« Nous refusons d’être enfermés dans une cage »: sous une grande tente de toile plantée sur des pieux de bois, Mouloud revendique fièrement le droit des éleveurs nomades à faire paître librement leurs bêtes, sur les terres du Souss, dans le sud du Maroc.
Mais dans le village d’Arbâa Sahel, Hmad, comme tous les agriculteurs sédentaires de la région, enrage lui de voir les troupeaux nomades « piétiner » les champs de blé et de maïs cultivés à grande peine sur les terres arides de ces plateaux parsemés de cactus et de cailloux. Quand l’eau vient à manquer, la situation se crispe: plusieurs cas d’affrontements ont été rapportés par les médias locaux ces derniers mois.
La bataille se joue aussi sur les réseaux sociaux avec des vidéos montrant des personnes cagoulées, présentées comme des éleveurs nomades, munies de bâtons et de sabres, agressant des villageois. Ces derniers ont aussi diffusé des images d’« attaques » de dromadaires sur leurs arganiers et amandiers. Certains villageois ont riposté en empoisonnant l’eau et les pâturages, selon des témoignages recueillis sur place.
« Toutes ces terres appartiennent aux autochtones de père en fils, ce n’est pas une zone pastorale », s’emporte Hmad, 35 ans, baskets et veste en cuir. Excédé, il montre du doigt ses champs de blé « piétinés par des moutons » dans sa bourgade d’Arbâa Sahel, près de la ville de Tiznit. La région, qui offre une végétation abondante, attire les éleveurs nomades depuis des décennies.
La pénurie d’eau aggrave les tensions: depuis deux ans, il y a « une hausse importante des arrivées des troupeaux en raison de la sécheresse, d’où les frictions », souffle Mouloud le nomade, lunettes de soleil et turban bleu sur la tête. La coordination Akal, composée d’association locales, a enregistré « 18 cas d’agression de paysans par des éleveurs nomades dans la seule commune d’Arbâa Sahel depuis décembre », selon Hassan, un membre.
Les autorités marocaines font état de leur côté d’une quinzaine d’agressions de ce type dans toute la région de Souss. Les tensions ne se limitent pas aux champs agricoles, mais surgissent aussi dans les forêts de la région qui couvrent 1,2 million d’hectares. Des forêts que les villageois considèrent comme leur « propriété », conformément à des « coutumes ancestrales ».
Le nomadisme « fait partie de l’identité marocaine », lance Mouloud, la moustache fine, allongé sur un tapis bleu. Smartphone en main, il parle des récentes tensions avec ses amis nomades autour d’un thé. Sous une autre tente, des femmes préparent des grillades de foie pour le groupe. Abou Bakr, accroupi à côté de Mouloud en sirotant un verre de lait de chèvre, a abandonné ses études pour s’adonner au nomadisme pastoral.
Selon cet homme dont les parents viennent d’une zone désertique située à 200 km, d’autres éleveurs nomades ont traversé cette année jusqu’à 1.000 km, sillonnant d’immenses paysages désertiques en voitures tout-terrain pour fuir la sécheresse, avec leurs tentes et leurs troupeaux transportés dans des camions.Quand la pluie se fait rare, ce nomadisme est perpétuel mais se limite à l’été quand les précipitations sont abondantes.
« La scolarisation des enfants a poussé les nomades à choisir la stabilité », confie encore Abou Bakr.Pour Mustapha Naïmi, professeur des études sahariennes à l’Université Mohamed V à Rabat, le « nomadisme est très ancien au Maroc, mais s’est réduit au cours des dernières décennies avec l’urbanisation, passant d’une forme de « nomadisme familial à un nomadisme pastoral ».
Les bergers nomades sont actuellement estimés à 40.000 dans le pays. Le développement du nomadisme pastoral s’est accompagné d’une « augmentation du volume des troupeaux, avec un cheptel de 3,15 millions de têtes de bétail ce qui a contribué aux conflits », selon le ministère de l’Agriculture. Hassan, de la coordination Akal, regrette le temps des bergers « traditionnels » qui demandaient « l’autorisation des habitants comme le veut la coutume ».
Une loi a récemment été adoptée pour réglementer le nomadisme pastoral et permettre une « exploitation rationnelle de la végétation ». Le texte autorise seulement les nomades à se déplacer et à pâturer sur des zones délimitées et des parcours prédéfinis après obtention d’un permis, au risque d’être sanctionnés. Mais la loi est rejetée par les deux camps: « Nous tenons à notre liberté de circuler », lance Mouloud. La coordination Akal, elle, refuse farouchement le principe de délimitation sur des terres « appartenant à la population ».
D.C avec AFP
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