer des «secteurs stratégiques» comme «les biotechnologies, l’énergie du futur, les voitures électriques», ainsi qu’«un certain nombre de secteurs dans le domaine alimentaire ou la santé, l’éducation en général, l’enseignement supérieur et la recherche».

Concertation préalable

L’idée d’un emprunt national, orienté vers des investissements à long terme, a de quoi séduire. En effet, il permet de mobiliser la population française vers un projet commun, et de lui redonner la motivation nécessaire pour envisager l’avenir avec confiance, ce dont elle a bien besoin en ce moment.

Pour définir les caractéristiques de cet emprunt, le chef de l’État souhaite un débat national. Il a désigné Alain Juppé et Michel Rocard, anciens Premiers ministres, pour présider une commission composée de représentants des partenaires sociaux, et réfléchir ensemble à ce que doivent être les priorités nationales pour l’avenir. Cette concertation doit avoir lieu jusqu’en octobre prochain, et les conclusions seront présentées mi-novembre au Gouvernement. Les priorités et modalités de l’emprunt seront alors soumises au vote du Parlement, «soit par une loi de finances rectificative, soit par une loi de programmation, qui sera votée au début de l’année prochaine». L’emprunt sera lancé à l’issue de ce processus.

Les comptes de l’État dans le rouge

Une controverse s’engage cependant par-delà les partis politiques entre les partisans de la rigueur budgétaire et ceux d’un projet politique national ambitieux. En effet, malgré les engagements officiels de la France de revenir en dessous du seuil de 3% du PIB défini par le traité de Maastricht, le déficit du budget de l’État est de 3,4% en 2008, alors qu’il n’est en moyenne que de 1,5% en Europe. La charge de la dette de la France, c’est à dire le coût annuel de son remboursement, est actuellement de 54 milliards d’euros pour un budget national de 341 milliards d’euros et représente le troisième poste de dépenses publiques. Comme l’État français a refusé de réduire ses dépenses lors des périodes de croissance, il n’a plus aucune marge de manœuvre budgétaire pour faire face à la crise économique actuelle, et ne devrait pas s’endetter plus.

C’est pourquoi Philippe Seguin, premier président de la Cour des Comptes, a solennellement rappelé le 23 juin aux députés que «cette année 2009, le déficit de l’État sera de 120 milliards d’euros, soit la moitié de ses recettes…». Bien que la signature de la France soit encore très bien notée par les agences de notation, la dette publique augmente actuellement au rythme d’un milliard d’euros par jour. Les projections faites jusqu’en 2018 par Philippe Seguin montrent que «la France aura alors une dette publique équivalente à 100% du PIB» (soit près de 2.000 milliards d’euros). Le résultat de cette politique laxiste entreprise depuis plus de 30 ans entraînera alors une charge de la dette de 160 milliards d’euros par an, soit plus que la collecte de la TVA !    

 

Vers un réel changement ?

Lancer un emprunt national dans ces conditions s’apparente donc plutôt à la quadrature du cercle: l’État doit en effet attirer l’épargne des Français avec des conditions plus avantageuses que les autres placements, mais sans être taxé de favoritisme par ceux qui n’ont pas d’argent à placer, et tout en les persuadant que les finances publiques vont s’assainir. Or l’histoire des derniers emprunts réalisés depuis 1945 (voir encadré) et qui étaient assortis de conditions fiscales très attractives tend plutôt à démontrer qu’ils ont eu des effets désastreux pour les finances publiques.  

Nicolas Sarkozy ne pourra pas se contenter de lancer cet emprunt sans, en parallèle, assainir énergiquement les dépenses courantes des comptes publics. Selon les estimations de Philippe Seguin, l’effort financier est colossal: 72 milliards d’euros ! Le président n’a pas le choix: il devra en même temps réduire les dépenses et augmenter les recettes. Diminuer les dépenses ne pourra se faire qu’en réduisant le champ d’intervention de l’État, c’est-à-dire en cédant une large partie de ses prérogatives au secteur privé, donc en réduisant le nombre de fonctionnaires. L’augmentation des recettes, quant à elle, ne pourra se faire qu’en revenant sur le «paquet fiscal» voté au début de son mandat, puis en augmentant les prélèvements obligatoires des catégories favorisées.

Les risques sont énormes, car les capitaux peuvent fuir le pays, les fonctionnaires lancer une grève générale, et la paralysie gagner l’économie. Une répartition équitable de l’effort financier est indispensable pour garantir le succès de l’emprunt et le redressement à terme de la France. Les grands présidents sont ceux qui ont eu le courage de faire passer l’intérêt national au-dessus des lobbys ou des corporations, et qui ont su fédérer leur pays vers un projet qui le transcende. Nicolas Sarkozy est-il de ceux-là ?