La controverse sur les livraisons d’armes françaises à l’Arabie Saoudite, susceptibles de servir dans la guerre meurtrière du royaume au Yémen, a rebondi mardi avec de nouvelles précisions concernant un chargement imminent, démenti par Paris.
Interpellée à l’Assemblée nationale, la secrétaire d’Etat française aux Armées a esquivé une question concernant un cargo saoudien attendu en France mercredi et soupçonné de venir s’approvisionner en matériel de guerre. Mais pour Disclose, nouveau média français d’investigation en ligne, « huit canons de type Caesar » doivent être chargés « mercredi 8 mai en fin d’après-midi » à bord du cargo Bahri Yanbu battant pavillon saoudien lors de son escale dans le port du Havre: « Destination finale: le port de Djeddah, en Arabie saoudite », insiste le site.
Disclose avait déjà révélé le 15 avril une note classée « confidentiel défense », évoquant l’utilisation d’armes « made in France » au Yémen, dont des canons Caesar, des navires, des chars Leclerc ou des avions de combat qui « pourraient » utiliser des pods français de ciblage laser pour guider leurs bombes… Le site a publié « un plan de livraison » de la société française d’armement Nexter portant sur des commandes de 24 canons Caesar en 2018 et 19 en 2019. Cependant, le fac-similé du document ne précise pas la destination des livraisons.
Le Caesar est un camion équipé d’un système d’artillerie, dont le Danemark notamment a souhaité s’équiper. Une source gouvernementale française a affirmé à l’AFP mardi que le cargo saoudien Bahri Yanbu, actuellement sur la Tamise près de Londres, pouvait bien faire escale au Havre mais qu’il « ne peut pas s’agir de canons Caesar puisqu’il n’y a aucune livraison de Caesar en cours ».
Mardi, le député communiste Jean-Paul Lecoq a interpellé le gouvernement : « Plus de 60.000 personnes ont été tuées et plus de 16 millions de Yéménites sont menacés de famine. Mais la France, au nom de sa diplomatie du porte-monnaie, continue à vendre des armes à l’Arabie saoudite en toute opacité ». « Pour preuve, au Havre est attendu le cargo Bahri Yanbu appartenant à la compagnie nationale saoudienne pour embarquer des pièces d’artillerie de fabrication française à destination du port saoudien de Jeddah », a-t-il affirmé.
« Pouvez-vous informer les représentants du peuple du chargement prévu au Havre en toute transparence? », a interrogé le député. « Le gouvernement n’a jamais nié l’existence d’armes d’origine française au Yémen », a répondu la secrétaire d’Etat aux armées, Geneviève Darrieussecq. « Nous n’avons pas de preuves que ces armes sont employées contre les populations civiles », a-t-elle martelé. La ligne officielle de Paris est que ces armes sont utilisées de manière défensive et pas sur la ligne de front.
Concernant le cargo Bahri Yanbu, la secrétaire d’Etat répond qu’« il n’est pas étonnant qu’un cargo saoudien s’y arrête » car le Havre est « un port majeur qui entre autre accueille les cargos des pays du Golfe et dessert la région du Moyen-Orient ». L’ensemble des parlementaires de gauche ont quitté l’hémicycle en signe de protestation. « Ce n’est pas n’importe quelle guerre, c’est une guerre au Yémen où les enfants meurent. Je pense que le Parlement doit impérativement avoir le droit de regarder » les exportations d’armes, a réagi le député de gauche Christian Hutin.
Le Bahri Yanbu, actuellement à quai dans le port de Tilbury, proche de Londres, a été repéré ce week-end dans le port d’Anvers où des ONG belges soupçonnent la compagnie nationale saoudienne Bahri d’avoir chargé des armes ou des munitions à destination de Ryad régulièrement depuis l’été dernier. « On a la preuve que des munitions wallonnes sont sorties par le port d’Anvers aux dates où il y avait un bateau saoudien, on suppute que c’est ce bateau qui les a transportées vers l’Arabie saoudite, les chances sont assez grandes », a déclaré à l’AFP Manuel Lambert, du département juridique de la Ligue des droits humains (LDH) belge.
« Si on apprend qu’un nouveau bateau (de Bahri) arrive, on introduit une procédure en référé pour le bloquer dans le port et éviter que des armes soient chargées », a-t-il ajouté. Le conflit au Yémen a tué des dizaines de milliers de personnes, dont de nombreux civils, selon diverses organisations humanitaires. Environ 3,3 millions de personnes sont toujours déplacées et 24,1 millions, soit plus des deux tiers de la population, ont besoin d’assistance, selon l’ONU.
D.C avec AFP
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