Xinjiang : ce qui a mis le feu aux poudres

Écrit par Candice Lebon
07.08.2009

  • Si Rabiya Kadeer est récemment devenue une figure de proue médiatique, c’est grâce à la propagande de Pékin. La Chine a, en effet, attiré l’attention des médias internationaux sur elle en s’ingéniant à la dénoncer comme l’instigatrice des événements d’Urumqi et comme une sorte d’agent de l’étranger. (AFP)(攝影: / 大紀元)

Les heurts, particulièrement violents, documentés ces dernières semaines au Xinjiang sont le reflet d’un malaise latent dans cette région autonome du nord-ouest chinois.

C'est à la suite d'une vidéo diffusée en Chine que les violences ont éclaté au Xinjiang.

La vidéo enregistrée dans une usine de jouets de la région de Canton, au sud de la Chine, montrait le lynchage d'ouvriers ouïgours par une foule de Hans. L'enregistrement de cette agression, à caractère raciste, a été diffusé via Internet, y compris au Xinjiang où il a choqué les internautes ouïgours. Le gouvernement chinois y est largement resté indifférent. La violence des images diffusées, couplée à cette absence de réaction des autorités, a eu pour effet de provoquer l’indignation au sein de la population ouïgoure. Certains Ouïgours ont, semble-t-il, décidé de manifester devant le siège des autorités provinciales à Urumqi pour protester contre les violences dont avaient été victimes ces ouvriers et contre l’inaction gouvernementale face à ces évènements. Les violences ont éclaté dans le sillage de cette manifestation, sans que l’on puisse en l’état de l’information, reconstituer exactement la séquence des évènements. Le résultat a cependant été une extraordinaire explosion de violence qui a pris un caractère interethnique. Si le déclencheur de cet événement a donc été la circulation de cette vidéo, il existe cependant au Xinjiang un malaise plus profond qui en forme l’arrière-plan. De nombreux Ouïgours sont mécontents de la gestion de la région par la Chine et de la politique de Pékin à leur égard. Ils critiquent la mainmise han sur les leviers politiques et économiques de la région «autonome». L’afflux de Hans au Xinjiang, l’accroissement des disparités économiques entre Hans et Ouïgours, les restrictions imposées par le pouvoir chinois en matière religieuse, les attaques du pouvoir contre leur culture (réduction de l’utilisation de la langue ouïgoure dans l’enseignement, destruction du patrimoine dans les villes historiques du sud Xinjiang comme récemment à Kachgar), l’absence d’espace d’expression politique, etc. Pour certains Ouïgours, Pékin exploite en fait simplement les richesses de la province sans qu’ils n’en voient de retombées. De nombreux Ouïgours se sentent donc marginalisés dans leur propre région… De l'autre côté, de nombreux Hans considèrent que les Ouïgours sont en fait privilégiés (en matière d’éducation ou de planification des naissances). Ils considèrent que ce sont les Hans qui sont en fait discriminés face aux Ouïgours et que ces derniers sont ingrats face aux avantages dont ils jouissent.

Les chiffres

Depuis le début des émeutes, il est fait état de plus de 1.500 arrestations selon les chiffres officiels publiés en Chine tandis que Rabiya Kadeer, porte-parole ouïgoure en exil, annonce un chiffre avoisinant les 10.000.

Le Xinjiang, entre la Chine et l’Asie centrale

Contrairement à ce que la Chine prétend, le Xinjiang n’a pas toujours appartenu à l'Empire chinois. Entouré de massifs montagneux, éloigné et isolé de la Chine par des zones désertiques, le caractère inhospitalier de ce territoire a longtemps été une barrière naturelle rendant délicat tout projet d'invasion mais aussi, le maintien d’une quelconque autorité éloignée. Dans la longue durée historique, des dynasties chinoises ont certes réussi, à certains moments, à établir un contrôle politique sur cette zone, mais ce dernier a toujours été intermittent et avec de très longues absences. Par exemple, entre la période de présence des Tang (VII-VIIIème siècles) et celle des Qing (XVIIIème), la Chine était totalement absente de la région. Le nom même de Xinjiang qui signifie «nouvelles frontières», confirme bien le fait que ce territoire n’appartient pas, avant la conquête Qing, au domaine géographique contrôlé par le pouvoir central chinois. Indice supplémentaire que le Xinjiang a longtemps échappé au contrôle d’un pouvoir chinois, la Grande Muraille s’arrête à Jiayuguan, à la frontière orientale de la province. Le chercheur Thierry Kellner rapporte que le spécialiste «Owen Lattimore a ainsi calculé que la Chine n’y a exercé son autorité qu’environ 425 ans sur près de 2000 ans d’histoire». C’est en fait la conquête Qing de 1759 qui rattache ce territoire au domaine impérial. Les Qing, c’est-à-dire les mandchous, «pacifient» la région pendant une soixantaine d’années avant d’être confrontés à une série de révoltes. En 1864, ils en sont finalement chassés. Il faudra une reconquête militaire pour arrimer la zone à l’empire sous la forme d’une «province» désormais baptisée «Xinjiang» (1884). Après la chute de la dynastie mandchoue en 1911, des «seigneurs de la guerre» dirigeront la région. Après la Seconde Guerre Mondiale, l’armée rouge reprendra finalement pied dans la région, mais avec la bénédiction de Moscou, qui est l’acteur le plus puissant au Xinjiang depuis les années 30.

Les Ouïgours qui peuplent le Xinjiang ont longtemps été majoritaires. De religion musulmane sunnite et parlant une langue turque proche de l’Ouzbek, les Ouïgours appartiennent à l’aire culturelle turco-iranienne. Ils sont beaucoup plus proches culturellement des pays d'Asie centrale que de la Chine. S'ils ne sont plus majoritaires aujourd'hui, c'est que la population han (ethnie majoritaire en Chine) a largement peuplé ce territoire étranger (surtout le nord). En l'espace de 50 ans, la proportion de Hans est passée de 6% à 40% de la population totale du Xinjiang. Cet afflux massif de Hans au Xinjiang est le fait à la fois d'une politique de «colonisation» mise en oeuvre à certaines périodes par le pouvoir central à l'instar du Tibet mais aussi d'opportunités économiques nouvelles qui ont créé un appel d’air pour les populations flottantes hans.

Libertés et restrictions

Tandis que le climat de libéralisation et d’ouverture a permis, dans les années 80, une «revivification» islamique du Xinjiang et une redécouverte de leur identité par les Ouïgours, les années 90 ont laissé la place à une politique de plus en plus répressive. La lutte contre le «séparatisme» et les «activités religieuses illégales» s’est durcie. Les Ouïgours en ont été particulièrement victimes. A titre d’exemple, si les Ouïgours ont l’interdiction de se rendre dans une mosquée avant l’âge de 18 ans, cette disposition est moins strictement mise en œuvre pour les Huis. Ces derniers sont en fait des Hans islamisés et dispersés sur l’ensemble du territoire chinois contrairement aux Ouïgours, qui vivent regroupés au Xinjiang. Vu de Pékin, ils posent donc moins de problème de sécurité. Quant à l’aspect économique, la manne financière de cette région profite principalement aux immigrés hans. Dans une région où les Hans sont de plus en plus nombreux et, pour la plupart, ignorent le plus souvent les particularismes culturel, linguistique et religieux des populations locales, la cohabitation est devenue délicate.

Proches d'Al-Qaeda ?

Depuis 2001, la Chine a tenté d’assimiler les mouvements autonomistes ouïgours, notamment présents dans la diaspora, aux réseaux du jihad islamique international, à Ben Laden et à Al-Qaeda. C’est un lien que le régime de Pékin s’efforce de véhiculer afin de se présenter comme un allié dans la lutte contre le terrorisme et surtout pour légitimer sa politique à l’égard des Ouïgours au Xinjiang. Il faut cependant se fonder sur des faits. La trentaine de Ouïgours capturés en Afghanistan, remis aux Américains et envoyés à Guantanamo ont tous été déclarés non-combattants au terme des interrogatoires. Ils vivent à présent en exil (Albanie, Bermude, Palau). Certes, il existe un groupuscule, l’ETIM  (East Turkestan Islamic Movement), connu seulement depuis 2001-2002, dont certains membres se trouveraient aujourd’hui au Waziristân (Pakistan) et seraient proches d’Al-Qaeda. Mais c’est un groupe numériquement très faible et sans réelle capacité sur lequel s’interrogent d’ailleurs de nombreux spécialistes. L’idée d’une présence au Xinjiang de larges mouvements islamistes est simplement fausse. Cela n’empêche pas Pékin de continuer à utiliser cette argumentation et de présenter les Ouïgours comme des «séparatistes» et des «terroristes», les stigmatisant ainsi auprès de la population han. Cette politique risque de rendre délicat un apaisement au Xinjiang, à moins que les autorités ne cherchent, par-là, à détourner l’attention de la population han des problèmes économiques et sociaux auxquelles la Chine est confrontée…

Pourquoi les Ouïgours n’étaient-ils pas médiatisés avant les affrontements de juillet 2009 ?

Tout d’abord, le problème ouïgour est connu depuis longtemps des spécialistes et des organisations de Défense des Droits de l’Homme (entre autres Amnesty International et Human Right Watch). Dans les médias cependant, la communauté ouïgoure n’a pas pu bénéficier d’une figure emblématique pour la représenter comme le Dalaï-Lama pour les Tibétains. Si Rabiya Kadeer est récemment devenue une figure de proue médiatique, c’est grâce à la propagande de Pékin. La Chine a, en effet, attiré l’attention des médias internationaux sur elle en s’ingéniant à la dénoncer comme l’instigatrice des événements d’Urumqi et comme une sorte d’agent de l’étranger (puisque Rabiya Kadeer vit en exil aux Etats-Unis) - une argumentation stéréotypée qui permet de se dédouaner à moindre frais et de faire l’économie d’une interrogation sur sa propre politique. D’autre part, dans le contexte répressif du Xinjiang, les intellectuels ouïgours ont surtout écrit des romans historiques en langue ouïgoure, une langue très peu traduite, si ce n’est en russe par les Ouïgours de la diaspora vivant au Kazakhstan ou au Kirghizstan. Cette littérature n’est pas disponible en langue occidentale malgré son intérêt littéraire et historique. Ces facteurs expliquent sans doute pourquoi le problème ouïgour est resté presque inconnu du grand public jusqu’aux récentes émeutes d’Urumqi.

En collaboration avec Thierry Kellner, chercheur au Belgium China Studies Institute