En mettant en application les peines les plus sévères de la charia, dont la lapidation pour l’homosexualité et l’adultère, le sultan de Brunei veut s’assurer le soutien de la frange conservatrice de ce pays d’Asie du Sud-Est et renforcer sa légitimité, soulignent les observateurs.
La nouvelle législation de ce petit Etat riche en hydrocarbures, qui prévoit aussi l’amputation d’une main ou d’un pied en cas de vol, doit entrer en vigueur mercredi. Brunei avait annoncé dès 2013 l’introduction progressive de la loi islamique, mais repoussé la mise en oeuvre des nouvelles peines au 3 avril 2019.
A l’approche de cette échéance, les protestations se sont multipliées dans le monde. L’ONU a dénoncé lundi des « peines cruelles et inhumaines » tandis que des personnalités comme l’acteur George Clooney et le chanteur Elton John ont appelé au boycott des neuf hôtels de luxe liés au sultan de Brunei. Et mardi la France a appelé « Brunei à renoncer à ce projet ».
Pour les analystes, en faisant de son pays le premier en Asie du Sud-Est et Asie du Sud à appliquer la charia au niveau national, le sultan Hassanal Bolkiah cherche à renforcer son image de leader islamique aux yeux des plus conservateurs, à un moment où l’économie nationale donne des signes de faiblesse.
Brunei, l’un des Etats au PIB par habitant les plus élevés du monde grâce aux hydrocarbures, a en effet connu une récession ces dernières années quand les prix du pétrole ont plongé. Et ses réserves déclinantes rendent son avenir incertain. « Brunei est en train de devenir l’Arabie saoudite de l’Asie du Sud-Est », note Bridget Welsh, une experte de cette région à l’Université John Cabot, interrogée par l’AFP.
« L’affaiblissement de l’économie de Brunei ainsi que les inquiétudes sur une possible érosion du soutien (de la population) expliquent la dépendance croissance envers la religion » du régime, poursuit-elle. L’application par le pays de lois qui peuvent effrayer les entreprises occidentales confirme aussi un rapprochement avec la Chine, qui ne critique pas, pour sa part, les violations des droits de l’homme chez ses partenaires, notent les observateurs.
Les entreprises chinoises ont beaucoup investi à Brunei, dans une raffinerie, un barrage et une autoroute, dans le cadre des Nouvelles routes de la soie, un vaste projet destiné à développer les infrastructures des pays amis de Pékin. Il reste difficile d’évaluer le sentiment de la population face à cette législation, puisqu’à Brunei la plupart des habitants (au nombre de 435.0000) évitent de critiquer le sultan.
Mais les experts estiment qu’au moins dans la communauté malaise musulmane, soit environ 70% de la population, le soutien est réel. Et ceux qui s’expriment apportent leur soutien aux peines sévères prévues. « J’en suis fier, parce que l’application de la loi me paraît renforcer l’identité islamique de Brunei », déclare à l’AFP Muhammad Antoni, un ouvrier de 27 ans dans l’industrie des hydrocarbures.
D’autres disent leur agacement face aux appels au boycott de neuf hôtels contrôlés par le sultanat en Europe et aux Etats-Unis. « Ce n’est pas le rôle des célébrités d’appeler à un boycott », proteste Haziah Zainal, une fonctionnaire de 36 ans. Elles « font preuve d’ignorance et ne sont jamais venues ici voir ce qu’il se passe ». Sur internet, en revanche, on s’exprime plus librement. « Je suis très inquiet pour l’économie de Brunei », écrit ainsi un internaute sur la plateforme Reddit.
Dans les faits, il n’est pas sûr que la peine la plus sévère, la lapidation, soit un jour mise en pratique. L’exécution par pendaison figure depuis longtemps dans la législation du pays. Mais la dernière remonte à 1957, selon Matthew Wolfe, un membre de l’association de défense des droits de l’Homme The Brunei Project.
Amnesty International a condamné le nouveau code pénal tout en soulignant que Brunei était « abolitionniste dans les faits ». Les conditions à réunir pour que la justice parvienne à une sentence de lapidation resteront exceptionnelles : un accusé doit soit avouer son crime, soit l’avoir commis devant au moins quatre témoins prêts à témoigner.
Le bureau du Premier ministre a rappelé samedi que Brunei avait un « double système judiciaire », qui continuera à être en vigueur, l’un islamique, ne concernant que les musulmans, l’autre civil, pour l’ensemble de la population.
D.C avec AFP
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