Combien de dauphins capturés chaque année dans les filets français ? Le Conseil d’État a pointé récemment l’absence d’estimation « fiable », dont pêcheurs et scientifiques se renvoient la responsabilité dans un débat « pollué par le militantisme », déplorent certains.
Après une vague « intense » d’échouages de petits cétacés sur le littoral atlantique cet hiver, selon l’observatoire Pelagis qui en a recensé 1380 entre décembre et avril, l’émotion est unanime : les militants écologistes parlent d’ « hécatombe », les pêcheurs de « crève-cœur ». Saisi par l’association France Nature Environnement, le Conseil d’État a ordonné au gouvernement de fermer des zones de pêche à certaines périodes en évoquant « une menace grave » pour la conservation des espèces.
Mais la plus haute juridiction administrative a également relevé « des niveaux élevés d’incertitude sur la fréquence et les causes des captures accidentelles », en réclamant des mesures complémentaires pour avoir une estimation « fiable ». En cause : la manière dont Pelagis calcule la surmortalité des dauphins à partir des échouages et de campagnes de survol de l’océan.
Chiffres « imparfaits » et données incomplètes
En 2021, cet organisme du CNRS et de l’université de La Rochelle avait recensé 895 échouages dans l’Atlantique et la Manche. Suivant un modèle mathématique de dérive des carcasses, l’observatoire avait extrapolé la mortalité à 8950 dauphins morts par capture, bien au-delà du seuil de soutenabilité fixé entre 1000 et 4900 unités selon les approches.
Des chiffres « imparfaits parce qu’il y a un certain nombre d’incertitudes, comme dans toute surveillance scientifique », déclare à l’AFP Jérôme Spitz, codirecteur de Pelagis, en déplorant un manque de « transparence » des pêcheurs. Ceux-ci n’ont signalé que 69 captures accidentelles durant l’hiver 2021. Le dispositif d’observateurs embarqués repose sur le volontariat et seulement « 20 navires en 2022 » étaient équipés de caméras, « soit seulement 5% de la flottille des navires fileyeurs », indique le Conseil d’État. Le Conseil international pour l’exploration de la mer, organisme intergouvernemental créé en 1902, a parlé de données françaises « erronées » dans un rapport en 2021 – critique qui concerne les chiffres de l’activité de pêche, selon Pelagis.
Origine incertaine de la « surmortalité » des dauphins
Pour Florence Ollivet-Courtois, vétérinaire qui a travaillé avec l’observatoire sur un béluga égaré dans la Seine en 2022, ce dernier gagnerait à mieux dialoguer avec les pêcheurs, comme dans d’autres pays. La collecte de données « est extrêmement polluée par le militantisme et par un traitement non-scientifique », juge cette colonelle des sapeurs-pompiers de l’Essonne. Le vice-président du Comité régional des pêches de Nouvelle-Aquitaine, Franck Lalande, « vent debout contre Pelagis », réclame « des réponses »: « D’où viennent ces dauphins ? Pourquoi sont-ils là ? Pourquoi ne veut-on pas parler de ceux qui sont malades, avec des parasites ? »
« On travaille assez étroitement » avec la filière, répond Jérôme Spitz, pour qui « le dialogue n’est pas rompu », même si « une petite frange de pêcheurs » est « toujours dans la négation ». « La détermination des causes de mortalité repose sur des procédures européennes, validées par les pairs ». D’après Pelagis, sur 284 examens externes en 2021, 87% des dauphins échoués étaient morts après une capture.
« On craint que ce soit multifactoriel, beaucoup plus complexe », souligne Frédérique Cheyenne, vétérinaire et présidente de l’association Sibylline Océans qui porte un projet d’hôpital marin pour cétacés. Pour elle, « il y a une surmortalité, c’est sûr mais les chiffres avancés sont moins sûrs et ceux mettant en cause la pêche encore moins sûrs ».
Risque d’une analyse trop « arbitraire » des lésions observées
Florence Ollivet-Courtois évoque « un biais cognitif qui conduit à probablement surévaluer l’implication de la pêche », pointant le risque d’une analyse trop « arbitraire » des lésions observées. « Rien n’empêche un animal mort de se retrouver dans un filet », ajoute-t-elle. Lorsqu’un cétacé s’échoue, les premières constatations sont menées par un des 450 correspondants du Réseau national échouages, coordonné par Pelagis. Beaucoup sont des membres d’associations ou des militants environnementaux. Et malgré un cadre réglementaire strict, très peu d’animaux sont véritablement autopsiés par un vétérinaire, accuse Alexandre Dewez, ancien membre du RNE.
L’autopsie « peut être opérée par un biologiste formé dont les conclusions seront validées par un vétérinaire », réplique Hélène Peltier, ingénieure de recherche de Pelagis. Une mort par capture accidentelle ne s’établit « pas uniquement parce qu’il y a une trace de filet. C’est tout un processus d’analyse et de validation ». Alexandre Dewez propose de faire appel à un bureau d’études indépendant car « le rapport entre Pelagis et les pêcheurs est devenu trop clivant », sur fond d’actions chocs menées par l’ONG Sea Shepherd.
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