BUENOS AIRES, Argentine – L’Argentine a vu pire : une inflation de 20 000 %, la dévaluation de sa devise, les putschs et les défaillances d’un emprunteur souverain. La situation actuelle semble plutôt rose si on la compare à d’autres moments de l’histoire du pays. Mais, pourtant, et peut-être en conséquence des réformes accélérées, le président Mauricio Macri fait face à beaucoup de résistance dans sa quête visant à réaliser le plein potentiel de l’Argentine.
« La croissance de l’Argentine sera des plus élevées durant les 20 prochaines années », a déclaré M. Macri lors de la conférence d’ouverture du Forum économique mondial (FEM) de l’Amérique latine le 6 avril dernier, à Buenos Aires.
M. Macri, qui a été élu en promettant des réformes en décembre 2015, s’était engagé à rendre le pays compétitif, à ouvrir ses portes aux investisseurs internationaux et à relancer le commerce. Il a respecté plusieurs de ses promesses électorales.
Il n’y a pas de solution magique à ces choses […]. Ça va prendre du temps. Ce sera douloureux.
– L’économiste The Private Advisors, Buenos Aires.
Toutefois, la situation laissée par sa prédécesseure, Cristina Kirchner, est compliquée et les Argentins n’ont pas beaucoup de patience pour les réformes politiques si elles ne livrent pas la marchandise rapidement.
« Il y a encore beaucoup d’inflation. Les salaires ne sont pas assez élevés et ils viennent tout juste de congédier quelqu’un ici alors nous devons travailler davantage sans gagner davantage », remarque Ybarra qui travaille dans une buanderie de Buenos Aires. M. Macri n’a pas encore été en mesure de régler ce mélange d’inflation élevée, de chômage élevé et de croissance lente.
« Il n’y a pas de solution magique à ces choses. Nous tentons de réformer cette économie du modèle vénézuélien au modèle normal. Ça va prendre du temps. Ce sera douloureux », affirme Gustavo Sánchez Loria, économiste chez la société de gestion d’actifs The Private Advisors à Buenos Aires.
La communauté des affaires comprend que l’économie laissée par Mme Kirchner, quoique n’étant pas en crise, était moribonde et seulement soutenue par la dette et l’impression d’argent. C’est une perspective que ne partage pas entièrement la classe ouvrière.
L’héritage de Mme Kirchner
Après son arrivée au pouvoir fin 2007, Mme Kirchner s’est efforcée d’aliéner la communauté internationale. Sa lutte contre le milliardaire américain Paul Singer en est un exemple. Il a remporté une action en justice contre l’Argentine pour son refus de rembourser une dette encourue lors de la défaillance d’emprunt en 2001. En conséquence, le pays a été écarté des marchés obligataires internationaux pendant des années. Elle a accusé le fonds spéculatif de Paul Singer d’être un « fonds de vautour ».
Elle a introduit un contrôle des changes, confisqué des milliards dans les fonds de retraite privés et a joué un rôle de premier plan dans la nationalisation de YPF, une société énergétique argentine qui était détenue majoritairement par l’entreprise espagnole Repsol avant d’être expropriée par l’État. Elle a également imposé des impôts élevés sur l’exportation de produits agricoles, ce qui a affecté négativement le pays qui est un exportateur traditionnel de viande et de produits dans ces marchés.
« L’économie était très fermée en Argentine. Il y avait des contrôles des capitaux, il était impossible d’acheter des dollars [américains] et il fallait une permission pour exporter. Ils ne voulaient pas dévaluer le taux de change, alors ils ont empêché les marchés de fonctionner », affirme M. Spotorno.
Ces politiques ont causé une augmentation de l’inflation (plus de 30 % au moment où elle a quitté la présidence, quoique ce chiffre soit probablement conservateur), une faible croissance du PIB et des déficits budgétaires élevés, atteignant 5 % à la fin de son mandat.
À la fin, les gens en avaient marre de ses politiques socialistes et nationalistes et ont voté pour les réformes promises par M. Macri, même s’il n’est pas clair quel aurait été le résultat des élections si elle avait eu le droit de briguer un troisième mandat.
Les réformes de Mauricio Macri
Beaucoup de choses ont changé depuis que M. Macri a pris les commandes il y a 16 mois. Il a aboli les contrôles de change et les impôts sur l’import-export dans la majorité des cas, il a cherché et conclu un accord avec les fonds spéculatifs et a réussi à vendre 16,5 milliards de dollars US en dette que le pays utilise maintenant pour de nouveaux investissements plutôt que pour les projets d’aide sociale gouvernementale.
« C’est un changement culturel [des années après] avoir été menés sur le mauvais chemin et par des valeurs qui ne représentent pas l’essence du peuple argentin. […] L’Argentine a été isolée pendant 30 ans. Tout cela n’a fait qu’amener plus de pauvreté », a affirmé M. Macri dans son discours au FEM.
Même si Mauricio Macri ne se débarrassera probablement jamais de sa réputation de riche gamin qui a principalement travaillé pour le Socma Group appartenant à son père industriel, il a géré avec succès l’équipe de soccer Boca Juniors de Buenos Aires de 1995 à 2007, période durant laquelle l’équipe a remporté sept titres nationaux et 11 trophées internationaux. Ce n’est pas sans conséquence, alors que le soccer argentin est aussi, sinon plus, corrompu et politisé que le pays lui-même. Avant de devenir président, il a été maire de Buenos Aires de 2007 à 2015.
La tenue d’un événement international comme le FEM est le dernier geste d’une série visant à réintégrer l’Argentine sur la scène internationale. La présidence du G20 en 2018 en sera la récompense.
« [Macri] a remis l’Argentine sur la carte géoéconomique et géopolitique », a mentionné Klaus Schwab, fondateur et président exécutif du FEM, lors de la conférence à Buenos Aires.
« Ils sont sur le bon chemin, mais ce sera difficile », estime Sanchez-Loria. Ce sera difficile parce que les entreprises et les gens se sont habitués à l’intervention et à la protection de la compétition et ils ne veulent pas perdre ces avantages.
Par exemple, beaucoup d’entreprises protégées contre les importations subissent maintenant des pressions et certaines font faillite.
En conséquence, le pays a connu une petite récession en 2016 et le chômage est demeuré élevé, entre 8 et 9 %. La croissance a seulement commencé à remonter à la fin de 2016, s’élevant à 0,5 % annualisée durant le quatrième trimestre.
Une autre question est le retrait des subventions pour les services comme le gaz et l’électricité. Les gens n’avaient qu’à payer un dixième du prix des marchés internationaux durant les 14 années de l’ère Kirchner.
Le gel des prix devait être une mesure temporaire après la défaillance en 2001 pour encourager la consommation, mais le président Nestor Kirchner (l’époux et prédécesseur de Cristina) l’a maintenu et Cristina Kirchner également.
« Ils ont décidé d’en faire un geste politique, pour acheter des votes. Ensuite, les coûts d’ajustement étaient tellement élevés qu’ils ont décidé de ne pas l’enlever. C’est un problème pour le nouveau gouvernement », remarque M. Spotorno.
En raison des prix artificiellement bas et de la nationalisation de YPF, le secteur privé a cessé d’investir dans les services, bien que l’Argentine soit un pays riche en ressources naturelles, dont la troisième plus grande réserve de gaz naturel au monde.
Difficultés à court terme
Maintenant que le gouvernement Macri retire les subventions, les prix explosent et les consommateurs le ressentent. En raison des années de sous-investissement, il n’y a pas de nouvelles sources d’approvisionnement en énergie.
« Pendant plus d’une décennie, l’investissement dans ces secteurs était minime. L’électricité a commencé à manquer. Et nous devons importer le gaz naturel de la Bolivie. Nous avions auparavant un surplus dans le commerce du gaz naturel ; maintenant, nous avons un déficit parce que personne n’a investi », explique Fausto Spotorno, un économiste conseiller chez Orlando J. Ferreres & Asociados à Buenos Aires.
Toutefois, M. Macri, le premier président non socialiste ou non militaire depuis 1916, a des partisans même parmi la classe ouvrière ; beaucoup d’entre eux se sont mobilisés pour participer à une manifestation en faveur de ses réformes le 1er avril dernier.
« Les gens ont perdu leur éthique de travail. Ils se sont habitués à l’aide sociale et à l’État providence », affirme Graciela, qui travaille comme nourrice ainsi que dans l’industrie du tourisme, au sujet des années Kirchner.
Graciela dit que la réduction des subventions gouvernementales ne l’affecte pas. « Si je vois le prix du gaz monter, j’essaie de réduire ma consommation. Si je vois l’électricité monter, je vais m’adapter. Je connais une dame qui laissait la lumière allumée toute la nuit parce que c’était subventionné. Maintenant, elle doit payer elle-même. »
Tandis que la communauté des affaires estime que le président est sur la bonne voie, elle croit que le gouvernement aurait dû mieux communiquer les conséquences de ses politiques.
« Ils ne communiquent pas bien avec la population. Ils auraient dû lui dire que des sacrifices seront nécessaires pour devenir un pays normal après une période de dix ans où tout était réglé avec l’impression d’argent et l’aide sociale gouvernementale », affirme Sánchez Loria. « Les gens voient les entreprises faire faillite, mais ça fait partie du processus, ça fait partie des difficultés que le pays doit traverser pour devenir plus normal. »
Après avoir d’abord promis la croissance économique en 2016, Mauricio Macri a adopté une approche plus réaliste au FEM : « Il n’y a pas de magie ; aucun pays n’a été en mesure d’accomplir cela en 15 mois. Chaque pays a pris des décennies [pour compléter des réformes]. »
Graciela, au moins, est d’accord : « Ça ne va pas être mieux du jour au lendemain. Ça va prendre des années. Peut-être que ce gouvernement n’y arrivera pas. »
Les opposants à M. Macri, bien entendu, aimeraient beaucoup qu’il ne réussisse pas, et les syndicats ont organisé une grève nationale alors que le président prononçait son discours devant le FEM.
« Tous les gouvernements non socialistes sont mis au défi par les syndicats. Ils font des grèves et ça génère de l’insécurité », indique Sánchez Loria.
« Toutes les grèves contre M. Macri sont achetées », estime Graciela. Elle dit avoir vu des gens se faire emmener aux manifestations dans des autobus venant de partout, ainsi que des publicités annonçant que les gens recevraient un « sandwich et une boisson gazeuse » s’ils allaient manifester.
Le danger de l’inflation
Un des problèmes les plus pressants à régler pour le gouvernement est l’inflation galopante. Cette dernière est plus basse que durant l’ère Kirchner, mais elle est encore trop élevée pour la conduite normale des affaires. Selon le rapport 2017 du FEM sur la compétitivité mondiale, l’inflation est de loin le plus grand obstacle à la conduite des affaires en Argentine.
Les chiffres officiels affichent environ 20 % annuellement, mais les propriétaires d’entreprises locales affirment que c’est plutôt 40 %.
« Nous voulons être fiables. La confiance est le moteur de la croissance dans toute société », a déclaré le président Macri au FEM, ajoutant qu’il sait que l’inflation élevée sape la confiance. « L’inflation est au cœur de notre programme. Nous avons fait baisser le taux d’inflation et nous devons œuvrer pour nous rendre sous la barre d’une inflation de 10 % qui va protéger les salaires des travailleurs. »
L’homme à qui on a confié cette tâche est Federico Sturzenegger, le gouverneur de la banque centrale qui a fait ses études au MIT. « L’inflation est encore très élevée. […] Nous avons déjà resserré les choses le mois dernier. C’est un processus », a-t-il déclaré au FEM. « L’inflation est une taxe, une taxe payée par les pauvres. Avec une inflation plus basse, il y a une nette amélioration dans l’égalité des revenus. »
La banque centrale argentine a augmenté son taux d’intérêt à 38 % et l’a fait redescendre à 26,25 % par la suite lorsque les statisticiens ont constaté une baisse de l’inflation. La banque centrale s’attend à atteindre 21,2 % en décembre 2017.
« [La banque] s’imagine des choses. Le vrai taux est plutôt comme 40 % », affirme Irene, gestionnaire d’un restaurant dans le quartier de Recoleta à Buenos Aires.
Payer les prix de New York pour des choses de base comme le nettoyage à sec et la nourriture, et des prix encore plus élevés pour les produits importés, il en résulte que beaucoup de choses sont hors d’atteinte pour le citoyen moyen qui gagne moins de 2000 dollars par mois.
Pour un produit qui coûte 1200 pesos, j’en prends 100. Le gouvernement en prend 450
– Francisco, gestionnaire d’un petit magasin, Buenos Aires
Taxes
Même si le gouvernement Macri n’a pas fait des taxes une priorité, les petites et grandes entreprises se plaignent des taux d’imposition élevés laissés par l’administration Kirchner.
« Vous pensez que c’est cher ? Je vais vous dire pourquoi », commente Francisco, gestionnaire d’un petit magasin qui vend des suppléments nutritionnels importés. Un contenant de deux livres de protéine de petit-lait Elite, qui coûte 26,92 $ sur Amazon aux États-Unis, coûte le prix exorbitant de 1200 pesos, soit 79,26 dollars US.
« Ce prix comprend la taxe de vente de 21 %, la taxe de 3 % sur la vente brute et une taxe de 35 % de coût après impôt. Pour un produit qui coûte 1200 pesos, j’en prends 100. Le gouvernement en prend 450 », explique-t-il.
Étant donné que le nouveau gouvernement ne finance pas le déficit budgétaire de 5 % avec les presses de la banque centrale, il ne peut pas baisser les taxes trop rapidement sans entrer dans une spirale de dettes vicieuses comme celle qui a mené à la défaillance de 2001.
« Le fardeau d’imposition est encore élevé. Quel est le plan, garder les dépenses publiques stables et la croissance économique va augmenter les revenus ? Le problème est qu’avec un fardeau d’imposition aussi lourd, il est difficile de croître aussi vite que le gouvernement le souhaite. C’est pourquoi, quant à moi, la situation fiscale en général est le risque principal », affirme M. Spotorno.
Les impôts sont considérés comme le deuxième obstacle le plus important à la conduite des affaires en Argentine, selon le rapport de compétitivité du FEM. Le pays est classé 130e sur 138 pour son environnement macroéconomique et la qualité de ses institutions.
Insuffler une nouvelle vie dans le pays
Beaucoup ont oublié que les Argentins avaient autrefois un revenu per capita semblable à l’Europe de l’Ouest et 70 % d’entre eux, celui des États-Unis. Mais ça, c’était il y a 100 ans.
Pour transformer l’Argentine en économie de haute croissance, le gouvernement Macri doit poursuivre sur la voie des réformes, peu importe les élections de mi-mandat cette année.
« Nous devons jumeler l’immense talent humain du pays avec nos immenses ressources », affirme le président Macri. Pour ce faire, son gouvernement planifie investir massivement dans l’éducation et dans l’infrastructure, de même que dans la connectivité virtuelle.
Les baisses d’impôts et la déréglementation du marché du travail seront nécessaires également, selon Francisco Martinez, pdg de l’agence de placement Adecco Argentina. Il vient de déménager de l’Espagne à l’Argentine et il dit que le pays et les gens lui inspirent confiance.
« Les dirigeants doivent se concentrer sur l’innovation, l’investissement et le succès personnel plutôt que sur l’État providence. Si nous pouvons introduire les bonnes mesures, alors l’Argentine pourra être parmi les 20 meilleures économies. Le potentiel est immense. Les gens sont très éduqués, très cultivés et ont beaucoup de talent », remarque-t-il.
Graciela, la nourrice, était autrefois une sans-abri, mais elle possède maintenant une propriété dans une autre province. Elle est d’accord avec l’homme d’affaires espagnol. « Aucune planification centrale ne peut changer la mentalité de pauvreté. »
Version originale : Argentina’s Long Path to Reform
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