Chine: «La situation de la liberté de la presse ne s’est pas améliorée»

Écrit par Propos recueillis par Zhang Yue
13.08.2009

  • (La Grande Époque)(STF: PATRICK KOVARIK / ImageForum)

La Grande Époque: Aujourd’hui, un an après l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, est-ce que les améliorations pour la liberté d'expression et la liberté de la presse promises à l’époque par les autorités de Pékin sont visibles?

Jean-François Julliard: Non, pas du tout, non. Il y a eu effectivement des améliorations pour les journalistes étrangers, mais seulement pour eux. Les journalistes chinois ne sont pas plus libres aujourd’hui de faire leur travail dans leur pays qu’ils ne l’étaient avant les Jeux olympiques. La situation de la liberté de la presse ne s’est pas améliorée comme on pouvait l’espérer depuis la fin des Jeux olympiques et globalement le bilan n’est pas satisfaisant et même très loin d’être satisfaisant.

LGÉ: Pendant les Jeux olympiques de Pékin, grâce à la présence de milliers de journalistes étrangers, les internautes chinois avaient bénéficié d’une ouverture courte: ils avaient eu accès à des sites internet bloqués avant, sauf quelques exceptions comme par exemple les sites internet de Falun Gong et des Tibétains. Mais juste après les JO, ces sites ont été bloqués de nouveau par les autorités chinoises. Est-ce qu’il y a une explication officielle des autorités chinoises à ce sujet? D’après vous, pourquoi les autorités chinoises osent-elles ainsi faire face à la communauté internationale, sachant que leur comportement sera très mal vu?

Jean-François Julliard: Personne n’est complètement insensible aux critiques de la communauté internationale, mais en tout cas les autorités chinoises ont montré qu’elles n’étaient pas aussi soucieuses que cela de leur image à l’étranger. Rétablir l’accès internet pendant les Jeux olympiques puis les couper à nouveau juste après le départ des athlètes, c’est un peu se moquer du monde. Les autorités chinoises ont surtout envie de contrôler les informations qui circulent dans le pays et de contrôler l’information qui sort de Chine ou qui entre en Chine. Puis elles ont envie de garder la mainmise sur les informations disponibles pour les ressortissants chinois.

LGÉ: Le communiqué de RSF publié le 7 août indique que l'ouverture tant vantée par les organisateurs de Pékin 2008 et le CIO n'aura été qu'une illusion. Ce n’est pas la première fois que la Chine utilise ce type de leurre, pourquoi cela fonctionne-t-il si souvent?

Jean-François Julliard: Cela marche car il y a toujours des personnes dans le monde qui continuent de penser que ce genre d’événement, les Jeux olympiques ou ce genre de grandes conférences internationales peuvent amener une certaine ouverture dans le pays. Nous avons été les premiers à dire que les Jeux olympiques en Chine étaient une très mauvaise idée parce que ça n’entraînerait pas d’effets positifs, que cela ne permettrait pas l'ouverture escomptée. Malheureusement on a eu raison, je dis malheureusement car personne n’avait envie de cela. On avait envie de se tromper. Mais malheureusement, on a eu raison, la liberté d’expression ne s’est pas améliorée. Donc on a réellement demandé après la fermeture des Jeux olympiques l’an dernier que le CIO se pose la question des critères d’attribution des Jeux olympiques à tel ou tel pays, parce que sinon en 2008 c’était la Chine, en 2014 ce sera Sotchi en Russie et puis il y en aura d’autres ensuite. Il faut donc réellement se poser des questions.

LGÉ: Est-ce que le site de RSF est bloqué en Chine aujourd’hui?

Jean-François Julliard: Oui.

LGÉ: Un autre sujet concernant la liberté de la presse en Chine et les JO de Pékin: quelques semaines avant les JO, prétextant une panne technique, Eutelsat a interrompu les signaux de NTDTV en Chine, la seule chaîne de télévision sinophone libre diffusée vers la Chine. Cependant Reporters sans frontières a pu montrer que l’opérateur a pris une décision politique pour faire plaisir au régime chinois et que ce premier a la capacité technique de rétablir les signaux de NTDTV malgré la panne technique. De nombreux députés français, le Parlement européen, des organismes des droits de l’homme, et surtout de très nombreux téléspectateurs de NTDTV sont intervenus en faveur de NTDTV. Mais aujourd’hui, Eutelsat maintient toujours sa position. Il y a quelques jours, la NTDTV a saisi le tribunal de commerce de Paris. Que pensez-vous de cette action juridique de NTDTV?

Jean-François Julliard: Je pense que c’est bien, il faut réellement qu’on avance sur ce dossier. NTDTV est toujours bloqué, la chaîne ne peut toujours pas émettre en Chine, c’est anormal. Tous les moyens sont bons pour qu’on trouve une solution. D’un coté Eutelsat avance des arguments techniques expliquant l’impossibilité de reprendre l’émission de NTDTV à destination de la Chine, donc il faut qu’on trouve une solution et si cette solution passe par le judiciaire, tant mieux. Nommer un expert qui puisse dire à un moment donné ‘oui c’est possible’ ou ‘non, cela n’est pas possible’. Cela permettra d’avancer. Il faut que NTDTV puisse continuer à émettre à destination de la Chine via Eutelsat ou via un autre satellite si ce n’est réellement pas possible avec Eutelsat. En tout cas, il faut aller jusqu’au bout de ce dossier, qu’on ne reste pas dans ce statut quo actuel qui fait que d’une part NTDTV est empêché d’émettre et que d’autre part Eutelsat est accusé de censure.

LGÉ: Quels sont selon vous les éléments les plus importants pour améliorer la situation des droits de l’homme en Chine, dont la liberté de la presse et d’expression en Chine?

Jean-François Julliard: Il n’y a pas de solution miracle malheureusement. Il faut que les autorités et les diplomaties étrangères continuent d’être fermes dans leurs demandes vis à vis de la Chine. Ce n’est pas parce que la Chine est un partenaire économique majeur aujourd’hui qu’il faut tout lui passer, qu’il faut céder sur les droits de l’homme pour pouvoir lui vendre des Airbus ou autre chose. Il faut d’abord tenir tête, nous aussi, les démocraties européenne et nord américaine et ensuite continuer à dénoncer la situation, continuer à demander la libération des prisonniers politiques chinois et continuer de réclamer les droits de l’homme en Chine.