Ils viennent par dizaines, recueillis et souvent en larmes. A trois jours de sa rétrocession à l’Azerbaïdjan prévue par le cessez-le-feu au Nagorny Karabakh, le monastère arménien de Dadivank reçoit ses derniers pélerins.
Les armes se sont tues en début de semaine autour de l’enclave arménienne sécessionniste, après plus d’un mois d’affrontements et une humiliante défaite face aux troupes azerbaïdjanaises, qui, au terme d’un accord parrainé par la Russie, reprendront possession du gros des territoires perdus lors d’une guerre dans les années 1990.
Avec ses hautes montagnes, ses gorges à pic et ses pentes boisées et abruptes, le district de Kalbajar doit repasser sous le contrôle de Bakou dimanche. Y compris ce lieu cher aux Arméniens: le monastère de Dadivank.
Le monastère de Dadivank situé au #HautKarabakh ?? est désormais menacé.
Malgré le danger, le père Hovhannes refuse de quitter ce lieux historique pour le préserver !Le courage d’un homme face à la lâcheté et l’inaction des grandes puissances internationales … pic.twitter.com/GR1Ggu1yjH
— Tancrède ن (@Tancrede_Crptrs) November 15, 2020
Supposément fondé aux premières heures de la chrétienté par saint Dadi, Dadivank a été édifié aux XII-XIIIe siècle.
Après des siècles d’une histoire agitée, il reste aujourd’hui un magnifique ensemble monastique de pierres grises -dont une église-cathédrale-, fierté de l’Eglise apostolique arménienne, accrochée à la montagne.
« C’est très dur, très douloureux. Nous sommes venir dire au revoir… », lâche dans un sanglot une brune quadragénaire, dissimulant ses larmes derrière ses lunettes de soleil.
???#Arménie – Le Père Ter Hovhannes n’abandonnera pas le monastère de #Dadivank aux Azerbaïdjanais. Il restera pour y préserver l’héritage pluricentenaire et ses terres chrétiennes.
?Prions pour ce berger courageux. pic.twitter.com/RYTHUJkTUm— SOS Chrétiens d’Orient (@SOSCdOrient) November 14, 2020
Des grappes de visiteurs, beaucoup venus de Erevan, marchent avec recueillement sur le parvis. Désemparés ou résignés, ils déambulent d’une basilique à la chapelle, sous le narthex de l’évêque Grégoire. Sur la tombe de Dadi, quelques roses finissent de faner.
On s’échange des poignées de cierges achetés dans la petite boutique de souvenirs religieux, déjà en train de plier bagage tout en faisant ses dernières affaires.
Sur la route secondaire montant vers le monastère, c’est presque l’embouteillage. Si ce n’était l’évidente tristesse générale et les trop nombreux militaires parmi les visiteurs, la scène ressemblerait à un flot de touristes en vacances.
Armenians say goodbye to their centuries-old churches that will be left to Azerbaijan in #Dadivank Question: Why do these people not want to live under Azerbaijani rule? You can take the land by force, but you cannot take the hearts of the people by force That’s the whole point. pic.twitter.com/4CGtoxXgba
— ismet Tastan (@Serhatararat2) November 15, 2020
« Je ne peux pas croire que c’est la dernière fois que je viens ici », confie Miasnik Simonian, 28 ans, venu de Vardenis (nord de l’Arménie) avec trois amis.
« Cette terre est celle de nos grands-parents. Ces pierres sont vieilles de 800 ans », dit-il, pointant deux majestueux khachkars, traditionnelles croix arméniennes scupltées dans la pierre comme de la dentelle.
Inna Tumanian, tout juste diplômée de l’université d’Erevan, voulait se faire baptiser ici depuis des mois. « C’était très important pour moi. Mais il y a eu le corona, puis la guerre… Quand j’ai appris que nous allions devoir abandonner Dadivank, j’ai appelé le prêtre, qui m’a dit de venir ».
Les azeris veulent effacer toute trace de l’antériorité de la présence arménienne chrétienne à #Shushi pour en justifier la « propriété ». Comme il y a 1 siècle, en 1920, quand ils y massacrèrent 20 000 Arméniens… En #Artsack #HautKarabakh, l’Histoire, tragique, se répète. https://t.co/Pm6hvQ9qZ8
— J-Christophe Buisson (@jchribuisson) November 13, 2020
Elles sont douze ce jour-là, des jeunes femmes, à prendre place dans l’église Sourp Astvatsatsin (Sainte Mère de Dieu) pour un baptême improvisé dans cette petite cathédrale, d’une dizaine de travées, dont le dépouillement invite au silence et au recueillement.
Sous le regard de deux fresques murales du XIIIe siècle laissant deviner une scène de lapidation d’un martyr et le couronnement d’un saint, le Père Hovhannes laisse percer son amertume contre l’Azerbaïdjan, pays turchophone laïc à majorité chiite, « qui n’a pas les mêmes valeurs que nous ».
??Corentin Clerc, chef de mission en #Arménie, et les volontaires de #SOSChrétiensdOrient se sont rendus en urgence au monastère de #Dadivank qui devrait être abandonné aux Azerbaïdjanais demain.
?Les Arméniens ont besoin de vos prières. Ne les oubliez pas ! pic.twitter.com/5yzSH7lOlE— SOS Chrétiens d’Orient (@SOSCdOrient) November 14, 2020
Quand la région était contrôlée par le régime soviétique athée en place en Azerbaïdjan comme en Arménie, les lieux avaient été abandonnés au bétail.
Mercredi, le gouvernement arménien s’est dit « extrêmement préoccupé » sur le sort de ce patrimoine unique, malgré les assurances de Bakou qui promet de préserver tous les lieux historiques et spirituels.
« Les gens ont perdu des proches, leurs maisons. Ils ne veulent pas perdre Davidank. (…). Nous devons prier pour la sauvegarde de notre monastère », poursuit le religieux à la barbe grise, crucifix d’argent sur la poitrine de sa soutane noire.
Bells of Dadivank monastery have been hung back according to this video. They were removed earlier to take them out of the monastery so that Azerbaijani vandals would not destroy them. But apparently the handing of the territory to Az was postponed by 10 days. https://t.co/H5BOjJyFU8 pic.twitter.com/IEcjEfRq2n
— 301?? (@301_AD) November 15, 2020
« Surtout n’emportez rien avec vous, ne volez rien dans la maison de Dieu », prévient-il, à l’attention de ceux ou celles qui seraient tentés d’emporter une ultime relique.
Le père Hovhannes explique n’avoir reçu aucune instruction de Erevan quant à la préservation des lieux et des artefacts.
« Ce monastère nous appartient, je ne peux pas partir d’ici », plaide-t-il. Quant à ramener en Arménie certains des plus précieux khachkars qui ornent l’endroit. « Qui suis-je pour enlever des pierres qui sont ici depuis plus de 800 ans ? Je ne peux pas… »
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