L’immigration dans le cinéma américain: de l’établissement à la reconnaissance

Écrit par Alain Penso
02.07.2009

  • (攝影: / 大紀元)

L’Amérique terre d’accueil

L’Amérique est un pays d’immigration. Les WASP (White Anglo-Saxon Protestant) ont été les premiers à s’établir dans ce grand pays, puis un peu plus tard, d’autres grandes communautés comme les Irlandais, touchés par la famine. Dès le début de l’apparition du cinéma en Amérique, il est influencé par la thématique de l’immigration. Dans L’Émigrant (1917), Charlie Chaplin analyse les comportements d’un immigrant qui quitte l’Europe pour rejoindre le Nouveau Monde et pour apprécier le bonheur de trouver d’autres visages, une patrie, un amour, en même temps qu’une perspective de carrière.

 

L’Amérique grâce à ses intellectuels et ses cinéastes, réfléchit sur son histoire, sur ce destin qu’elle ne veut surtout pas laisser immobile. L’Amérique est faite du pire et du meilleur. Le mal affronte le bien comme Georges Lucas le montre en 1977 dans La Guerre des étoiles. La même année, Steven Spielberg avait enfoui ses origines dans une intégration spatiale, dans un pacifisme humaniste dans Rencontres du Troisième Type (1978).

 

La Liste de Schindler

Avec La Liste de Schindler (1993), Spielberg ravive son judaïsme. Il filme des témoignages et crée une fondation chargée d’enregistrer les derniers témoignages dans le monde des survivants de la Shoah. Une version moderne de l’immigration, c’est peut-être violent comme formulation, mais la Shoah est une immigration forcée vers la mort. Il y a l’intégration des peuples mais il y a aussi la désintégration des peuples, une variante tragique de l’immigration. Les créateurs imaginent assez longtemps à l’avance ce que pourrait devenir une situation tragique.

 

Le Dictateur

Charlie Chaplin l’avait conçu en 1936, avant les événements de la Nuit de Cristal (du 9 au 10 novembre 1938). Ce film ne sortira qu’en octobre1940 aux États-Unis, au moment où les Allemands descendent les Champs-Élysées. L’une des scènes clé du film est celle où le barbier qui ressemble à Hynkel, le personnage à peine parodié d’Hitler, fait un discours que personne n’attendait: il s’adresse à Anna qui a immigré d’Allemagne vers l’Autriche pour éviter la répression et qui ne peut échapper aux bourreaux nazis. Elle est molestée dans un jardin, une sorte de paradis désormais occupé par des barbares. Elle entend la voix de son aimé. Film inoubliable, ce sont des images qui font partie de notre for intérieur, tout près du cœur. Cette œuvre, interdite pendant la guerre, prône l’humanisme et prescrit un baume pour calmer la douleur des femmes et des hommes qui doivent quitter leur pays natal pour continuer à vivre. Le Dictateur ne sera visionné qu’à la fin de la guerre (en mars 1945 en France).

 

Un rabbin au Far West (1979)

Ce film de Robert Aldrich est une œuvre pleine d’humour réalisée par un vieux routier d’Hollywood plein de talent. Il a tenté de suivre un courant comique fait d’humour juif d’après le chemin de Mel brooks, Jerry Lewis et Woody Allen. Il réussit admirablement à concilier l’aventure avec les particularismes de toutes les communautés rencontrées. Notons la scène où le rabbin fait connaissance avec les Mormons et pense que ce sont des juifs comme lui, puisqu’ils portent des chapeaux noirs et des blouses noires. Il leur parle en yiddish. Cette partie du film est un morceau d’anthologie. Le cinéaste analyse qu’une ressemblance peut être trompeuse.

 

Jusque-là, Hollywood n’était pas consciente du talent de ce cinéaste qui n’avait réalisé quasiment que des chefs d’œuvres : en premier lieu Bronco Apache (1954), avec Burt Lancaster, qui traite de l’injustice des Blancs vis-à-vis des Indiens. Tourné après La flèche brisée (1950) de Delmer Daves, c’est un bijou d’intelligence artistique et de réflexion. Il tournera également Vera Cruz (1955) avec Gary Cooper, En Quatrième Vitesse (1955) et Le Démon des Femmes (1968). Il avait commencé sa carrière d’assistant avec Jean Renoir sur Le Fleuve (1951). Aldrich disparaîtra en 1983, laissant derrière lui une liste de films passionnants où la critique du système hollywoodien, avec en particulier le maccarthysme. Le Grand Couteau (1955) est par exemple un témoignage exaltant sur les milieux hollywoodiens infestés par cette maladie contagieuse et malfaisante qu’était le maccarthysme. Les juifs ne pourront plus travailler. Ils seront sur la liste noire, les communistes et les humanistes également, tous soupçonnés d’espionnage pour «l’ennemi».

 

L’imaginaire pour sauver l’Amérique

Le cinéma, en dehors des films d’imagination, conte avec un décalage la réalité symbolisée. Nous avons vu, dans un numéro précédent, que Superman (1979) est une histoire vraie sublimée et dont le fondement est l’histoire reproduite dans une bande dessinée (1938), les fameux comics, que les enfants et les adultes s’arrachaient toutes les semaines. Ces aventures ont fait l’objet de films, de livres et ont donné naissance à d’autres super héros.

 

La particularité du cinéma américain – les séries B en particulier – est d’utiliser l’histoire quotidienne vécue pour écrire des scénarios et servir de miroir à une société parfois aveuglée par l’histoire immédiate.

 

Le pardon de l’Amérique aux minorités opprimées

Il a fallu attendre longtemps avant que John Ford ne prononce son mea culpa devant le destin des Indiens dans Les Cheyennes (1964). Fabuleux pardon du cinéaste qui, sa vie durant, avait représenté les Indiens comme des bêtes féroces non civilisées qu’il fallait abattre. Sa mythologie construite avec génie avait été exportée vers plus d’un pays... Il revenait bouleversé sur ce qu’il avait écrit et tourné sur les Indiens pour en faire des chefs-d’œuvre qui devaient, pendant des décennies, le mal étant déjà fait, désintégrer tout un peuple molesté, pillé, assassiné, violé. Marlon Brando a pris la défense de ce peuple et a demandé une somme astronomique pour tourner dans Le Parrain (1972) de Francis Ford Coppola.

 

Lucien Khalfa, créateur du festival

Dans le festival des cultures juives où tous les aspects du cinéma américain avaient été montrés grâce à la collaboration des Mairies des IIIe et IVe arrondissements de Paris, du cinéma Le Latina, de la Maison de la Photo, notons que Lucien Khalfa, vrai fondateur de la manifestation, donne son énergie depuis de nombreuses années : cinq festivals brillants, bien organisés avec l’appui du maire de Paris particulièrement ouvert aux composantes culturelles qui fondent l’esprit de Paris.

 

Toutes les communautés arrivées à New York ont été rackettées. La communauté juive n’a pas échappé au banditisme dans Les Indomptés (1991), film de Michael Karbelnikoff. La scène se déroule dans la Petite Italie et dans le quartier juif où s’affrontent les Italiens, les juifs et les Irlandais. Les Siciliens, cruels, protégés par une police corrompue, tabassent ceux qui leur résistent. Deux juifs et deux Italiens s’associent pour faire cesser leurs malheurs. Ils vont réfléchir pour abattre l’autre gang sur le modèle de Le Parrain de Coppola ou Les Affranchis (1990) de Martin Scorsese. Les Italiens ne veulent pas entendre parler de concurrents. Ils veulent assassiner ce groupe de gangsters liés par l’amitié et la solidarité, une morale que Karbelnikoff parvient à faire admettre.

 

Le racisme et la ségrégation dans le cinéma américain

La Différence (1993) de Robert Mandel montre que les fameux WASP veulent rester entre eux et garder leur pouvoir exclusivement. L’élite du milieu riche ne partage pas ses origines avec n’importe qui. Telle est leur loi, inscrite dans leur esprit pour toujours. Julien Green tente de s’intégrer à l’école pour étudier. C’est un sportif recruté pour jouer dans l’équipe de l’université. Il dissimule sa judaïté de peur d’être rejeté par ses camarades. Le mérite semble placé derrière la puissance de l’argent, cette valeur qui anime le monde matérialiste...

 

Remarquable analyse qui reprend les thèmes développés en 1947 par le réalisateur d’origine constantinopolitaine Elia Kazan dans Le Mur Invisible (1947). Son film America America (1964) est un film inoubliable d’une grande beauté esthétique et thématique. Le sujet qu’il devait traiter était bien proche de ses préoccupations : un journaliste doit faire une enquête sur l’antisémitisme. Pour cela, il se fait passer pour un juif. Il est victime de ségrégation, d’insultes et de vexations professionnelles. Ce film qui reproduit des situations réelles fait froid dans le dos.

 

Le Jazzman du Goulag (1963)

Ce film de Pierre-Henry Salfati et Natalia Sazonova, récompensé par un Emmy Award, retrace la vie tourmentée de Eddie Rosner, surnommé «l’Armstrong blanc». En effet, dans un concours international de jazz, il avait obtenu le deuxième prix derrière Amstrong. Rosner était un grand chef d’orchestre qui dirigeait plusieurs formations de jazz. Il composait et faisait aussi des arrangements. Il est né à Berlin, il a suivi sa femme en Pologne et lorsque le pacte germano-soviétique a été scellé, Rosner a été fait prisonnier pour jouer du jazz devant Staline et les dignitaires du régime. Il a mis sur pied de nombreuses formations, a été arrêté parce que juif et nanti de trop de talents. Les mordus du jazz ne pouvaient pas laisser un tel génie en prison, un nommé Gorski l’a protégé. À la mort de Staline en 1953, Rosner est reparti en Allemagne en quête de travail. Il faut signaler la biographie Red Jazz ou la vie extraordinaire du camarade Rosner de Natalia Sazonova, aux éditions Parangon.

 

Les Protocoles de la Rumeur (2004)

Ce film de Marc Levin est un documentaire comme on en fait peu et qui analyse un phénomène étrange au lendemain du 11 septembre 2001. Des voix se sont fait entendre pour accuser les juifs d’avoir commandité les attentats de New York et Washington. Cela rappelle la mystification des Protocoles des Sages de Sion écrit par Mathieu Golovinski à la fin du XIXe siècle prêtant aux juifs, depuis plus d’un siècle, l’intention de prendre le contrôle de la planète. Or nous savons aujourd’hui que l’ouvrage Protocoles des Sages de Sion est un faux fabriqué par un ancien membre des services secrets russes. Pierre Taguieff, qui a consacré son temps à des recherches, grâce à l’ouverture des archives russes, en a montré l’origine.

 

La psychanalyse de l’Amérique avec humour

Dans cette thématique sur l’Amérique, il n’est pas possible d’ignorer Woody Allen, l’histoire de son enfance et de Radio Days qui lui a inspiré le film du même nom en 1987, ainsi que Crimes et délits (1990) sur le rapport entre le religieux et la philosophie dans le contexte d’un crime. Dans Manhattan (1979) tourné en noir et blanc, Woody Allen contraste la beauté de la ville avec les intrigues amoureuses, ses sentiments, sur une musique de Georges Gershwin, «Rapsody in Blue». Woody Allen semble dire que lorsque l’on veut partir mais que la ville vous retient, c’est un peu le cœur qui s’en va avec l’être aimé.

 

Les Marx Brothers sont cinq. Ils auraient pu être six mais un bébé est né et a disparu au bout de six mois. Ce sont de grands artistes qui écrivaient leurs films. Les textes sont surréalistes. Les Marx sont les produits réussis de l’immigration de leurs parents. Le père est né en France à Strasbourg, la mère en Prusse. Le mélange des langues va stimuler les Marx Brothers qui vont faire des jeux de mots une sorte de tricotage verbal assez subtil mais hélas pas toujours compris de tous.

 

Rappelons les noms des Marx Brothers: Chico qui joue du piano et qui est un spécialiste du doigt révolver, Harpo le frère frisé talentueux joueur de harpe, Grucho qui joue le pouvoir à l’aide d’un gros cigare et Zeppo qui est le jeune premier à la voix d’or dans Une Nuit à l’Opéra.

 

Une Nuit à l’Opéra (1935) est un film hilarant, bourré de gags où l’on entend la voix sublime de Zeppo. La mission des Marx dans ce film est de sauver l’amour d’un couple charmant. Quant à Duck Soup (1933) le film traite du pouvoir dans un tout petit pays où il n’y a pas assez de sujets pour faire la guerre.

 

Une Nuit à Casablanca (1946) est une parodie du film de Michaël Curtiz Casablanca (1942).

En conclusion

Tous les films soulignent que l’immigration n’est pas seulement une affaire d’espace, le cœur et l’âme se rejoignent pour tenter de se construire un havre de paix où l’amour pourra faire souche au milieu de multiples conflits à résoudre.