Augustus Saint-Gaudens, sculpteur américain de la fin du XIXe siècle, et la colonie de Cornish

À la fin du XIXe siècle, la colonie d'artistes de Cornish, dans le New Hampshire, était considérée comme le plus beau village d'Amérique en termes d'aménagement paysager

Par Michelle Plastrik
17 juin 2024 23:19 Mis à jour: 9 juillet 2024 21:17

Le long de la rivière Connecticut, au milieu de collines et de montagnes bucoliques, se trouve la ville de Cornish, dans l’ouest du New Hampshire. Cette petite ville, qui abrite le pont couvert à deux travées le plus long du monde, est devenue célèbre au milieu du XXe siècle comme le lieu où l’insaisissable écrivain, J.D. Salinger, a choisi de se retirer définitivement de la ville de New York. L’histoire artistique de Cornish remonte toutefois à la fin du XIXe siècle. À partir de 1885, Augustus Saint-Gaudens, le plus grand sculpteur américain, quittait régulièrement sa résidence et son studio de New York pour passer l’été dans le climat plus frais de Cornish.

Le domaine de Saint-Gaudens (nommé « Aspet ») à la Cornish Colony à Cornish, dans le New Hampshire

De nombreux artistes lui emboîtèrent le pas, et la communauté créative florissante devint connue sous le nom de Cornish Colony, l’une des premières colonies artistiques des États-Unis. En son centre se trouvaient la maison de Saint-Gaudens et les ateliers qu’il construisit par la suite. Le site, devenu le Saint-Gaudens National Historical Park, est géré par le National Park Service. C’est un endroit pittoresque pour découvrir l’histoire américaine, l’art et la nature.

Sculpteur de la Renaissance américaine

Portrait de Saint-Gaudens à Paris, vers 1878-80. Bibliothèque du Congrès. (Domaine public)

Augustus Saint-Gaudens (1848-1907) est né à Dublin d’un père français et d’une mère irlandaise. Peu après sa naissance, sa famille traverse l’Atlantique pour s’installer à New York. Dans sa jeunesse, Augustus souhaite poursuivre une carrière artistique et entre en apprentissage chez un tailleur de camées. Cette pratique du travail sur un relief à l’échelle miniature lui a été très utile pour réaliser plus tard des médailles commémoratives et des pièces de monnaie américaines. Augustus Saint-Gaudens suit également des cours à la Cooper Union et à la National Academy of Design. Il décide de devenir sculpteur et, à l’âge de 19 ans, il se rend à Paris pour étudier à l’École des beaux-arts. Il s’installe ensuite à Rome pendant plusieurs années, où il reçoit ses premières commandes.

Sa première œuvre majeure est un monument à l’effigie de l’amiral Farragut, inauguré en 1881, à l’occasion de la guerre de Sécession. L’artiste se spécialise ensuite dans les monuments publics. Son œuvre est devenue célèbre pour son dynamisme, sa synthèse du naturalisme et de l’allégorie, éléments uniques dans la sculpture américaine de l’époque. Son œuvre est un reflet de la période de la Renaissance américaine et de l’intégration esthétique des influences de la Renaissance classique et européenne.

Augustus Saint-Gaudens enseignant à l’Arts Students League à l’angle de la Cinquième Avenue et de la 16e Rue à New York, vers 1875. Service des parcs nationaux. (Domaine public)

Au fur et à mesure que la renommée de Saint-Gaudens grandit, les commandes se multiplient. Il crée et vend des versions plus petites de ses œuvres importantes pour s’assurer un revenu régulier. Parallèlement à sa réussite professionnelle, Saint-Gaudens consacre beaucoup de temps pour former la nouvelle génération d’artistes. Il donne des cours particuliers, des cours à l’Art Students League, emploie des artistes comme assistants dans ses ateliers et gère des bourses d’études.

La Colonie de Cornish (Cornish Colony)

Augustus Saint-Gaudens à côté de Standing Lincoln (Lincoln debout) dans son atelier de Cornish Colony, 1887. Services des parcs nationaux. (Domaine public)

Alors qu’il travaillait sur l’une de ses plus célèbres sculptures tributaires, « Abraham Lincoln the Man » de Chicago, Saint-Gaudens passa son premier été à Cornish, dans le New Hampshire. Il y séjourna en partie parce qu’on lui avait dit qu’il pourrait trouver dans cette ville des hommes ressemblant à Lincoln pour lui servir de modèles. Un tel homme se trouvait juste derrière la frontière du Vermont. Saint-Gaudens s’est référé à un masque de vie de 1860 représentant le visage de Lincoln et à des moulages de ses mains, a étudié ses écrits et a regardé ses photographies pour donner de l’authenticité à la sculpture. Le sculpteur s’est même inspiré de ses propres souvenirs, car il avait vu Lincoln en personne à deux reprises. L’œuvre achevée exprime le caractère héroïque du président et sa nature introspective. Debout devant une chaise d’État décorative inspirée d’un trône de la Grèce antique, Lincoln pensif incline sa tête alors qu’il s’apprête à prononcer un discours.

Lors de son séjour à Cornish pendant l’été 1885, Saint-Gaudens s’est installé dans une maison qui était à l’origine une auberge du début du XIXe siècle ; il a transformé la grange à foin pour en faire son atelier. Tombé amoureux de la région, il achète la propriété en 1892 et la rebaptise Aspet, du nom de la ville natale française de son père. Il rénove le domaine pour l’adapter à ses besoins créatifs et pratiques. Des jardins luxuriants ont été aménagés avec son concours, et un nouveau bâtiment, le Little Studio, a remplacé la grange. Il lui sert d’atelier privé. Ses assistants travaillaient dans un autre, plus grand, situé à proximité.

La salle à manger de l’Aspet de Saint-Gaudens. Services des parcs nationaux. (Domaine public)

 

Le salon nord de l’Aspet était un lieu de rencontre pour la famille Saint-Gaudens et ses invités. Services des parcs nationaux. (Domaine public)

Les artistes rendaient visite à Saint-Gaudens et à sa famille, qui recevaient fréquemment sur le vaste domaine et dans leur maison ; les pièces sont magnifiquement conservées avec leur mobilier d’origine. Les charmes de Cornish et de la ville voisine de Plainfield, dans le New Hampshire, se sont répandus, et d’autres créateurs sont devenus des résidents d’été ou à plein temps.

Vue du mont Ascutney depuis le Petit Studio du site historique national de Saint-Gaudens à Cornish, N.H. (EWY Media/Shutterstock)

La plupart des visiteurs étaient attirés et inspirés par la vue sur le majestueux mont Ascutney, dans le Vermont voisin. Les peintres et les sculpteurs ont été les premiers à affluer dans la colonie, mais au fil du temps, des paysagistes, des architectes, des écrivains, des musiciens, des acteurs et des mécènes les ont rejoints. L’éventail des professionnels associés à la colonie – comme les sculpteurs Daniel Chester French et Paul Manship, le peintre et illustrateur Maxfield Parrish, l’actrice Ethel Barrymore, l’architecte paysagiste Ellen Biddle Shipman, et même le président des États-Unis, Woodrow Wilson – la différencie des autres colonies artistiques de l’époque.

Parc national historique de Saint-Gaudens

L’extérieur du « Little Studio » à Cornish Colony. Services des parcs nationaux. (Domaine public)

Le « Little Studio » sert aujourd’hui d’espace d’exposition pour l’art de Saint-Gaudens. Au centre de la pièce se trouve une copie en bronze de sa célèbre Diane. Il s’agit de son seul nu féminin et il est unique car il représente la forme de la déesse romaine d’une manière épurée, élégante et forte. La sculpture originale a été installée comme girouette au sommet du Madison Square Garden de Stanford White. Elle fut l’une des premières statues de la ville de New York à être éclairée à la lumière électrique et devint extrêmement populaire. C’est un exemple de la collaboration avant-gardiste de Saint-Gaudens avec des architectes de renom dans le domaine de l’art public.

Copie en bronze de « Diana » de Saint-Gaudens dans le Petit Studio. Services des parcs nationaux. (Domaine public)

Plus de cent autres œuvres de l’artiste sont réparties dans le Saint-Gaudens National Historical Park. Parmi ces pièces, on trouve des moulages en bronze grandeur nature des œuvres phares de la carrière de Saint-Gaudens. L’une des plus spectaculaires est la sculpture dorée Amor Caritas, placée dans un atrium de style romain érigé sur le domaine après la mort de l’artiste. La sculpture représente la vision de Saint-Gaudens de la beauté idéale, un thème récurrent dans son œuvre. La figure féminine est ornée de fleurs de la passion et entre ses ailes incurvées se trouve une tablette décorée d’acanthes.

Bassin reflétant l’atrium avec Amor Caritas au parc historique national de Saint-Gaudens. National Park Services. (Domaine public)
Amor Caritas, 1880-98, fondu en 1918, par Augustus Saint-Gaudens. Bronze, doré. Musée d’art métropolitain, New York. (Domaine public)

Les galeries présentent également des exemples de pièces d’or américaines de Saint-Gaudens inspirées de pièces grecques et romaines antiques. Ces pièces ont été commandées par le président Theodore Roosevelt. La pièce de 20 dollars en or dessinée par Saint-Gaudens est considérée comme la plus belle pièce américaine ; l’exemplaire le plus rare a été vendu aux enchères en 2021 pour 18,9 millions de dollars.

Monument à Sherman

Saint-Gaudens et ses assistants sous la statue équestre du général Sherman dans le grand studio de Cornish Colony. National Park Services. (Domaine public)

Le dernier chef-d’œuvre de Saint-Gaudens fut le monument public équestre Sherman Monument, qui se dresse sur la Grand Army Plaza, à l’angle sud-est de Central Park. Il a fallu 11 ans à l’artiste, perfectionniste notoire, pour l’achever, et ce à Cornish, où il s’était installé définitivement en 1900. L’œuvre commémore le général William Tecumseh Sherman.

Le monument Sherman a été inauguré en 1903 sur la Grand Army Plaza de Manhattan, à l’angle de la Cinquième Avenue et de la 59e Rue, où il se trouve encore aujourd’hui. (Jim.henderson/CC BY-SA 4.0)

Dans la composition, le général monte à cheval tout en étant guidé par Victory, une figure allégorique ailée pour laquelle a posé Hettie Anderson, un mannequin afro-américain très demandé. La Victoire triomphante porte et arbore des symboles de réussite : une palme, une couronne de laurier et un aigle décoratif. Cette sculpture rappelle la Victoire de Samothrace du Louvre, et est un bel exemple de la façon dont Saint-Gaudens a su allier inspiration classique et interprétation novatrice à la manière américaine. Cette création a été très bien reçue et a suscité beaucoup d’enthousiasme.

"Victoire" adaptée de la figure grandeur nature du "Monument Sherman" de Saint-Gaudens, 1892-1903, par Augustus Saint-Gaudens. Bronze doré.The Metropolitan Museum of Art, New York City.(Domaine public)
Victoire adaptée de la figure grandeur nature du Monument Sherman de Saint-Gaudens, 1892-1903, par Augustus Saint-Gaudens. Bronze doré. The Metropolitan Museum of Art, New York City. (Domaine public)

Saint-Gaudens est décédé quelques années après avoir dévoilé Sherman Monument. Alors que sa femme et son fils continuent à passer l’été à Aspet, l’apogée de la Cornish Colony touche à sa fin. En 1919, la famille fonde le Saint-Gaudens Memorial pour gérer le domaine. L’organisation a fait don du site de 190 acres (77 ha) au National Park Service en 1965.

L’œuvre et l’héritage exceptionnels de Saint-Gaudens sont soigneusement préservés à Cornish, ainsi que dans divers musées et parcs à travers le pays. Il a travaillé à une époque où l’Amérique se voyait comme l’héritière de l’héroïsme et de l’humanisme des civilisations anciennes et de la Renaissance. Sa vision patriotique et son rôle dans l’établissement d’une école américaine de sculpture ont contribué à enrichir et à refléter l’art et l’histoire de la fin du XIXe et du début du XXe siècle de manière significative.

Vestiges dans la salle de travail du Little Studio à Cornish Colony, aujourd’hui le site historique national de Saint-Gaudens. Bibliothèque du Congrès. (Domaine public)
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