Aujourd’hui, Shaharzad ne sort plus que dans la cour de la pension où elle vit. Cette Afghane espérait trouver au Pakistan la liberté dont les autorités talibanes privent les femmes, mais une récente campagne anti-migrants maintient les Afghans « prisonniers », racontent-ils.
Il y a quelques mois, cette mère de famille, qui témoigne sous pseudonyme par peur de représailles, a rejoint Islamabad pour déposer une demande d’immigration dans une ambassade européenne. C’est désormais la procédure pour tous les aspirants au départ en Afghanistan où aucune capitale occidentale n’a de chancellerie ouverte au public, puisqu’aucun pays n’a reconnu le gouvernement taliban revenu au pouvoir en 2021.
À son arrivée, elle s’est sentie « soulagée et en sécurité ». Mais peu après, les partisans de l’ex-Premier ministre emprisonné Imran Khan ont organisé des manifestations massives, entraînant une campagne de répression contre son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI). Celui-ci dirige la province du Khyber-Pakhtunkhwa, frontalière de l’Afghanistan et majoritairement peuplée de pachtounes, également nombreux en Afghanistan.
« La police pakistanaise se comporte comme les talibans »
Des Afghans se disent associés à tort aux partisans de l’ancien Premier ministre et victimes de la campagne répressive des autorités. « Pour les Afghans ici, la situation est horrible. La police pakistanaise se comporte comme les talibans », accuse Shaharzad, qui craint d’être expulsée avec ses enfants.
Le ministre pakistanais de l’Information, Attaullah Tarar, blâme plutôt les « terroristes afghans » qui ont participé aux manifestations, émaillées de violences entre protestataires et forces de sécurité. Il a assuré à la presse internationale à l’issue de la dernière démonstration de force du PTI que 37 Afghans avaient été arrêtés dans les cortèges fin novembre, sur un millier de personnes interpellées.
Muhammad Khan, dignitaire afghan à Islamabad, recense pour sa part des centaines d’arrestations parmi ses concitoyens – tout en jurant qu’aucun de ces détenus n’était impliqué dans la politique pakistanaise. « Les réfugiés afghans sont des boucs émissaires dans les affaires internes pakistanaises et dans les tensions entre Islamabad et Kaboul », affirme-t-il. L’ambassade afghane à Islamabad a dénoncé une politique qui « n’apportera rien au Pakistan et ne fera qu’aggraver le manque de confiance entre les deux pays voisins ».
Plus d’un million de réfugiés et demandeurs d’asile afghans au Pakistan
En juillet, la diplomatie pakistanaise a appelé les pays occidentaux à accélérer l’attribution de visas à quelque 44.000 Afghans en attente. En tout, le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) recense 1,5 million de réfugiés et demandeurs d’asile afghans au Pakistan et autant d’autres Afghans sous différents statuts.
Le HCR assure qu’environ 750.000 Afghans ont été rapatriés du Pakistan entre septembre 2023 et octobre 2024, dont environ 258.000 cette année, quasiment tous sans papiers. Pour l’avocate Imaane Mazari, qui défend régulièrement des Afghans arrêtés au Pakistan, ces migrants vulnérables sont « une cible hyper facile ».
Moustafa, qui attend avec sa famille à Islamabad un visa d’émigration vers les États-Unis, évite de sortir au maximum et s’organise pour grouper les achats de nourriture et de médicaments. Les membres des forces de sécurité, dit l’homme de 31 ans, « s’ils découvrent que tu es Afghan, que tu aies un visa en règle ou pas, ils t’arrêtent ou te soutirent de l’argent ».
« C’est quoi leur problème avec les Afghans ? Pourquoi nous accusent-ils à chaque fois ? », se demande Shaharzad. Son fils a été récemment interpellé par la police dans un parc d’Islamabad, et, « au lieu de lui demander ses papiers, les policiers lui ont tout de suite demandé de l’argent », assure-t-elle.
Des discriminations ethniques
Et pour Me Mazari, les Afghans ne sont pas les seuls : « les pachtounes pakistanais sont aussi victimes de profilage ethnique ». De longue date, pachtounes et baloutches se disent discriminés par les Pendjabis, le gros de l’état-major de la très-puissante armée pakistanaise.
La Commission des droits de l’Homme du Pakistan (HRCP), ONG faisant autorité sur les libertés dans le pays, a dénoncé « un profilage ethnique présumé des citoyens ordinaires pachtounes ».
Le chef du gouvernement du Khyber-Pakhtunkhwa, Ali Amin Gandapur, a adressé une lettre au Premier ministre Shehbaz Sharif, dénonçant « les rafles arbitraires de travailleurs pachtounes à Islamabad » après les manifestations, qui risquent de « mener à d’immenses divisions ». De nombreux députés, notables ou figures de la société civile ont défilé sur les plateaux télé pour défendre les pachtounes.
Les Afghans, eux, se disent abandonnés. « On est prisonniers. On ne sort quasiment jamais et seulement quand on est obligés », se lamente Moustafa.
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