« Marqués à vie » par l’explosion d’une bombe près de la synagogue de la rue Copernic à Paris, des témoins et victimes de cet attentat antisémite espèrent avoir, avec le procès d’un unique accusé qui s’ouvre lundi, « le fin mot de l’histoire », 43 ans après.
Ce vendredi 3 octobre 1980, soir de shabbat, 320 fidèles sont rassemblés au 24 rue Copernic (XVIe arrondissement de Paris), siège de l’Union libérale israélite de France. Il est 18h35, le rabbin Michael Williams est en plein milieu de l’office quand la verrière au-dessus de sa tête s’écroule. « J’ai pensé qu’il pleuvait dans la synagogue », se remémore le Britannique. « Et puis un instant plus tard, j’ai vu que ce n’était pas la pluie, mais une bombe ». Dix kilos de pentrite posés sur une moto garée à l’extérieur viennent d’exploser.
C’est « une déflagration immense, je l’ai encore dans ma mémoire auditive », raconte Corinne Adler, sage-femme de 56 ans. Alors âgée de 13 ans, elle célèbre sa bat-mitzvah comme quatre autres adolescents. Ses grands-parents, rescapés de la Shoah, sont venus d’Israël. « Notre première réaction a été de continuer l’office », explique le rabbin Williams, aujourd’hui à la retraite. Mais dans l’assistance, c’est la « panique », tout le monde veut sortir, complète Corinne Adler. La rue est « une vision de guerre, d’apocalypse » : des flammes, des voitures en feu, d’autres retournées, des corps sans vie, ensanglantés ou sous les décombres, se souviennent des témoins rencontrés par l’AFP.
« C’est l’horreur » d’un carnage
Le carnage fait quatre morts – un étudiant qui passait à moto, le chauffeur d’une fidèle de la synagogue, une journaliste israélienne de passage à Paris, un gardien d’immeuble voisin – et une quarantaine de blessés. « C’est l’horreur, cela marque à vie », atteste Gérald Barbier, 28 ans à l’époque. Ce soir-là, il est avec son frère cadet et ses parents dans le magasin d’électro-ménager de ces derniers, avec quatre clients. La moto chargée d’explosifs était garée devant la vitrine, le commerce est pulvérisé.
Gérald Barbier garde en mémoire « la sensation d’électrocution, le corps qui tremble », et « le silence total » qui a suivi l’explosion. Il s’en sort avec quelques « coupures superficielles ». Sa mère, dos à la vitrine et « criblée de morceaux de verre », restera huit jours entre la vie et la mort. Des riverains au-dessus ont leur porte blindée soufflée. Un couple et leurs enfants se retrouvent propulsés du premier étage sur la voie publique.
Pas de procédure d’indemnisation des victimes d’attentats
Au lendemain de ce premier attentat visant la communauté juive depuis la Libération, des milliers de personnes se rassemblent spontanément devant la synagogue. « Une grande foule et une grande récupération politique », grince Michael Williams. Dans le cortège de manifestants gagnant les Champs-Élysées, les déclarations la veille du Premier ministre alimentent la colère. Raymond Barre avait dit son « indignation » face à « cet attentat odieux qui voulait frapper des israélites qui se rendaient à la synagogue, et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic ». Alors que la police creuse sans succès la piste de l’extrême droite, Corinne Adler et Gérald Barbier reprennent le cours de leur vie, sans aucun suivi psychologique à l’époque, sur les bancs du collège pour la première et dans le magasin d’électro-ménager sous des « monceaux de détritus » pour le second.
Gérald Barbier, qui a repris le commerce de ses parents rue Copernic, devenu un magasin de luminaires, a bataillé des années avec son association pour obtenir un dédommagement et tenter de combler un « vide juridique ». L’État acceptera de les indemniser mais comme « des victimes de manifestations », aucune procédure n’existant pour celles d’attentats. Le fonds d’indemnisation des victimes de terrorisme verra le jour en 1986.
« Un devoir vis-à-vis des blessés, des morts »
Pendant trente ans, Corinne Adler ne parlera quasiment jamais de l’attentat. En 2010, elle découvre qu’il y a une enquête, qu’un suspect (Hassan Diab, un universitaire libano-canadien) a été identifié, et commence à « accepter de faire partie des victimes ». Elle a été visée par cette bombe « posée dans l’idée de tuer le maximum de Juifs » mais qui a explosé « une demi-heure trop tôt », avant la sortie des fidèles. Partie civile au procès, elle en attend « une résolution de ces pointillés qui restent en suspens » depuis près de 43 ans. Malgré « une petite appréhension », Corinne Adler « trouve important » d’y participer, « de montrer que ce n’est pas un événement anodin, ni oublié ».
Ce procès est « un devoir vis-à-vis des blessés, des morts. Ce n’est pas se venger de vouloir mettre au clair cet événement », assure Michael Williams, qui sera entendu comme témoin. « Allons jusqu’au bout et si la justice s’est trompée, qu’on le sache », avance Gérald Barbier, qui « espère avoir le fin mot de l’histoire ».
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