ENTRETIEN – L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été arrêté le 16 novembre dernier à l’aéroport d’Alger et a ensuite été placé sous mandat de dépôt. Pour l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, le régime algérien a voulu, à travers cette arrestation, envoyer un message à la fois à la France et aux intellectuels algériens.
Epoch Times : Xavier Driencourt, Boualem Sensal a été placé en détention au titre de l’article 87 bis du Code pénal algérien, qui réprime les atteintes à la sûreté de l’État. Comment analysez-vous la décision de la justice algérienne ?
Xavier Driencourt : Ce chef d’accusation est extrêmement lâche et vague en Algérie. Ainsi, il est régulièrement utilisé pour faire taire tous les opposants. Si vous mettez des posts sur les réseaux sociaux ou publiez des écrits critiquant le récit officiel algérien, vous êtes considéré comme un individu portant atteinte alternativement à la sécurité de l’État, au moral de l’armée, etc.
Concernant Boualem Sansal, en plus de ses écrits réguliers sur l’islam, l’islamisme, sa récente interview au magazine Frontières dans laquelle il a mis en cause les frontières de l’Algérie, a constitué, aux yeux du régime algérien, un motif supplémentaire d’arrestation.
L’écrivain risque la prison à perpétuité. Pour vous, ce risque est-il important ?
Le chef de l’État actuel, Abdelmadjid Tebboune, n’a fait preuve d’aucune clémence avec les deux anciens Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, dont il a été le ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville plusieurs années. Ces derniers sont en prison depuis 2019 et ont à peu près le même âge que Boualem Sensal. Je ne vois pas pourquoi, malheureusement, il se montrerait plus souple à l’égard de l’écrivain.
Cela étant, même si le risque est réel, la situation est légèrement différente : les deux anciens chefs de gouvernement en question sont des Algériens mono-nationaux. De son côté, Boualem Sansal est binational et sa notoriété dépasse celles de messieurs Ouyahia et Sellal. C’est un intellectuel connu dans le monde entier.
Dans un entretien au Point, vous avez déclaré : « Sous Bouteflika, quoi qu’on en dise, il y avait des espaces de liberté. Tout le monde vous le dira. Les journalistes, les écrivains pouvaient écrire même si, bien sûr, certains sujets ne devaient pas être abordés ». Le régime s’est donc durci vis-à-vis des intellectuels quand Abdelmadjid Tebboune est arrivé au pouvoir ?
Oui, tout à fait. Depuis la fin du Hirak (mouvement de protestation entre 2019 et 2021, ndlr) et la prise de pouvoir par l’armée, il y a eu un durcissement vis-à-vis des intellectuels et des espaces de liberté de manière plus générale.
La liberté d’expression a été largement confisquée et mise à mal par le régime algérien. À l’époque de Bouteflika, il y avait, malgré tout, des espaces de liberté. C’est la différence entre un régime autoritaire, comme l’était celui de Bouteflika, et un régime policier ou militaire comme l’est le régime actuel.
L’Algérie a-t-elle voulu envoyer un message à la France en arrêtant Boualem Sansal ? Emmanuel Macron était en visite d’État au Maroc fin octobre pour se réconcilier avec Rabat.
À l’évidence, il y a eu une volonté d’envoyer un message à la France, surtout quelques mois après les déclarations d’Emmanuel Macron sur la marocanité du Sahara occidental. Prendre en otage Boualem Sensal physiquement revient, d’une certaine manière, à prendre en otage la France.
Mais je pense que derrière cette arrestation, il y a également un message plus discret et plus subtil adressé aux intellectuels algériens. On veut leur faire comprendre que la nationalité française, finalement, ne les protège pas puisqu’ils sont considérés comme Algériens.
Le gouvernement et le monde littéraire français ont vivement réagi à son arrestation. La France dispose-t-elle de marges de manœuvres suffisantes pour exiger la libération de l’écrivain ?
Non, parce qu’en Algérie, Boualem Sansal est considéré comme Algérien. Il est donc soumis aux lois algériennes et au pouvoir algérien. La France ne peut donc pas grand-chose pour lui.
La France et l’Algérie ne peuvent pas trouver un accord ?
La seule issue serait éventuellement que le régime algérien, estimant avoir suffisamment tapé du poing sur la table, décide de libérer l’écrivain. Il est évident que s’il arrivait quelque chose à Boualem Sansal, l’image du régime serait considérablement ternie et pour longtemps.
Mais j’ai du mal à croire les autorités algériennes capables d’un tel geste de bonne volonté.
Les relations ne sont donc pas prêtes de se réchauffer entre Paris et Alger ?
Je ne pense pas. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase très dure.
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