Le mouvement vert iranien

Écrit par Kamran Moradi, La Grande Époque
27.08.2009

Regard sur la création du mouvement réformiste et sur les luttes de pouvoir au sein de la République islamique

  • Des Iraniens manifestent(Staff: AAMIR QURESHI / 2009 AFP)

Comme la plupart des jeunes Iraniens de son âge, l'élève du secondaire Sohrab Arabi étudiait intensivement pour l'examen universitaire national, le Konkoor, une des phases les plus importantes que les étudiants iraniens doivent passer dans leur vie.

Mais, cette année, ce fut différent pour le jeune homme de 19 ans. Le population en entier, semblait-il, était impliquée dans les campagnes menant à la dixième élection présidentielle.

En plus de ses études, Sohrab – de même que sa mère, ses frères aînés et ses amis – ont pris part aux rassemblements et autres activités en appui au candidat réformiste Mir Hossein Mousavi, dont la campagne propulsée par la jeunesse était devenue assez populaire dans tout le pays.

Après les élections, à la grande déception de Sohrab et de nombreux autres électeurs proréformistes, le président sortant – Mahmoud Ahmadinejad – a été déclaré vainqueur avec une grande avance.

En peu de temps, le camp réformiste s'est enflammé et leurs candidats – Mousavi et Mehdi Karroubi – ont crié à la fraude. Les gens sont descendus dans la rue, Sohrab également.

Le 15 juin, trois jours après l'élection, le jeune étudiant s'est joint à des centaines de milliers – sinon à des millions – de personnes autour de la place Azadi pour une manifestation pacifique, mais il n'en est jamais revenu.

Ce jour-là, des coups de feu ont été tirés sur la foule et, selon la version officielle, sept personnes ont été tuées.

La mère de Sohrab, Parvin Fahimi – dont le mari est décédé du cancer en 2007 – s'est mise à chercher son fils partout. Elle est allée voir aux postes de police, aux prisons, aux tribunaux, et on lui a finalement dit que Sohrab était détenu dans la tristement célèbre prison d'Evin.

Inquiète que son fils allait manquer le Konkoor, Parvin Fahimi s'est rendue presque quotidiennement à la prison d'Evin et interrogeait les gens qui en sortaient pour savoir s'ils avaient vu son fils.

Finalement, le 11 juillet, après 26 jours de recherche, on lui a dit que Sohrab était mort.

«Nous ne savons toujours pas exactement comment il est décédé», affirme la tante de Sohrab, Farah Mohamadi, qui habite en Allemagne.

  • Le u00abguide suprême» iranien, l'ayatollah Khamenei(Stringer: Majid / 2008 Getty Images)

«Elles [les autorités] ont dit qu'il s'est fait tirer le 15 juin et qu'il a été amené au bureau du coroner le 19 juin. Nous nous demandons toujours où il était entre ces deux dates.»

Comme Neda Aghasoltan, dont la mort par un coup de feu durant les manifestations du 20 juin a été vue partout dans le monde, Sohrab est maintenant devenu un martyr, victime de la répression postélectorale.

«Je crois que leur innocence au moment de la mort les a transformés en légendes», croit Mme Mohamadi, qui décrit Sohrab comme un jeune homme très calme et avenant.

Selon les chiffres avancés par le gouvernement, environ 30 personnes seraient mortes dans les manifestations, mais les organisations de défense des droits de l'homme affirment que le nombre de victimes est beaucoup plus élevé.

Maintenant, avec les allégations de torture, viols et confessions forcées, les ONG sont de plus en plus inquiètes au sujet du bien-être des journalistes détenus, des militants réformistes et des manifestants incarcérés en grand nombre suite aux manifestations.

Le réformiste Mehdi Karroubi a envoyé une lettre à l'ayatollah Ali Akbar Hashemi Rafsanjani, président de l'Assemblée des experts, affirmant avoir des preuves que plusieurs prisonniers, hommes et femmes, ont été abusés sexuellement par leurs interrogateurs.

Même certaines des personnalités conservatrices au sein du régime iranien ont soulevé la question des rapports de torture et de décès de manifestants détenus, incluant le législateur Hamid Reza Katouzian et l'ex-dirigeant des Gardiens de la révolution et candidat à la présidentielle Mohsen Rezaei, signalant des tensions aux plus hauts niveaux de l'ordre établi.

Les groupes d'opposition dénoncent également la diffusion des confessions à la cour de personnalités réformistes comme Mohammad Abtahi, affirmant qu'elles ont été forcées dans un effort de réprimer le mouvement.

Le mouvement réformiste

Le mouvement réformiste en Iran, qu'on associe maintenant à la couleur verte adoptée par le clan Mousavi, a attiré l'attention de la communauté internationale avant les élections du 12 juin et davantage par la suite avec l'effervescence populaire.

Kazem Kardavani, un éminent sociologue et écrivain iranien et ancien membre exécutif du Writer's Association of Iran, croit que la vague de sympathie vient du fait que les gens à l'extérieur de l'Iran ont soudainement vu un grand mouvement revendiquant des droits et libertés dans un pays projetant normalement une image rigide du fondamentalisme.

«Ce que les gens en Occident et dans le monde voyaient de l'Iran était l'Iran et les Iraniens dans Ahmadinejad et la négation de l'Holocauste et autres choses du genre. Soudainement, un grand mouvement civil cultivé est apparu en Iran», explique M. Kardavani.

  • Les Gardiens de la révolution iraniens(Staff: BEHROUZ MEHRI / 2007 AFP)

Ce genre de mouvement s'est vu une fois auparavant lors de l'élection présidentielle en 1997, bien que d'ampleur inférieure, lorsque le religieux réformiste Mohammad Khatami a été élu.

«Malgré tous les efforts des conservateurs à cette époque, tout comme ce qui arrive à M. Mousavi aujourd'hui, la majorité des gens ont voté pour M. Khatami. C'est ainsi que s'est créé le mouvement réformiste à l'intérieur du régime.»

Mojtaba Mahdavi, professeur adjoint des sciences politiques à l'Université d'Alberta et spécialiste de l'Iran, mentionne que le mouvement réformiste doit être abordé à deux niveaux. Le premier est celui de l'État, ce qui implique essentiellement les luttes de pouvoir au sein de l'establishment, et le deuxième est social, avec une population qui possède une longue histoire de quête de démocratie et de liberté.

«Le mouvement réformiste est loin en avant des politiciens réformistes en ce qui a trait à ses demandes», explique-t-il, mais la jeune génération «n'aime pas la violence, ne veut pas faire la révolution et pèse le pour et le contre.»

Si le mouvement réformiste croit que Mousavi va amener des changements positifs et permettre de se débarrasser d'Ahmadinejad et de ses politiques, alors il va participer aux élections. Cela ne veut tout de même pas dire qu'il soutient entièrement le programme de Mousavi, fait remarquer Mojtaba Mahdavi.

«Bien qu’on sache qu'il y a un grand nombre de personnes qui sont simplement en désaccord avec tout l'ordre établi de la République islamique d'Iran et ne croient pas au concept de Velayat-e Faghih (jurisprudence religieuse), et qui se souviennent encore de ce qui s'est passé durant la première décennie de la République islamique – le massacre de gens, la torture – mais je parle de la jeune génération, qui est née après la révolution et dont certains ne se souviennent pas de l'ayatollah Khomeini, ils veulent juste avoir leurs libertés sociales.»

Au niveau étatique, le mouvement réformiste s'est formé au fil de quelques années.

  • Sohrab Arabi(攝影: / 大紀元)

{mospagebreak} Durant les premières années de l'Iran postrévolutionnaire, la politique était plus ou moins un one man show, grâce au charisme et aux qualifications religieuses de Khomeini, affirme Mojtaba Mahdavi. Mais même à cette époque, les débuts des deux factions au sein du régime avaient vu le jour : la gauchisante Majmae Rohaniune Mobarez (Association des clercs combattants), qui a cru graduellement à une interprétation plus ouverte de la charia et des enseignements islamiques, et la conservatrice Jameh Rohaniate Mobarez (Société du clergé combattant), reconnue pour son interprétation rigide de l'islam et du Velayat-e Faghih.

Dans le camp gauchiste, il y avait des gens qui sont par la suite devenus des personnalités éminentes du mouvement proréformiste d'aujourd'hui, comme Mohammad Khatami et Mehdi Karroubi; dans le camp conservateur, il y avait Hashemi Rafsanjani – un des personnages les plus influents de la République islamique – et plusieurs ayatollahs conservateurs et traditionnels comme les membres du Conseil des gardiens.

Après la mort de l'ayatollah Khomeini en 1989, les choses ont changé.

«Vous aviez le nouveau dirigeant, l'ayatollah Khamenei, qui manquait clairement le charisme révolutionnaire et la crédibilité religieuse de l'ayatollah Khomeini. Grâce à cela, il y avait plus d'espace pour différentes factions politiques, car les gens peuvent remettre l'ordre établi en question, mais toujours au sein même de cet ordre», indique Mojtaba Mahdavi.

Durant les huit premières années sous l'ayatollah Khamenei, pendant lesquelles Rafsanjani occupait la présidence, la faction conservatrice dominait plus ou moins l'arène politique.

Cependant, lors des dernières années de Rafsanjani, un schisme est survenu au sein de la Rouhaniate Mobarez conservatrice et une nouvelle faction a émergé, appelée Kargozarane Sazandegi (Les cadres de la construction).

«Ces gens étaient des technocrates qui croyaient en la construction de la République islamique et ils étaient plus ou moins centristes, modérés et de droite et avaient comme père politique Rafsanjani», poursuit M. Mahdavi.

«Ils ont contribué à une plus grande ouverture sociopolitique qui est survenue après la période Rafsanjani.» Après la fin des deux mandats de Rafsanjani suite à l'élection présidentielle de 1997, une coalition de Kargozarane Sazandegi et Rouhaniune Mobarez – qui se qualifiaient maintenant de réformistes – avec d'autres petits partis réformistes ont vu leur triomphe dans l'élection de Khatami et dans l'exclusion de la société conservatrice Rouhaniate Mobarez.

Toutefois, pour un certain nombre de raisons différentes, Khatami n'a pas pu amener le changement espéré. «La nature de l'État a contribué à son échec, car dans la République islamique d'Iran la part du lion du pouvoir va au côté non élu : le Vali-e Faghih [dirigeant suprême], le Conseil des gardiens et autres. Le côté élu a pratiquement un pouvoir minimum», ajoute M. Mahdavi.

Lorsque les deux mandats consécutifs de Khatami se sont terminés, plusieurs proréformistes ont boycotté la présidentielle de 2005 et l'ex-maire de Téhéran, Mahmoud Ahmadinejad, a été élu. Le professeur Mahdavi affirme qu'Ahmadinejad est le représentant du nouveau conservatisme en Iran, une faction qui a débuté son ascension un ou deux ans avant l'élection de 2005.

«Ces néoconservateurs sont représentés par des gens comme M. Ahmadinejad, des gens des Gardiens de la révolution, et maintenant nous devrions dire qu'avec les récents évènements, l'ayatollah Khamenei s'est clairement associé à cette faction», spécifie-t-il.

Malgré toute la rhétorique de gauche et les câlins avec le président vénézuélien, Hugo Chavez, les néoconservateurs sont un mouvement de droite. Ce qui les distingue de l'organisation conservatrice Rouhaniate Mobarez est qu'ils sont associés de près aux Gardiens de la révolution et ont ainsi des origines militaires.

Après les évènements postélectoraux, il y a maintenant deux camps bien définis : d'un côté, les néoconservateurs et, de l'autre côté, une très grande coalition souple de réformistes qui inclut Rafsanjani, Khatami, Mousavi, Karroubi, des partis politiques réformistes et même des conservateurs traditionnels modérés pragmatiques comme Nategh-Nouri, explique M. Mahdavi.

La «mafia»

Le sociologue Kazem Kardavani affirme que le véritable pouvoir en Iran est dans les mains d'une mafia militaro-économique qui a pris le contrôle de toutes les questions économiques en Iran.

  • Manifestation en Iran(攝影: / 大紀元)

«Ahmadinejad lui-même n'est pas important, Ahmadinejad est le représentant d'une large section de la mafia», mentionne-t-il, ajoutant qu'une grande partie de cette mafia se trouve chez les Gardiens de la révolution haut placés.

Les Gardiens de la révolution ont été établis peu après la révolution islamique de 1979 en tant que force dévouée à l'ordre clérical devant fonctionner en parallèle à l'armée régulière. Les Gardiens de la révolution sont devenus de plus en plus puissants ces dernières années et possèdent un immense réseau de pouvoir économique et politique en Iran.

M. Kardavani affirme qu'ils sont ceux qui, même durant la présidence de Khatami, étaient en charge de toutes les constructions majeures de routes et de barrages, possédaient les banques et opéraient le service des douanes, contrôlant ainsi la grande majorité des produits importés au pays. Aujourd'hui, sous la présidence d'Ahmadinejad, ils sont devenus encore plus puissants.

Quant à la raison pour laquelle l'ayatollah Khamenei a décidé de se ranger de leur côté, il y a deux opinions, fait remarquer Kardavani. Certains disent que Khamenei est l'homme derrière tout cela, tandis que d'autres affirment qu'en fait, il est sous leur contrôle.

«Une page de l'histoire de l'Iran a été écrite»

Kardavani mentionne que même si la structure politique en Iran n'a pas été totalitaire dans le vrai sens du terme comme dans le cas de l'Union soviétique ou de la Chine communiste, il semble que le régime iranien ait pris le chemin vers un système totalitaire.

Toutefois, dit-il, l'histoire de la formation des mouvements sociaux iraniens et de la révolution est telle qu'une force unique ne pourra jamais gouverner pour toujours.

«La réalité est que peu importe ce qu'ils font à ce mouvement [réformiste], une page de l'histoire de l'Iran a été écrite. Il n'y a aucun doute là-dessus», croit-il.

«Je crois que le mouvement iranien va jouer son rôle, et la légitimité de M. Khamenei a été complètement ruinée. Ce régime n'est pas un régime qui peut continuer ainsi. C'est seulement une question de temps.»