Cet article est le premier d’une collaboration que nous entamons avec Aux frontières du cerveau, le blog Neurosciences du CNRS geré par Giuseppe Gangarossa et animé par plusieurs neuroscientifiques.
Le système circadien comprend tout un réseau d’horloges endogènes générant une rythmicité interne aussi appelée plus simplement horloge interne. Les mécanismes cellulaires et moléculaires qui régulent ce réseau sont très complexes. Le métabolisme, le comportement alimentaire et les fonctions cognitives reposent sur cette rythmicité (horloge) interne, qui se remet à l’heure chaque jour suivant l’alternance entre le jour et la nuit. Le 2 Octobre 2017, le prestigieux prix Nobel de Médecine ou Physiologie a récompensé Jeffrey C. Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young “pour leurs découvertes des mécanismes moléculaires qui contrôlent le rythme circadien”.
Nous en discutons avec Etienne Challet, directeur de recherche CNRS à l’INCI de Strasbourg, et Xavier Bonnefont, chercheur CNRS à l’IGF de Montpellier, spécialistes de ce fascinant domaine.
Giuseppe Gangarossa : Etienne, Xavier, comment avez-vous vécu cette nouvelle qui récompense un domaine si fascinant de la biologie ?
Etienne Challet : C’est bien sûr une grande joie pour nous, mais c’est aussi une reconnaissance méritée pour notre discipline, la chronobiologie (étude des rythmes biologiques), qui n’a pas toujours été prise en grande considération en biologie ou en médecine.
Xavier Bonnefont : C’est une grande joie ! Ces découvertes princeps commencent à dater, et je me désespérais de ne jamais les voir reconnues à leur juste valeur.
Giuseppe Gangarossa : En étudiant la mouche du vinaigre (drosophile), les lauréats du prix Nobel ont notamment isolé en 1984 un gène (Period, PER) qui contrôle le rythme circadien. Pourriez-vous nous expliquer comment ce gène est impliqué dans les oscillations circadiennes ?
Etienne Challet : Le gène Period est un gène d’horloge, c’est-à-dire que c’est l’un des composants des rouages moléculaires qui contrôlent chez la mouche de nombreux rythmes d’environ 24 h, comme l’activité locomotrice et l’éclosion des œufs. La transcription du gène Period est rythmique au cours d’un cycle journalier. Une fois traduite, la protéine PERIOD va progressivement inhiber sa propre transcription. Un autre cycle de transcription de Period pourra redémarrer après dégradation de la protéine PERIOD.
Giuseppe Gangarossa : Quelle est l’ampleur de ces découvertes ? Et comment ont-elles bouleversé la recherche en physiologie et neurosciences ?
Xavier Bonnefont : La découverte de Period a ouvert un champ nouveau d’étude, celui de la chronobiologie moléculaire. Elle constitue aussi une page importante de la génétique des comportements. Les cibles moléculaires de Period et ses partenaires sont tellement nombreuses qu’il n’existe probablement pas une fonction ou un organe à l’abri de son influence. Bien sûr, chacun pense au cycle veille-sommeil, au rythme de prise alimentaire, mais Period est aussi impliqué dans certains troubles dépressifs, des addictions, la physiologie cardiaque, ou encore l’apparition de cancers.
Giuseppe Gangarossa : Nous pensons souvent à l’horloge interne comme un mécanisme purement lié au système nerveux central. Cependant, de nombreuses recherches montrent que d’autres organes, comme le foie, contribuent aussi à la rythmicité circadienne. Qu’est-ce qu’on a compris et que reste-t-il à comprendre ?
Etienne Challet : Chez les mammifères, si l’on pense d’abord au cerveau dès qu’il est question d’horloge interne, c’est sans doute parce que la première horloge identifiée dès les années 1970 est localisée à la base de l’hypothalamus, dans les noyaux suprachiasmastiques. Jusqu’à la fin des années 1990, les chercheurs pensaient que c’était uniquement cette horloge qui contrôlait l’ensemble des rythmes circadiens de nos fonctions physiologiques et de nos comportements. Cependant, l’identification des gènes d’horloge chez la souris a montré que quasiment toutes les cellules de l’organisme contiennent des horloges internes. Le système circadien est maintenant vu comme un réseau d’horloges au sein duquel l’horloge suprachiasmatique est un chef d’orchestre qui donne le tempo quotidien aux autres horloges dans le cerveau et dans les tissus périphériques. Il reste notamment à mieux comprendre comment se fait le couplage entre le chef d’orchestre et les autres membres l’orchestre.
Xavier Bonnefont : Oui, chacun de nos organes contient son horloge ! Une horloge centrale, située dans l’hypothalamus, synchronise tout ce petit monde, un peu à la manière d’un chef d’orchestre. Le système circadien semble donc reposer sur une organisation top-down, du cerveau vers les organes périphériques. Mais une étude parue le mois dernier vient de montrer qu’un partenaire de Period exprimé dans le muscle squelettique régule la durée du sommeil_ (ici l’article)._ La hiérarchie semble donc s’inverser… Et de nouvelles interrogations affluent.
Giuseppe Gangarossa : Souvent l’attribution d’un prix Nobel à des scientifiques s’accompagne de polémiques, la plus classique étant l’exclusion d’autres « découvreurs ». Est-ce le cas aussi pour ce prix ?
Etienne Challet : Dans ce cas, le comité a vraisemblablement fait le choix de récompenser l’équipe des chercheurs ayant cloné le premier gène d’horloge et proposé les premiers le modèle maintenant classique d’oscillations circadiennes auto-entretenues. Cela dit, d’autres noms de chronobiologistes ayant fait ultérieurement des découvertes remarquables chez les plantes ou les mammifères me viennent immédiatement à l’esprit.
Xavier Bonnefont : Le travail accompli par les 3 lauréats est si immense que leur récompense ne souffre aucune contestation. On peut seulement regretter que le comité Nobel n’ait pas pensé à honorer la discipline lorsque vivaient encore les auteurs du crible qui a permis d’isoler les mouches mutantes utilisées ensuite par Hall, Rosbash et Young.
Giuseppe Gangarossa : On a bien vu que l’horloge interne gouverne plusieurs fonctions vitales de notre organisme. Quel est l’impact sociétal des recherches en chronobiologie ?
Etienne Challet : Les horloges circadiennes sont omniprésentes dans le monde vivant, des cyanobactéries à l’espèce humaine. Le bon fonctionnement de ces horloges est essentiel au bon fonctionnement des grandes fonctions biologiques. Inversement, les dérèglements environnementaux (par exemple la pollution lumineuse ou le réchauffement climatique) impactent sur les écosystèmes et sur la santé. Les applications de la chronobiologie servent à empêcher ou à réduire les effets délétères des perturbations circadiennes.
Xavier Bonnefont : Les usual suspects sont le travail de nuit, les voyageurs soumis aux décalages horaires répétés, les rythmes scolaires… À mon avis, un impact majeur des connaissances accumulées est l’apparition de la chronomédecine. Il s’agit d’une discipline encore trop confidentielle, mais je suis persuadé que soigner avec la bonne dose au bon moment sera la clé de la médecine personnalisée de demain.
Giuseppe Gangarossa : En tant que spécialistes de ce domaine, quelles directions prennent vos travaux de recherche ?
Etienne Challet : Nos travaux portent sur les interactions réciproques entre rythmicité circadienne et métabolisme. D’une part, nous cherchons à mieux comprendre comment les horloges cérébrales contrôlent la rythmicité circadienne de la prise alimentaire et du métabolisme énergétique. D’autre part, nous étudions les mécanismes par lesquels la désynchronisation circadienne, comme le travail posté, favorise les pathologies métaboliques (obésité et diabète).
Giuseppe Gangarossa, Maître de Conférences en Physiology et Neurosciences, Université Paris Diderot – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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