Au Pakistan, l’éducation à la merci de l’explosion démographique

14 décembre 2018 15:00 Mis à jour: 14 décembre 2018 15:46

Dans l’école publique de Tanjai Cheena, les murs sont des bâches, eau et électricité font défaut, et un nombre croissant d’élèves s’agglutine derrière des pupitres en bois. La démographie galopante est le principal défi du système scolaire au Pakistan.  Assis sur de petites chaises et serrés comme des sardines, les élèves répètent à tue-tête la leçon d’anatomie du jour, en pachtou et en anglais: « Guta is finger, laas is hand » (« guta, c’est le doigt, laas, c’est la main »).

Faute de personnel suffisant, deux professeurs se relaient dans quatre classes, et faute de toilettes dédiées, « les filles vont chez moi et les garçons dans les buissons », raconte le directeur Mohammad Bashir Khan, qui porte depuis 19 ans cette école dont il fut l’un des premiers élèves. Cet établissement de bric et de broc dans la vallée escarpée de Swat (nord) est surpeuplé. « En 1984, nous étions 20 ou 25 à l’école. Aujourd’hui, ils sont plus de 140 », soupire le directeur.

Car le Pakistan connaît une explosion démographique. Près des deux tiers des Pakistanais ont moins de 30 ans dans ce pays au taux de fécondité élevé (3,6 enfants par femme), qui gagne chaque année trois à quatre millions d’habitants sans parvenir ensuite à les intégrer dans le système scolaire. Dans l’école primaire publique Malok Abad de Mingora, principale ville de Swat, 700 garçons se partagent six salles, bien que certaines, fissurées par un séisme en 2005, aient été interdites d’accès par les autorités. Des éclats de plâtre tombent parfois du plafond.

Les plus jeunes étudient dans la cour, assis par terre, sous le soleil brûlant. D’autres apprennent sur le toit, où quelques tôles et ventilateurs viennent d’être installés. « Nous faisons de notre mieux. Mais ces enfants sont négligés par le système », peste Inamullah Munir, un jeune professeur. Côté filles, de minuscules classes comptent jusqu’à 135 élèves, entassées sans banc ni chaise. « C’est de l’éducation d’urgence », regrette Faisal Khalid, directeur local du département éducatif.

L’enjeu est pourtant de taille, dans un pays où l’enseignement a été longtemps négligé car la lutte contre l’insécurité primait. Swat a fait l’amère expérience de l’extrémisme. Les talibans ont contrôlé le district de 2007 à 2009 et y ont détruit des dizaines d’écoles. Avec le retour de la paix, le Pakistan dépense désormais 2,2% de son PIB pour son éducation (contre 3,3% pour la Défense), affirme à l’AFP le ministre dédié Shafqat Mahmood. Mais « il faut monter à 4% » dit-il.

Quelque 22,6 millions d’enfants restent en effet privés d’école, comme le dénonce régulièrement le nouveau Premier ministre Imran Khan. Un chiffre voué à grimper encore avec le boom démographique. D’après le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), le Pakistan comptera 310 millions d’habitants en 2040, contre 207 aujourd’hui.

Comme le pays « ne peut pas construire 10.000 écoles par an », le nouveau gouvernement envisage « l’usage multiple » des établissements existants, où des classes se tiendraient du matin au soir pour qu’un maximum d’élèves soient éduqués, dit à l’AFP le ministre Shafqat Mahmood. A Peshawar, capitale du Khyber-Pakhtunkhwa, le lycée public « Numéro 1 »  c’est son nom,  illustre parfaitement l’ampleur du défi pour les autorités: huit classes ont été construites récemment, six seront bientôt livrées et une trentaine d’autres sont en projet.

Pourtant, les cours se font encore à 70 élèves par salle. « Plus nous en bâtirons, plus elles se rempliront », remarque Jaddi Kalil, responsable des services éducatifs de la municipalité.

Le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), le parti du Premier ministre, qui a fait d’une « éducation de qualité pour tous » son cheval de bataille, affirme pourtant avoir investi massivement dans ce secteur dans le Khyber-Pakhtunkhwa (KP), province dont Swat et Peshawar font partie. Le budget éducatif y a plus que doublé entre 2013 et 2018, passant de 434 à 950 millions d’euros. « C’est la plus forte augmentation de l’histoire du Pakistan », se réjouit Atif Khan, l’ex-ministre de l’Education du KP.

Ces cinq dernières années, 2.700 écoles ont été construites ou agrandies dans le KP, 57.000 professeurs recrutés et leur assiduité améliorée, certifie l’administration provinciale. Malgré ce volontarisme politique, le retard éducatif et la croissance démographique sont tels que l’illettrisme reste courant dans la province, où seulement 53% des plus de 10 ans étaient alphabétisés en 2015, selon le ministère des Finances.

Et la discrimination de genre y reste forte: à peine 35% des femmes de cette province savaient lire et écrire contre 71% des hommes,  au niveau national, les chiffres sont respectivement de 49% et 70%. Plus largement, à l’échelle du Pakistan, la qualité des enseignements reste problématique: seulement un élève sur deux sait faire une division à deux chiffres en fin d’école primaire, d’après le ministère.

« Seules les élites ont accès à une éducation de qualité », note un rapport récent du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD): leurs enfants étudient dans le privé, qui, d’après l’Unicef, représente plus du tiers des établissements du pays. L’économie risque d’en pâtir, alors que le Pakistan, toujours du fait de sa démographie, devra créer chaque année entre 1,2 et 1,5 million d’emplois qualifiés, explique le PNUD.

Une mauvaise éducation, c’est « la recette pour générer des frustrations », alors qu’une bonne éducation « permet davantage de cohésion et moins d’extrémisme », commente Adil Najam, l’auteur de l’étude du PNUD. Une meilleure éducation pourrait aussi contribuer à ralentir la progression démographique, puisque bien souvent, le taux de fécondité d’un pays diminue quand augmente le niveau d’études des femmes. « Aujourd’hui », remarque M. Najam, « tous les problèmes importants du Pakistan sont liés à l’éducation. »

D.C avec AFP

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