Les conséquences des conflits djihadistes du Sahel n’épargnent aucun secteur d’activités, y compris le milieu éducatif qui demeure profondément affecté par les manœuvres et les menaces de groupes armés.
La guerre du Sahel est un conflit armé qui oppose des groupes djihadistes et islamistes aux gouvernements de plusieurs pays de la zone, dont certains sont soutenus militairement par la France, les États-Unis et la Russie. Cette guerre débute en 2003 lorsque 32 touristes allemands et autrichiens sont pris en otage par un groupe armé ayant à sa tête Abderazak el Para. On estime que plus de 11.000 civils ont perdu la vie dans ce conflit.
Bien que les élèves soient les premières victimes de l’instabilité sécuritaire, le quotidien des enseignants dans ces zones est encore plus dangereux car ils vivent souvent chaque jour comme le dernier. Certains décident d’abandonner la fonction enseignante pour préserver leurs vies, mais d’autres tiennent coûte que coûte à sauver l’avenir de ces enfants par amour pour leur profession. Les groupes armés ne cessent de s’en prendre à leurs vies car leur idéologie s’oppose au concept d’éducation scolaire pour tous, comme l’explique cette vidéo reportage de Tv5 Monde Info où élèves et enseignants témoignent:
Une année scolaire sous menaces djihadistes
Démarrée en septembre ou octobre 2022, l’année scolaire n’est pas reluisante pour les acteurs du système éducatif dans les pays de la zone Sahélienne. Au Burkina-Faso, au Niger, au Mali, au Nord du Bénin, du Togo et du Nigéria, les élèves et enseignants font face aux graves conséquences des conflits armés dans le Sahel.
Au Niger, alors que les examens de fin d’année approchent, l’accès à l’école dans l’ouest du pays reste problématique. À Tillabéri, notamment dans la zone dite des trois frontières que partage le Niger avec le Burkina-Faso et le Mali, plusieurs établissements d’enseignement primaire et secondaire ont été fermés pour des raisons d’insécurité.
Selon des chiffres rendus publics par Ibrahim Natatou, ministre nigérien de l’éducation nationale, après une visite de supervision, pour le compte du mois de mai 2023, 921 établissements d’enseignement primaire et secondaire ont été fermées pour des raisons d’insécurité dans la région de Tillabéri.
Un constat que confirme Labo Seibou, secrétaire général du Syndicat national d’agents fonctionnaires et contractuels de l’enseignement secondaire (Synafces) au Niger. Interviewé par Global Voices, il témoigne:
Le Niger est secoué ces dernières années par des attaques répétées au niveau de quatre régions à savoir : Tahoua, Maradi, Diffa et Tilaberi. Mais la situation s’est beaucoup dégradée au niveau de la zone des trois frontières du fait des actions des groupes terroristes, des écoles ont été fermées.
Cette situation prive des milliers d’enfants de leur droit à l’éducation, inscrit dans l’article 23 de la constitution du Niger, selon Labo Seibou.
Dans le département d’Abala, situé au sud-ouest du pays, 41 écoles sont fermées, dont 31 écoles pour cause d’insécurité et dix pour manque d’enseignants. Au micro de Global Voices, Boubacar Oumarou, préfet du département d’Abala indique :
Quand les enseignants partent, l’école ferme automatiquement. Ce n’est pas un bon signe pour nous parce que nous avons des milliers d’élèves. Environ 3000 qui sont en train de chômer.
Au Burkina-Faso où les enseignants font également face aux mêmes menaces terroristes, deux situations se présentent selon Souleymane Badienne, secrétaire général de la fédération des syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation et de la recherche du Burkina-Faso. Au rédacteur de Global Voices, il explique :
Il n y a même pas eu d’année scolaire à proprement parler. Il y a quelques localités où les cours ont pu se dérouler mais difficilement, c’est-à-dire pas à un rythme défini par les normes.
Dans ce pays qui compte 13 régions administratives, il n’y a que la région du centre avec pour chef-lieu Ouagadougou qui n’a pas été touchée par les effets des groupes terroristes impactant les écoles, à en croire les explications de Badienne.
Djakaridia Siribié, journaliste burkinabé tweete :
Enseignants et élèves laissés à leur propre sort
Il est difficile de croire que face à ce contexte sécuritaire compliqué les programmes scolaires puissent aboutir. L’État, qui devrait mettre des garde-fous pour garantir la sécurité des enseignants afin que ces derniers continuent de donner des cours, semble briller par son absence dans ces zones de conflits. Parlant de la situation du Niger, Labo Seibou explique :
Il n’y a pas de soutien formel de l’État. On avait même demandé qu’il y ait des primes de motivations pour des zones d’insécurité mais jusque-là, l’État n’a rien prévu.
Badienne, évoquant le cas du Burkina-Faso, ajoute :
Face à ces menaces, nous ne recevons pas d’appui de la part des autorités. L’essentiel des investissements dans notre pays va ministère de la défense et de la sécurité.
Cette situation est très difficile à vivre selon Moussa (nom changé pour conserver l’anonymat), enseignant à Tillabéri:
Quand nous expliquons à nos supérieurs hiérarchiques que nous avons reçu des messages de fermer les écoles, des menaces de quitter le village, nous sommes mal compris. Ils nous demandent de retourner à nos postes dans nos villages sans quoi, nos contrats seront définitivement résiliés. D’un côté, nous sommes sous menaces terroristes, et de l’autre nous sommes sous la menace de l’administration.
Psychose et traumatisme au quotidien
Les risques et menaces terroristes sont réels, explique Badienne :
Dix-sept membres du personnel de l’éducation ont perdu la vie du fait de l’action des groupes armés terroristes. En plus de cette perte en vies humaines, il y a des traumatismes physiques. Certains ont été pourchassés, bastonnés parfois même devant leurs élèves. Il y a aussi des traumatismes psychologiques.
Cette psychose fait qu’un nombre important d’enseignants ont été contraints de quitter la zone parce qu’ils ne peuvent pas enseigner dans ces situations d’insécurité où ils peuvent facilement perdre la vie. Lui-même rescapé de plusieurs attaques, Moussa témoigne:
«Nous avons été menacés de fermer nos écoles et même de quitter le village définitivement. Il y a même un enseignant qui a été tué dans la commune d’Anzourou, située sur la frontière nigéro-malienne. Dans cette zone, les terroristes sévissent, des chefs de villages ont été tués et d’autres villages ont été abandonnés sous menaces terroristes.
Selon Labo Seibou, des enseignants ont eu la vie sauve uniquement parce qu’ils se sont dissimulés au sein de la population, ou se sont changés en haillons pour ne pas être repérés. Il ajoute :
Beaucoup de nos camarades ont été lâchement abattus par les terroristes du fait qu’ils enseignent aux enfants du Niger et que ces groupes sont contre l’enseignement moderne.
Version originale publiée dans Global Voices.
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