La position d’assistante de direction résume toutes les ambivalences d’une organisation. En France, elle est presque toujours une femme, alors que le patron est encore souvent un homme. Il est au sommet, elle a un statut plus modeste, pas toujours cadre. Il est dans la lumière, elle est dans l’ombre. Mais c’est elle qui donne accès à lui. On se demande alors quel est son pouvoir exact ? Dans le doute, lui offrir une boîte de chocolats avant Noël peut être un bon investissement.
Une place discrète près du sommet
Ceux qui veulent obtenir un rendez-vous avec le patron réalisent vite qu’ils vont devoir passer par son assistante de direction. Comme celle-ci doit à la fois faciliter les choses et le protéger, elle apparaît tour à tour comme le point de passage obligé et comme le « cerbère », comme l’alliée possible et « l’œil de Moscou ». Cette position, dite de « marginal sécant » par les sociologues, peut faire des envieux. Elle est au carrefour des enjeux les plus importants, au nœud de décisions vitales. On se demande si elle n’y prend pas un peu part, ne serait-ce que par ce contrôle de l’accès au chef.
Et puis, l’imaginaire prend le relais. On voit Money Penny, l’assistante de « M », qui protège James Bond, son agent 007 préféré. On se représente l’assistante de « Miranda », dans Le diable s’habille en Prada : souffre-douleur ou éminence grise ?
Alors, le mieux, c’est d’aller rencontrer les intéressées, afin de les faire parler de leur métier et de reconstituer leurs trajectoires. C’est ce qu’ont fait Catherine Dzierwuk et Homéric de Sarthe dans Agenda et gants de velours. Immersion dans le quotidien des assistantes de direction, personnalités hors pair au service des dirigeants et de leur entreprise.
L’enquête est pionnière. Le fait que le « patron des patrons » ait préfacé le livre est un hommage rendu à cette profession, enfin mise en lumière. Les auteurs ont pu interroger 35 assistantes de direction. 34 sont des femmes. 7 seulement avaient fait des études préparant à ce métier.
La dialectique du patron et de l’assistante
On ne peut résumer ce foisonnement de confidences, d’autant plus précieuses qu’elles viennent de professionnelles discrètes. Les assistantes de direction sont indispensables mais on ne doit pas trop les voir. Elles s’appuient sur les nouvelles technologies mais, justement, leur valeur ajoutée est ailleurs, dans une diplomatie, un sens de l’organisation, une débrouillardise. Pour les recruter, on demande à une de retrouver, en un minimum de temps, trois camarades de promotion que son futur patron potentiel a perdus de vue. Alors, le diplôme, voire l’expérience, comptent moins qu’un savoir-être ?
Ce n’est pas dans le livre, mais un DRH m’avait confié que le recrutement d’une assistante de direction était le plus difficile à effectuer, vu les qualités recherchées et… le poids du destinataire, le patron ! Pour éviter de se tromper, ce DRH avait alors souvent embauché des femmes… qui avaient des parents dans la restauration et qui les aidaient dans leurs jeunesses. Ainsi, on était sûr d’avoir des personnes réactives, aimables, sachant compter et ayant le sens de la hiérarchie et du client. Il y a, bien sûr, d’autres méthodes de recrutement de ces talents rares, dont l’intérim, le bouche-à-oreille.
Portraits de perles rares
Il faudrait pouvoir retracer l’itinéraire de chacune, sans oublier Éric, le seul homme. Chantal est la plus âgée. Elle a déjà 30 ans de carrière et travaille dans une société de service française. À cinq ans de la retraite, elle maîtrise parfaitement toutes les nouvelles technologies. Elle surveille encore les offres d’emploi, pour voir si une opportunité peut encore se présenter. Audrey avait débuté dans une entreprise japonaise qui importait des voitures de luxe. Mais, elle s’y ennuyait. Elle a rejoint une entreprise familiale. Puis, elle a osé suivre sa patronne. Cette dernière quittait ce confort bien installé pour créer une autre structure, dans un autre domaine. Lucie, plus stable, est avec le même patron depuis 18 ans. Mais elle a monté différentes associations au sein de son entreprise.
Il y a celle qui se partage entre deux pays, celle qui a deux patrons, celle qui partage un patron avec une deuxième, l’Américaine qui… n’a jamais l’occasion de parler anglais ! Toutes sont pleines d’initiatives et d’humour : « Mon patron ne vous mangera pas, on le nourrit déjà trois fois par jour ».
Certaines ont un recul critique. Une affirme que les femmes PDG sont peut-être plus froides, voire plus dures que les hommes ? Il faut dire qu’elles ont dû se battre encore plus pour arriver au sommet. Une a accompagné son patron pendant qu’il affrontait un cancer. Une autre a démissionné parce que le sien, à 80 ans, ne voulait pas prendre une retraite plus que méritée.
Une main de fer dans un gant de velours
Ce qui ressort de cette enquête, c’est que ces professionnelles discrètes sont de fortes personnalités. On est loin de la « carpette » qui subirait tous les caprices du chef. Souvent, elles défendent l’entreprise, encore plus que son chef. Elles savent très bien tracer une frontière entre vie professionnelle et vie privée.
La plupart d’entre elles ont des considérations éthiques fortes. Elles indiquent que, dans des cas limites, elles ne laisseraient rien passer. À les entendre, on a l’impression qu’elles peuvent retrouver facilement un autre patron ou une autre patronne, alors que ces derniers auraient du mal à les remplacer.
Jean-Michel Morin, Maître de conférences en sociologie, Université Paris Descartes – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.